Sororité, adelphité, intersectionnalité : de quoi parle-t-on ?

« Sororité », « intersectionnalité », « adelphité »… Autant de termes qu’on retrouve de plus en plus fréquemment dans les discours  féministes militants et plus globalement dans les mouvements de solidarité, sans nécessairement en comprendre tout le sens. Cet article se donne pour ambition de définir ces termes, pour comprendre ce qu’ils recouvrent, et comment les employer.

Sororité : un terme qui évolue au fil des siècles et s’impose dans le débat public

Définition :

Sororité : vient du latin « soror », signifiant sœur. En latin médiéval, ce mot désignait une « communauté religieuse de femmes ».

C’est à partir du XVIe siècle, grâce à Rabelais, que sa définition est revue. Le terme de « sororité » est entendu comme « une communauté de femmes ayant une relation, des liens, qualité, état de sœurs ». Il n’est plus cantonné et restreint à la structure familiale, et exempt de toute domination masculine.

Plus tard, les militantes féministes des années 1970 font (ré)apparaître le terme de « sororité », longtemps oublié, voire « invisibilisé », dans l’espace public et militant, en proposant un substitut « sorore » au terme de « fraternité ».

La sororité renvoie à « une relation horizontale, sans hiérarchie ni droit d’aînesse. Un rapport de femme à femme, ni fille ni mère (…) » comme l’introduit Chloé Delaume dans son ouvrage collectif intitulé Sororité. Ce dernier réunit des femmes, toutes artistes, journalistes, autrices, performeuses qui proposent une à une leur vision de la sororité, tantôt validé, enrichi, désapprouvé.

Tous leurs textes proposent « d’envisager la sororité comme un outil de pouvoir féminin, à repenser ce que signifie être une femme aujourd’hui, à questionner les rapports de domination et à imaginer le monde de demain ».

Adelphité : une inclusivité dans les rapports et relations

Définition :

Lauren Bastide, journaliste, podcasteuse et militante féministe, indique dans l’ouvrage collectif Sororité préférer le terme d’ »adelphité » à celui de « sororité ».
Le terme d’adelphité, plus « neutre » et surtout plus inclusif, regroupe à la fois la fraternité et la sororité, sans dimension ni mention genrée ; et désigne la solidarité entre ses semblables, qu’ils soient hommes, femmes ou non binaires.

Intersectionnalité : un terme indispensable dans la compréhension des combats féministes

Ce concept, développé par la juriste afro-américaine Kimberlé Crenshaw en 1989 dans son oeuvre Demarginalizing the Intersection of Race and Sex : A Black Feminist Critique of Antidiscrimination Doctrine, Feminist Theory and Antiracist Politics montrait initialement la double discrimination de genre et de race qu’elle subissait, la mysoginoire ; autrement dit la misogynie que subissent les femmes noires.

Ce terme a ensuite été « élargi » pour désigner la situation de personnes subissant simultanément plusieurs formes de domination ou de discrimination qui s’entrecroisent et se recoupent. Il permet de prendre en compte le fait qu’il y a des femmes qui subissent à la fois le sexisme et, par exemple, la pauvreté, le racisme, le classisme, les discriminations liées au handicap, à l’âge, à l’alphabétisation et la scolarisation, les discriminations en ce qui concerne le lieu de résidence (rurale / urbaine), les discriminations liées à l’identité de genre ou encore à l’orientation sexuelle. Il est essentiel que tous les sujets concernant les droits des femmes soient traités avec une perspective intersectionnelle. Une telle perspective conduit à une meilleure compréhension de chaque situation, à des solutions plus adaptées pour lutter contre les discriminations et à plus de solidarité et de sororité entre des femmes et filles dans toutes leurs différences (définition extraite du guide d’activisme « Générations Féministes », réalisé par Equipop en partenariat avec le Réseau des Jeunes Féministes d’Afrique de l’Ouest).

Rokhaya Diallo, journaliste française et figure du féminisme intersectionnel, expliquait ainsi son engagement dans les colonnes du quotidien suisse Le Temps : « L’intersectionnalité permet de décrire le fait que toutes les femmes ne vivent pas dans les mêmes conditions. Une femme d’origine asiatique vit le sexisme et le racisme. En ce sens, elle se retrouve à l’intersection de plusieurs types d’exclusion. Elle vit une condition singulière, qui doit être décrite et décryptée comme telle. Il s’agit de comprendre qu’il existe des femmes musulmanes, des femmes pauvres, des queers, des trans, des femmes qui sont en situation de handicap, qui ont besoin d’outils pour analyser leurs conditions spécifiques. Si on ne se penche pas sur les particularités de ces femmes qui vivent plusieurs types de dominations, on ne pense alors qu’à la majorité des femmes dominantes sur le plan économique et intellectuel. »

Si tous ces termes doivent être définis pour être mieux compris, utilisés et appréhendés, ils sont également tous politiques et ont l’ambition de nommer et de rendre visible certaines discriminations ou invisibilisations que subissent les femmes au sein de la société patriarcale dans laquelle nous vivons. Car, comme le souligne l’autrice Chloé Delaume : « Un nouveau mot, c’est une nouvelle façon d’exister ». Par ce biais, les femmes regagnent du terrain. Et le programme de la romancière est vaste mais précis : modifier le langage pour modifier le réel.