Le développement va de pair avec la mobilité humaine

Au cours des dernières décennies, et surtout depuis 2015, la gestion des migrations a occupé une place centrale dans la politique extérieure de l’UE et dans ses relations avec les pays tiers. Il reflète un effort visant à réduire le nombre de migrants traversant les frontières et à augmenter les retours. Ce faisant, l’UE a non seulement ignoré les besoins des personnes et des communautés dans les pays partenaires, mais aussi les priorités de ces pays.

Nous avons vu que l’aide au développement de l’UE au cours des cinq dernières années a été de plus en plus consacrée à la fermeture des frontières, à l’étouffement des migrations et à la poussée des retours de migrants principalement vers l’Afrique. Dans le cadre du Fonds fiduciaire de l’UE pour l’Afrique par exemple, plus d’un milliard d’euros a été alloué à cette fin. En revanche, seuls 56 millions d’euros, moins du 1,5 % du fonds, ont été alloués au financement de programmes de migration régulière. Le nouveau NDICI-Global Europe, le principal instrument financier de l’UE pour l’action extérieure, risque de tomber dans le même piège car il a comme objectif de consacrer 10 % à la « gestion » de la migration à travers un mélange toxique d’externalisation des frontières et d’utilisation de la conditionnalité de l’aide.

Dans plusieurs pays, l’intégration des politiques migratoires dans l’action extérieure de l’UE a été pour le moins contre-productive. Dans la région du Sahel, notamment au Burkina Faso, la pression exercée par l’UE pour empêcher les gens de quitter leur domicile n’a pas pris en compte les sécheresses à répétition et la situation sécuritaire déstabilisante. Cela a alimenté les inégalités, sapé la protection, en particulier pour les femmes, et a contribué à un cercle vicieux de fragilité.

Au Niger, la pression de l’UE pour modifier les lois et les politiques sur la migration a réduit l’accès des communautés locales aux moyens de subsistance, et les efforts de contrôle des migrations ont affaibli la résilience et la confiance des communautés dans leurs dirigeants. Pendant ce temps, la Libye reste l’exemple le plus enrageant de coopération et de financement de l’UE avec des autorités qui, par exemple, alimentent la traite d’êtres humains.

En travaillant avec les pays partenaires à travers l’aide au développement, nous constatons que celle-ci est souvent utilisée comme levier pour faire pression, en particulier sur les gouvernements africains pour qu’ils coopèrent avec les demandes européennes de lutte contre les migrations non régulières. Cette approche provoque des frictions entre l’UE et les gouvernements africains, qui soulignent que la pression européenne pour arrêter la migration nuit à la relation avec leurs citoyens, qui font confiance à leurs dirigeants pour promouvoir les options de développement.

Ainsi, l’externalisation des frontières et la conditionnalité de l’aide à la coopération avec l’obsession de l’UE en matière de migration intérieure sont défectueuses à bien des égards : elles vont à l’encontre des principes d’efficacité de l’aide de l’UE ; il permet au financement de ne pas aller là où il pourrait avoir le plus d’impact ; il ignore la relation entre migration et développement ; et cela détruit la confiance avec les gouvernements des pays tiers.

C’est un tableau sombre, mais c’est aussi la réalité.

Pour s’éloigner de ces politiques destructrices, dans lesquelles les partenariats migratoires ne servent que les intérêts à courte vue de l’UE, un nouveau paradigme est nécessaire, qui considère la protection des migrants, en promouvant le respect des droits humains, prend les pays partenaires et leurs priorités au sérieux, et reconnaît surtout que le développement va de pair avec la mobilité humaine.

Alors que le monde est aux prises avec l’impact social et économique de la pandémie de Covid-19, l’UE et ses États membres doivent saisir cette opportunité de changement et utiliser l’aide au développement pour combattre véritablement la pauvreté et soutenir les pays partenaires qui accueillent la majorité des personnes déplacées du monde.

Mais il ne peut pas être atteint seulement à travers le financement. Cela nécessite également une refonte complète de l’approche de l’UE en matière de migration et de développement, qui comprend une étroite collaboration avec les États membres de l’UE dans le cadre des initiatives Team Europe ; l’introduction de programmes de migration régulière ; et le respect des droits humains et du droit international dans toutes les politiques migratoires de l’UE.

Rappelons aussi que la mobilité humaine fait partie de notre histoire, de notre identité, que les sociétés sont en changement constant. Les sociétés ont toujours bénéficié de l’accueil de personnes venues de tout le monde, même quand l’intégration demande temps et effort autant aux migrants qu’aux sociétés qui les accueillent.