L’austérité : aussi une question de genre

En cette semaine de journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, Oxfam publie un rapport sur l’impact genré des politiques austéritaires actuellement mis en place dans un grand nombre de pays du monde.

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Le choix de l’austérité renforce les inégalités et les violences basées sur le genre

Les inégalités économiques : une forme de violence basée sur le genre

Les violences basées sur le genre englobent un très large éventail de pratiques néfastes à l’égard des femmes, des filles et des personnes LGBTQIA+ : cela va de la violence interpersonnelle, conjugale et physique à la privation des droits civiques et des capacités de décision, en passant entre autres par l’enfermement des femmes dans des rôles stéréotypés.

La violence économique est une forme de violence basée sur le genre moins souvent prise en compte, alors qu’elle affecte la vie des femmes de manière quotidienne et systématique. Elle est une forme de violence basée sur le genre car elle découle des choix politiques d’une élite qui ne tiennent pas compte des besoins des femmes, réduisent les services déjà inadéquats dont elles dépendent et relèguent leur sécurité et leur bien-être au second plan. Cette violence peut également accroître et exploiter les oppressions auxquelles les femmes sont confrontées dans la société. Elle provoque au final la souffrance des femmes et les expose à un risque accru de préjudice physique, économique et psychologique.

L’austérité est sexiste

L’austérité désigne les politiques mises en œuvre par les États dans le but de réduire les déficits budgétaires et la dette souveraine. Alors qu’il serait sans doute possible d’atteindre ces objectifs en augmentant les recettes de manière progressive, les mesures d’austérité comprennent notamment l’introduction ou l’augmentation d’impôts indirects régressifs tels que la TVA, la réduction des dépenses publiques notamment dans la santé, l’éducation et la protection sociale, la privatisation de services publics ainsi que la « flexibilisation » du marché du travail. En fin de compte, l’austérité est un choix politique explicite qui fait payer aux pauvres, en particulier aux femmes et aux autres groupes marginalisés, le prix des chocs économiques, tandis que les riches supportent des coûts négligeables.

L’austérité à un impact très concret : c’est moins d’argent des Etats pour financer l’hôpital public et l’accès aux soins universel, pour les écoles et les salaires des enseignant-e-s, pour renforcer et/ou créer des systèmes de protection sociale telle que les retraites et les congés parentaux.

Des exemples concrets :

  • En 2020, le Nigeria a annoncé des coupes de 42 % et 54 % dans les secteurs de la santé et de l’éducation, respectivement, en réponse à la pandémie de COVID-19, ainsi qu’en prévision de la crise économique et de l’augmentation de la dette qui s’ensuivraient. Le Nigeria présente des taux de mortalité et de morbidité maternelles parmi les plus élevés au monde. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), le risque à vie pour une femme nigériane de mourir pendant la grossesse, l’accouchement, le post-partum ou après un avortement est de 1 sur 22, contre 1 sur 4900 dans les pays riches. On peut redouter une aggravation de ces chiffres étant donné les nouvelles coupes prévues dans les dépenses publiques de santé.
  • Au Sénégal, par exemple, la privatisation qui a suivi le démantèlement progressif de la société publique de distribution d’eau a entraîné des hausses de prix, creusant les inégalités car les personnes vivant dans la pauvreté consacrent une part plus importante de leurs revenus à l’eau que les riches, et que ce sont majoritairement les femmes qui ont la responsabilité de la gestion de l’eau au sein des foyers. Les familles vivant dans la pauvreté ont dû se résoudre à aller chercher de l’eau à des sources non salubres et à réduire le budget du ménage consacré à la nourriture et aux autres biens et services essentiels. Cela a entraîné l’apparition de maladies transmises par l’eau et la multiplication des cas de malnutrition, ce qui a eu pour effet d’accroître les responsabilités pesant sur les femmes en matière de soins, au chevet des personnes tombées malades.
  • Plus de la moitié des pays qui prévoient de couper leur budget de protection sociale en 2023 dans le cadre des mesures d’austérité sont des pays où il n’existe déjà pas ou peu d’aide à la parentalité (congés parentaux ; garde de la petite enfance), donc des Etats qui devraient fortement investir dans ces secteurs pour faire avancer les droits des femmes.

La pandémie a aggravé les inégalités entre les femmes et les hommes partout dans le monde et fait perdre des décennies de progrès. Pour corriger le tir les Etats doivent prendre des mesures de rattrapage ambitieuses. Pourtant, dans le sillage de multiples crises mondiales et alors que les femmes et les filles se trouvent déjà dans des situations financières difficiles, une nouvelle vague d’austérité se profile : selon une analyse des projections du FMI, 85 % de la population mondiale peut s’attendre à connaître des mesures d’austérité en 2023. Malgré les preuves de ses effets dévastateurs, des États du monde entier acceptent et appliquent largement la « logique » de l’austérité, et l’on voit les idées néolibérales adoptées à la suite des crises de la dette des années 1980 continuer de se répandre.

Les violences économiques en France

> Retrouvez ici le chapitre France du rapport

En France également, les femmes subissent une violence économique empirée par des décennies de politiques de restriction des services publics.

En 2019, 36% des mères de famille monoparentale vivaient sous le seuil de pauvreté contre 22% des pères de famille monoparentale. Les femmes sont plus concernées par le temps partiel, qui contribue largement à la précarité : 28.3% des femmes sont en temps partiel, contre 8.3% des hommes. Il faut ajouter qu’au moins ⅓ des femmes à temps partiel sont en temps partiel subi et que 48% des femmes à temps partiel le sont en raison du travail de soin non-rémunéré, qui n’est donc pas pris en charge par un conjoint.

