La Valette : un sommet sur la situation en Afrique, non sur l’agenda anti-immigration de l’UE

Les dirigeants européens et africains réunis aujourd’hui autour des questions de migration à La Valette doivent s’interroger sur les raisons et réalités qui poussent de nombreux hommes et femmes à quitter leur pays pour partir vers l’Europe, parfois au risque de leur vie.

Au cours de ces quinze dernières années, au moins 31 000 personnes sont mortes en tentant de gagner l’Europe1. Confrontés à un tel drame, les pays de l’Union européenne (UE) doivent, au cours de ce sommet, analyser ces réalités humaines sous l’angle de la protection des droits humains et non à travers le seul prisme du renforcement des frontières.

Lors de ce sommet, l’UE devrait annoncer un nouveau Fonds européen pour l’Afrique. Oxfam se réjouirait que l’UE décide ainsi de consacrer de nouvelles ressources à la lutte contre la pauvreté et les inégalités et à la prévention des conflits en Afrique. Cependant, le risque est grand que ces fonds soient dévoyés, pour n’être employés qu’à contrer l’immigration. Oxfam tient à rappeler que l’aide publique au développement (APD) n’est pas un instrument de gestion des flux migratoires mais bien une politique cruciale de solidarité internationale susceptible d’améliorer la vie des personnes et leur bien-être, d’offrir des opportunités en termes d’emplois. Elle n’est pas destinée à nier le droit fondamental des personnes à la mobilité.

« L’aide au développement doit contribuer à l’éradication de la pauvreté, en finançant l’éducation et la santé par exemple. Elle ne peut en aucun cas servir à la mise en place de nouveaux postes de contrôle ou de kilomètres de barbelés » souligne Christian Reboul, Responsable de plaidoyer Financement du développement à Oxfam France.  « Le Traité de Lisbonne est très clair : le but de l’aide au développement est de réduire la pauvreté. En conditionnant le versement de l’aide au développement à la mise en place de mesures coercitives anti-immigration, les Etats européens seraient-ils tentés de revenir sur ce traité qu’ils ont eux-mêmes négociés ? » interroge Christian Reboul. 

Une telle décision serait une véritable régression, mettant en danger quinze années de travail pour améliorer l’efficacité de l’aide au développement. « Pour atteindre son objectif de réduction de la pauvreté, l’aide au développement doit financer les seules priorités définies par les pays aidés, non pas servir l’agenda des Etats donateurs » explique Christian Reboul.

Développement et prospérité peuvent aller de pair avec une plus libre circulation des personnes. Oxfam a mené une étude en collaboration avec Adeso et le Global Center on Cooperative Security qui montre que, dans le cas de la Somalie, la migration peut avoir une incidence économique bénéfique, avec de nets avantages pour les pays d’accueil en termes de marché du travail, de contributions fiscales et sociales et de croissance économique2. De plus, une étude de l’université d’Oxford indique que l’amélioration du développement humain entraînera probablement une augmentation – et non une réduction – de la mobilité3.

L’Europe doit également reconnaître sa propre responsabilité dans le phénomène migratoire  et doit agir en conséquence, en concluant un accord sur le climat ambitieux lors de la COP21 à Paris, en mettant fin à l’évasion fiscale qui soustrait des milliards d’euros au financement du développement de pays africains chaque année et en limitant les transferts d’armes conformément au Traité sur le commerce des armes afin de cesser d’alimenter certains conflits en Afrique.

« Une première réponse très concrète que pourrait apporter la France serait l’annonce d’une augmentation des crédits budgétaires affectés à l’aide au développement. Alors que le budget 2016 est en discussion au Parlement, le gouvernement devrait également s’approprier l’initiative des députés visant à mobiliser des fonds additionnels pour le climat et le développement via la Taxe sur les transactions financières » estime Christian Reboul.

1. themigrantsfiles.com

2. Oxfam, Adeso et le Global Center on Cooperative Security, « Suspendus à un fil », février 2015 https://www.oxfam.org/fr/rapports/suspendus-fil-transferts-somalie

3. Entre autres : de Haas, Hein : « Migration transitions: a theoretical and empirical inquiry into the developmental drivers of international migration », documents de travail, International Migration Institute. Université d’Oxford : 2010.

Contact

Cécile Génot
Chargée de relations média
cgenot@oxfamfrance.org
+33 (0)1 85 34 17 66 / +33 (0)7 82 63 47 57

Notes aux rédactions

Christian Reboul, responsable de plaidoyer financement du développement, est disponible à Paris pour interview. Sara Tesorieri, conseillère d’Oxfam sur les politiques européennes en matière de migration, assistera au sommet de La Valette et est également disponible pour interview.

Statistiques de Migrants Files (themigrantsfiles.com) :

•  Au cours des quinze dernières années, au moins 31 476 personnes ont perdu la vie ou ont disparu en essayant de gagner l’Europe, dont 24 022 morts ou portés disparus sur les voies de la Méditerranée centrale et occidentale entre l’Afrique du Nord et l’Europe.

•  Dans le même temps, l’UE a dépensé 11,3 milliards d’euros en procédures d’expulsion, plus 1,7 milliards pour mettre en place des centres de détention en dehors de l’UE, notamment en Libye, fournir une assistance technique aux pays d’Afrique du Nord afin d’empêcher les réfugiés et les migrants de rejoindre l’Europe par la Méditerranée, construire des clôtures et des murs, dont une barrière de 11 km à Ceuta, sur la côte de l’Afrique du Nord, équiper les gardes-frontières de l’UE de drones, bateaux hors-bords, jumelles de vision nocturne et jeeps, entre autre matériel, ainsi que pour coordonner les efforts en matière de contrôle des frontières européennes.

•  De même, les réfugiés ont déboursé 16 milliards d’euros pour rejoindre l’Europe.