« La relance de l’économie doit se faire avec les femmes. C’est un devoir social et une question de pertinence économique. »

Eva Sadoun est co-fondatrice et, Présidente de la plateforme d’investissement dans des entreprises à impact social et environnemental LITA.co et co-présidente du Mouvement Impact France. A travers tout son parcours, elle s’est battue et a su briser le plafond de verre.

Pourriez-vous nous raconter votre parcours et votre histoire en quelques mots ?

Ayant eu mon bac en 2008, année de la crise financière, j’ai réalisé que c’était impossible d’avoir une compréhension du monde et des inégalités sociales ou écologiques si on ne s’intéressait pas à la question de l’économie, qui me paraissait être un lieu d’émancipation et de liberté. J’ai fait un master en finance de marché, des études en prépa ENS Cachan en économie et j’ai voulu voir ce que les gens comme moi, c’est-à-dire les femmes jeunes, pouvaient réaliser. Aujourd’hui, je m’investis tant à travers ma boîte où nous sommes une cinquantaine de personnes œuvrant pour trouver des solutions de finance plus durables, qu’au niveau d’un lobby que je co-préside, le Mouvement Impact France, où nous essayons de changer l’économie par la politique et le collectif et donc intrinsèquement la société.

Comment les inégalités de genre se manifestent-t-elle dans votre domaine et dans votre quotidien ?

Aujourd’hui, le capital financier économique est détenu principalement par des hommes avec un certain parcours, qui ont fait certaines études et qui viennent d’un certain milieu social. À partir de là, si les femmes n’ont pas de capital dans le milieu économique, elles n’ont pas le pouvoir.
Ensuite, il y a un « genre du leadership » dans le milieu économique : très viril, très cadré, très déshumanisé et qui ne s’adresse pas forcément aux femmes je pense. Aujourd’hui, des statistiques le prouvent très bien : 5% des interviews business sont réalisées des femmes, deux femmes PDG du CAC 40 et ont été éjectées très rapidement… C’est un lieu dans lequel les femmes n’ont pas leurs voix. Le milieu financier et le milieu économique perpétuent les inégalités. Ce sont des lieux de pouvoirs fondamentaux, et si les femmes ne sont pas dans ces lieux, on décidera toujours à leur place.

Comment arrivez-vous à les surmonter ?

Même si c’est un biais personnel, je n’ai jamais eu de complexe, je me suis toujours sentie capable. Malheureusement, mes rôles modèles étaient souvent des hommes. Par mimétisme, j’ai repris leurs mécanismes, je me suis identifiée à eux, aux leaders politiques, économiques… que j’écoutais quand j’ai grandi. Parce que même s’il y a beaucoup de femmes économistes et de leaders politiques femmes, jusqu’à mes 18 ans j’avais l’impression qu’elles étaient complètement invisibilisées. Je pense que je travaille dix fois plus que les hommes à mon niveau parce mais c’est par cette singularité et cette documentation de mon propos que je pense avoir été meilleure que certaines hommes et que je suis arrivée au même niveau. Quand le sexisme était trop apparent, j’ai toujours répondu publiquement, en restant classe et sans mettre mon interlocuteur mal à l’aise, mais j’ai toujours tenu à exposer le sexisme, même en plein milieu d’une conversation.

Comment luttez-vous au quotidien contre ces inégalités ?

Le fait d’incarner une femme dirigeante dans le milieu de l’économie, c’est déjà lutter contre les inégalités de genre. J’ai reçu beaucoup de messages de femmes qui me disent que ça leur donne de l’espoir. Au sein de mes organisations, quand j’identifie un acte sexiste qui n’a pas été nécessairement vu, j’essaye d’en parler et de trouver des solutions. Je me bats avec mon mouvement et mon entreprise pour la cause féministe et pour une économie féministe.
Je publie beaucoup de paroles féministes. J’ai d’ailleurs contribué à un ouvrage éco-féministe qui s’appelle Après la pluie : horizons éco-féministes.

Selon vous, en quoi un plan de relance féministe est indispensable ?

À un moment où nous nous rendons compte que les économies ne sont plus résilientes aux périodes de crises, que l’avenir reste incertain, nous avons besoin d’un renouvellement du leadership. Cela passe par le fait de donner des moyens financiers aux femmes. Un plan de relance féministe est un plan qui place les femmes dans le monde de demain, qui est convaincue que la mixité est bonne pour la pérennité économique et surtout qui arrête d’invisibiliser cette partie de la population. C’est un devoir social mais au-delà de ça, c’est une décision des plus pertinentes d’un point de vue économique. Aujourd’hui, nous avons besoin d’une vision à 360 et je suis persuadée que les femmes peuvent être les clefs de cette reconstruction.

Qu’attendez-vous d’un sommet tel que le Forum Génération Égalité, dont l’objectif principal est de lancer un ensemble d’actions concrètes afin de réaliser des objectifs en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes, en matière d’égalité femmes-hommes ?

Je m’attends à quelque chose de vraiment ambitieux et qui arrête d’invisibiliser les vrais problèmes tels que la sécurité des femmes. Il faut mettre en place un cadre sécuritaire pour les femmes pour espérer que demain, elles soient présentes dans les lieux de pouvoirs.
Je n’attends pas des petits engagements mais une rupture avec des quotas, des changements ambitieux, des objectifs concrets en termes de parité au niveau économique et au niveau du plan de relance, avec des pénalités pour ceux qui ne le font pas. Nous sommes obligé·e·s d’être extrêmement incitatifs et de pénaliser si on veut espérer un réel changement.

Pour un plan de relance féministe

Pour que les femmes et les générations futures ne voient pas leur situation se dégrader mais bien progresser, nous demandons à la France, à l’occasion du Forum Génération Égalité et dans les mois qui suivent, d’adopter un plan de relance féministe.

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