Les femmes continuent à être victimes de ces inégalités à la retraite : la pension moyenne de droit direct des femmes est inférieure de 40,2 % à celle des hommes. Parmi les personnes pauvres de plus de 75 ans, il y a deux fois plus de femmes que d’hommes, et on compte 10,1% de femmes pauvres contre 6,6% d’hommes pauvres dans cette tranche d’âge. Ces inégalités économiques ont des conséquences extrêmement lourdes : les femmes sont celles qui parviennent le moins à subvenir à leurs besoins alimentaires et à ceux de leurs enfants. Le Secours Catholique montre dans son rapport Etat de la pauvreté en France 2022 que le niveau de vie mensuel médian des mères isolées de leur étude est passé de 730 € avant la pandémie de Covid-19 à 710 € deux ans après. Pour les 25% des femmes seules les plus pauvres dans l’étude du Secours Catholique, le niveau de vie mensuel arbitrable est passé de 130 € avant la pandémie à 60 € deux ans après.

En France, les femmes représentent 64% des personnes qui ont recours à l’aide alimentaire.

En France, la dégradation de l’hôpital public nuit en priorité aux femmes, qui représentent 77% de la fonction publique hospitalière, et qui y sont payées en moyenne 22% de moins que les hommes. Alors qu’entre 15 et 49 ans, les femmes sont significativement plus souvent hospitalisées que les hommes, en lien avec la grossesse et l’accouchement, 10% des maternités en France sont en fermeture partielle, et 2/3 des maternités ont fermé depuis 40 ans.

L’insuffisance du financement des services publics se répercute directement sur la lutte contre les inégalités femmes-hommes et en particulier contre les violences sexistes et sexuelles. Ainsi, en 2020, alors que les appels au 3919 avaient augmenté de 70% par rapport à 2019, le nombre de prises en charge n’a augmenté que de 22%. Dans le budget 2023, l’objectif de prise en charge des appels au 39 19 est encore revu à la baisse. Selon la Fédération nationale Solidarité Femmes (FNSF), qui gère notamment le 3919, une demande d’hébergement sur trois seulement pouvait obtenir une réponse positive. La FNSF estime que le nombre de places nécessaire est de 23 460. Ainsi, malgré l’augmentation annoncée en 2022, il faut encore multiplier le nombre de places d’hébergement par 2,4.

Des alternatives économiques féministes existent !

Dans ce rapport Oxfam prône des alternatives féministes et viables pour mettre fin à l’austérité.

  1. Adopter une budgétisation et une fiscalité féministe. Il est urgent de mettre en œuvre des mesures fiscales progressives qui financeront des mesures puissantes pour réduire les inégalités. Un impôt progressif sur la fortune, compris entre 2 % et 10 %, prélevé sur les millionnaires et les milliardaires du monde entier pourrait rapporter 1 100 milliards de dollars de plus que les économies annuelles moyennes que les États prévoient de réaliser grâce aux coupes budgétaires. Développer à l’échelle nationale et locale la budgétisation genrée qui permet d’évaluer l’impact différencié sur les femmes et les hommes des choix politiques et budgétaires. Et enfin augmenter l’aide publique au développement qui doit financer les politiques en faveur de l’égalité femmes-hommes et les mouvements féministes dans les pays les plus pauvres.
  2. Investir dans les services publics et lutter contre la privatisation des services essentiels. Les États continuent de reléguer au second plan les besoins des femmes et des filles : seulement 2 % du montant des dépenses publiques consacrées à la défense pourraient mettre fin aux violences interpersonnelles basées sur le genre dans 132 pays. Nous devons mettre en place des systèmes de protection sociale solides comprenant l’accès universel aux soins de santé, la protection contre les violences, des congés parentaux justement répartis, un accès juste et équitable aux services et des investissements dans les infrastructures de soins et un service public de la petite enfance.
  3. Garantir un travail décent et une protection sociale. Le travail décent (formel, informel, rémunéré et non rémunéré) est une revendication féministe essentielle pour combattre la violence économique basée sur le genre engendrée par l’austérité. Dans sa vision d’une transition juste, l’Internationale des services publics (ISP) appelle à une transformation féministe de la division du travail basée sur le genre, à la revalorisation du travail des femmes et des secteurs féminisés, et à l’élimination du patriarcat du salaire (c’est-à-dire l’invisibilisation et l’exploitation du travail des femmes).
  4. Investir dans la recherche et la production de connaissances afin de mieux éclairer les décisions. Les données restent l’un des plus grands défis à relever pour comprendre l’impact des politiques macroéconomiques sur les femmes, les filles et les personnes non binaires. Moins de la moitié des données nécessaires au suivi de l’ODD 5, « Parvenir à l’égalité des sexes et autonomiser toutes les femmes et les filles », sont disponibles. Selon la Division de la statistique des Nations Unies, il s’agit notamment de données qui concernent exclusivement ou principalement les femmes et les filles, qui couvrent un large éventail de questions socio-économiques et qui pourraient offrir un précieux éclairage sur les différences de bien-être selon le genre. Une recherche et une collecte de données appropriées aideront les décisionnaires à prendre des décisions éclairées au moment d’intégrer les besoins des différents genres dans leurs choix politiques.
  5. Soutenir la représentation et l’organisation féministes. Le pouvoir est encore trop largement masculin. Les Etats doivent accélérer leurs efforts et législation en matière de parité et de représentation des femmes dans les sphères décisionnaires. Il faut également augmenter significativement les financements vers les organisations féministes, en première ligne du combat pour l’égalité et l’élimination des violences envers les femmes.
Rapport-Oxfam-Austerite

Auteur :

Oxfam

Date :

22/11/2022