Le 27 août 1994, l’Algérie fermait sa frontière avec le Maroc suite à une dispute diplomatique entre les deux pays engendrée par les attentats de Marrakech du 24 août 1994. Vingt ans plus tard, la frontière est toujours fermée et les tensions qui perdurent entre les deux pays, y compris celles liées à la question du Sahara occidental, sont un obstacle considérable à toute véritable initiative de construction d’un Maghreb uni.

A l’occasion des 20 ans de fermeture de la frontière Algérie-Maroc, Oxfam a souhaité donner la parole à six jeunes maghrébin-e-s né-e-s l’année où la frontière a été fermée. Interviewé-e-s par Oxfam entre juin et juillet 2014, ces jeunes reviennent sur leur vie, leurs aspirations et sur leur perception d’un Maghreb Uni et des obstacles qui bloquent cette intégration. Parmi eux, Abderrahman Mohamed Sidi, 20 ans, Sahraoui.

Mon histoire, mon engagement

J’habite à Smara (un camp de réfugiés dans le sud de l’Algérie) chez mes parents, mais j’étudie la médecine à Barcelone depuis que j’ai 17 ans. Quand j’étais plus jeune, je pensais que le monde tournait autour des camps, qu’un "autre monde" en dehors de celui que nous connaissions n’existait pas. Et puis, pour tout jeune Sahraoui, un jour vient la prise de contact avec "le monde extérieur". C’est par ce contact, grâce à un échange à l’âge de 8 ans avec les iles Canaries, et la comparaison avec les autres situations que ma propre conscience s’est construite. Pour moi, ce nouveau monde était comme un rêve : tout était grand, démesuré. Après mon baccalauréat en Algérie, à 17 ans, grâce à mes bonnes notes et au soutien de ma famille, j’ai pu partir en échange à l’université de Barcelone.

Tu me demandes si je suis engagé, mais je te répondrai "Quel sahraoui ne l’est pas ?" (rires). Je fais partie de l’Union nationale des étudiants sahraouis. Je pense que la meilleure façon de lutter est pacifique. Contrairement à l’immense majorité des jeunes de mon âge, j’y crois vraiment. Les résolutions de l’ONU, le tribunal de la Haye, la communauté internationale… Chacun a son rôle. Les choses ne changent que si les gens sont éduqués, sensibilisés. Je comprends la frustration de la jeunesse, de la guerre qui revient dans les discours. Comment réagirais-tu face à 40 ans dans cette situation ? Moi, je ne veux pas connaitre ça, je ne veux pas en arriver là. Ce que je retiens de ceux qui l’ont vécu, c’est que la guerre nous fait perdre bien plus que des choses physiques, matérielles.

Mes amis et moi sommes frustrés du manque d’emploi, ici, et dans les autres pays du fait de la crise économique. Mais mon futur personnel, je ne peux l’imaginer de façon distincte de mon pays. Je continuerai donc mon engagement, dans un esprit pacifique, encore et encore.

Quelle union pour le Maghreb et quid de la fermeture de la frontière ?

La fermeture de la frontière, c’est avant tout une décision politique. Les jeunes ici ne connaissent pas vraiment les tenants et les aboutissants de cette fermeture. Depuis la "guerre des sables", il y a des antagonismes très anciens et très profonds entre l’Algérie et le Maroc. Avant, les revendications étaient territoriales, mais maintenant c’est une question de politique.

Je suis certain que l’obstacle principal de la création d’un Maghreb uni reste le conflit sahraoui. Mais il y a bien plus de choses qui nous rapprochent que de choses qui nous séparent. L’effort des politiques doit se concentrer sur la volonté de sortir des clivages politiques pour retrouver ces terrains d’entente. Les politiques sont fautifs, mais les éléments extérieurs (les entreprises étrangères qui exploitent les richesses, les puissances qui ont des intérêts dans la région) qui entérinent et soutiennent ces divisions sont aussi responsables.

Nous avons la chance d’avoir une région très riche, avec des ressources fantastiques. La fermeture de la frontière empêche le partage des richesses de chacun de ces pays. De l’Union d’un Maghreb des peuples, on arrivera très vite vers un Maghreb économique et commercial. Imagine la complémentarité économique, entre le phosphate du Maroc, le pétrole de l’Algérie, de la Libye, la pêche du Sahara Occidental… Des économies complémentaires, cela fonctionne très bien en Europe.

Il existe une migration, elle est constante mais elle n’est pas libre. Personnellement, j’ai été en Algérie, en Mauritanie. Ouvrir la frontière ne suffit pas pour instaurer une libre circulation des personnes, il faut une volonté politique. Etre réfugié, c’est être dans une prison humaine et bureaucratique : pour voyager, je dois montrer mes papiers sahraouis mais ce n’est pas suffisant. Je dois montrer ma carte de réfugié. C’est une barrière immense pour voyager.

Ce qui nous unit, c’est une histoire, une langue, une religion. Malgré cela, nous partageons les mêmes minorités, et les protéger est aujourd’hui un vrai défi. Les valeurs humaines doivent être la pierre fondamentale pour transcender les clivages. Pour toutes ces raisons, le principal développement régional devra se faire dans l’investissement humain : les pauvres, minorités, les droits de tous, l’éducation, la santé.

Faire tomber le mur, et ouvrir la frontière ne suffira pas : nous sommes responsables d’améliorer notre propre futur, nous devons dialoguer et savoir quelle est la meilleure manière de vivre ensemble. Clairement, ce n’est pas celle du monde qu’on nous propose actuellement.