Le 27 août 1994, l’Algérie fermait sa frontière avec le Maroc suite à une dispute diplomatique entre les deux pays engendrée par les attentats de Marrakech du 24 août 1994. Vingt ans plus tard, la frontière est toujours fermée et les tensions qui perdurent entre les deux pays, y compris celles liées à la question du Sahara occidental, sont un obstacle considérable à toute véritable initiative de construction d’un Maghreb uni.

A l’occasion des 20 ans de fermeture de la frontière Algérie-Maroc, Oxfam a souhaité donner la parole à six jeunes maghrébin-e-s né-e-s l’année où la frontière a été fermée. Interviewé-e-s par Oxfam entre juin et juillet 2014, ces jeunes reviennent sur leur vie, leurs aspirations et sur leur perception d’un Maghreb Uni et des obstacles qui bloquent cette intégration. Parmi eux, Défa Sall, 20 ans, Mauritanienne.

Mon histoire, mon engagement

J’habite à Tevragh Zeina à Nouakchott, je suis née et j’ai grandi ici. Je suis étudiante en "banque, finances, assurance" depuis deux ans. Ce sont des matières qui m’inspirent, j’aime en particulier les finances, c’est ce qui m’a poussé à choisir ces études.  En fait, on n’a pas beaucoup de choix en termes de filières, c’était la seule qui m’intéressait. De plus les métiers de la banque et des assurances sont des métiers relationnels et de contact avec les gens, et c’est cet aspect qui me plait le plus.

Je n’ai pas d’activités associatives mais si je devais choisir un thème sur lequel m’engager ce serait celui de la réconciliation entre les populations maures et les populations noires en Mauritanie. Il existe depuis longtemps des tensions entre ces deux populations. L’obstacle majeur à la réconciliation c’est que les gens ne se comprennent pas et ne parviennent pas à régler leurs rancœurs. De plus, les deux populations vivent séparées. Je n’ai par exemple que très peu d’amies maures, une ou deux pas plus.

Quelle union pour le Maghreb et quid de la fermeture de la frontière ?

Avoir un Maghreb uni serait une force. Mais je ne vois pas la Mauritanie comme faisant partie du Maghreb, nous on ne se considère pas comme faisant partie du Maghreb. On est plus proche de l’Afrique de l’Ouest.

Je suis déjà allée au Sénégal. On voyage principalement en Afrique de l’Ouest soit en voiture soit en avion, après c’est l’Europe. La première raison c’est la facilité, c’est moins cher d’aller au Sénégal.

Pour les échanges universitaires, j’ai deux sœurs qui sont allées faire leurs études au Maroc mais la plupart du temps les gens qui vont étudier à l’extérieur vont en Afrique de l’Ouest car il existe des échanges universitaires entre la Mauritanie et l’Afrique de l’Ouest ; il y a même des universités d’Afrique de l’Ouest qui viennent s’implanter en Mauritanie.

De plus les jeunes Mauritaniens, qu’ils soient noirs ou Maures, s’intègrent mieux en Afrique de l’Ouest que dans les pays du Maghreb. C’est dû à la culture, les Mauritaniens et les Sénégalais ont la même culture alors qu’avec les Marocains il y a de grandes différences culturelles. Il y a plein de points communs entre le Sénégal et la Mauritanie. Ce sont les mêmes populations, il y a des Wolofs ici, il ya des Wolofs là-bas ; il y a des Maures ici, il y a des Maures là-bas ; il y a des Peuls ici, il y a des Peuls là-bas, etc. En plus on parle la même langue. Au Maroc, l’obstacle majeur c’est la langue. En Mauritanie, c’est le français qui prédomine, seulement  1% de la population parle vraiment arabe.

Ce n’est pas facile pour nous de voyager au Maghreb en raison du coût de la vie élevé et de la barrière du visa. Il est par exempleinexplicable que l’on ait besoin d’un visa pour voyager vers le Maroc alors que c’est un pays frontalier ! Pour voyager au Sénégal, on n’a pas besoin de visa, ça facilite les échanges avec ce pays. Je pense qu’il y aurait plus d’échange entre la Mauritanie et le Maroc si on enlevait le visa, il y a beaucoup plus de gens qui partiraient au Maroc. C’est une barrière importante.

Pour la Mauritanie, un Maghreb intégré comprenant la Mauritanie serait bénéfique car elle permettrait l’ouverture des frontières et favoriserait le développement en facilitant l’implantation d’entreprises maghrébines et donc la création d’emplois. En plus, cela faciliterait les possibilités de voyage intra-Maghreb. Mais je ne pense pas que l’intégration du Maghreb (Grand Maghreb) soit réalisable. Pas du moment que la population mauritanienne ne se considère pas comme faisant partie du Maghreb. Ce sentiment est dû à la différence de culture et de langue. L’intégration à l’Afrique de l’Ouest se ferait de façon beaucoup plus simple. On s’entend déjà bien, il y a des migrations et du commerce, il ne manque plus que la Mauritanie adhère formellement à la CEDEAO (Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest). Il y a quand même une partie de la population qui se considère comme Arabe et revendique son rattachement aux pays du Maghreb.

La fermeture de la frontière entre le Maroc et l’Algérie n’est pas une bonne chose. Ce sont deux pays frontaliers qui appartiennent au même groupe, des pays arabes avec la même culture, qui parlent la même langue. Cette fermeture n’est pas profitable, ni au Maroc ni à l’Algérie. Pour avoir un Maghreb uni, il faut tout d’abord ouvrir les frontières et permettre la libre circulation des personnes et des marchandises.