Surendettement des pays en développement : les banques françaises dans le viseur

Taux d’intérêts financiers, désintérêt humain
Le rôle des institutions financières françaises privées dans l’endettement des pays en développement

Un nouveau rapport d’Oxfam France et de la Plateforme Dette et Développement, s’appuyant sur l’analyse de dizaines de milliers de déclarations financières, montre que les acteurs privés sont aujourd’hui les principaux créanciers des pays en développement (environ 60%). Parmi eux, les principales banques françaises jouent un rôle central, notamment en Côte d’Ivoire et au Sénégal, où elles ont  réalisé d’importants profits pendant la pandémie.

Dette des pays en développement : une situation alarmante

La pandémie de Covid-19 et la crise économique ont frappé des pays pauvres déjà fragilisés par le poids d’une dette insoutenable. En 2019, la charge annuelle de ces emprunts atteignait 370 milliards de dollars. Des sommes considérables qui devraient aujourd’hui être consacrées au renforcement des systèmes sanitaires de ces pays, aux services essentiels et à la relance de leurs économies.

L’Initiative de suspension du service de la dette – ISSD, adoptée en urgence par le G20 au printemps 2020 pour alléger ce fardeau -, se limite à un simple report d’échéances, sans annulation ou restructuration durable de la dette, et suspend les remboursements des seuls créanciers publics bilatéraux, sans que les créanciers privés ne soient mis à contribution. Moins de 40 % des échéances des pays bénéficiaires seront ainsi reportées. Dans le même temps, ils verseront 17,5 milliards de dollars aux créanciers privés – banques commerciales, aux compagnies d’assurances ou aux fonds d’investissement – qui ont continué à exiger le remboursement de leurs créances.

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Les banques françaises actrices principales d’une nouvelle crise de la dette

  • Les créances bancaires détenues par des établissements hexagonaux sur les pays éligibles à l’ISSD ont ainsi été multipliées par quatre depuis 2010. À la veille de la crise sanitaire, ils percevaient, chaque année, plus de 200 millions de dollars de remboursements, dont près de 40 millions de dollars d’intérêts.
  • Par ailleurs, trois grandes banques françaises – BNP Paribas, Société générale et groupe Banque populaire / Caisse d’épargne (BPCE) – figurent dans les quinze groupes financiers mondiaux ayant pris en charge le plus grand volume d’émissions obligataires dans les pays pauvres éligibles à l’ISSD depuis janvier 2011. Elles ont placé près de 8 milliards de dollars sur les marchés financiers, pour le compte de huit pays parmi les plus pauvres de la planète (dont le Sénégal, la Côte d’Ivoire, le Rwanda, le Cameroun…).
  • Enfin, une banque française, le Crédit agricole, se hisse à la sixième position mondiale des principaux acheteurs d’obligations émises par les pays les plus pauvres. Elle devrait ainsi percevoir plus de 100 millions de dollars d’intérêts au titre de la seule année 2021.

Des conditions insoutenables provoquant une nouvelle crise de la dette

L’étude montre également qu’aujourd’hui plus un pays est considéré comme à risque de surendettement, plus le taux d’intérêt exigé est élevé : la moyenne des taux d’intérêts des obligations souveraines du Ghana et du Cameroun détenues par les investisseurs français atteint par exemple les niveaux exorbitants de 9,2 % et 9,5 %.
Dans le cas de la Côte d’Ivoire et du Sénégal, les filiales de banques françaises sont implantées de longue date. Ainsi, malgré la crise de la Covid-19 et son adhésion à l’ISSD, la Côte d’Ivoire devra verser à ses créanciers privés, entre mai 2020 et décembre 2021, plus que son budget de la santé.

  • Dans le même temps, au seul titre de leurs crédits bancaires, les banques hexagonales devraient engranger près de 133 millions de dollars de remboursements ivoiriens.
    Comme la Côte d’Ivoire, le Sénégal est confronté au poids croissant de ses créanciers privés, qui détiennent près de 40 % de sa dette à fin 2020. La charge de la dette a été multipliée par six depuis 2010, pour atteindre près du quart du total des recettes fiscales du pays.
  • Même si le Sénégal a demandé à participer à l’ISSD pour réduire ses échéances pendant la pandémie, il devra quand même rembourser 821 millions de dollars, entre mai 2020 et décembre 2021, aux détenteurs d’obligations souveraines. Les seuls intérêts perçus par ces derniers représentent davantage que le budget annuel du ministère sénégalais de la Santé et de l’Action sociale.
    Ces dizaines de milliards d’euros, qui enrichissent chaque année les créanciers privés, manquent aujourd’hui cruellement aux pays les plus pauvres pour répondre à la crise sanitaire et satisfaire les besoins les plus immédiats de leurs populations. La crise actuelle est désormais une crise profonde de solvabilité qui impose des restructurations d’ampleur et des annulations de créances.

Face à des décisions jusqu’ici décevantes, l’importance de mesures fortes

La pandémie de Covid-19 a montré qu’il n’était pas possible de compter sur la « bonne volonté » des acteurs financiers privés dans une telle situation. Pour permettre aux pays en développement de faire passer les droits fondamentaux de leurs citoyens avant le service de la dette, le rapport recommande notamment à la France de :

  • Contraindre les créanciers privés hexagonaux à prendre leur part dans les allégements à venir
  • De protéger, par des législations adéquates, les pays endettés contre les éventuelles procédures judiciaires lancées par les créanciers privés.
  • Œuvrer pour la mise en place d’un mécanisme multilatéral de restructuration des dettes souveraines, indépendant des créanciers, transparent et contraignant, qui donne la priorité aux droits humains et à la satisfaction des besoins fondamentaux des populations

Le rapport encourage également les créanciers privés à davantage de transparence sur les titres de dette qu’ils détiennent et de faciliter les éventuels processus de restructuration.

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Auteur(s) :

Oxfam France
Dette & Développement

Date de parution :

Octobre 2021