Loi PACTE : de maigres mesures pour moderniser l’entreprise du 21ème siècle

Alors que le projet de loi PACTE porte l’ambition d’adapter l’entreprise au 21ème siècle et de redéfinir les liens entre salariés et entreprises, Oxfam regrette que le texte présenté en Conseil des ministres laisse de trop nombreux angles morts, notamment en termes de transparence sur les écarts de salaires et d’encadrement des dividendes, pour permettre un partage plus équitable des bénéfices et un véritable rééquilibrage de la gouvernance entre les différentes parties prenantes.

Concernant la gouvernance et la redéfinition de l’objet social de l’entreprise, deux défis majeurs pour l’entreprise du 21ème siècle, les mesures proposées sont très en dessous de l’ambition affichée par le gouvernement.

Pour Manon Aubry, porte-parole d’Oxfam France : « Moderniser l’entreprise, c’est mettre en place une représentation paritaire des salariés dans les conseils d’administration pour remettre l’intérêt des salariés et de la société au cœur des décisions. Reconnaître la nécessité d’une plus grande présence salariée dans la gouvernance est un bon signal mais passer de un à deux salariés dans les instances de représentation relève à ce stade du cosmétique. Adapter l’entreprise aux défis de demain, c’est aussi revoir en profondeur l’objet social des entreprises pour que la prise en compte des enjeux sociaux et environnementaux ne soit pas une option mais un impératif. Et les modifications très attendues des deux articles du Code civil sur l’intérêt social de l’entreprise sont trop timides ».

Le gouvernement fait par ailleurs l’impasse sur toute mesure d’encadrement des versements des dividendes aux actionnaires, alors cette question a fait l’objet de nombreux débats ces dernières semaines et a suscité de fortes attentes.

A la suite de la publication de son rapport « CAC 40 : des profits sans partage » [1], Oxfam France défend plusieurs mesures à l’intention du gouvernement et des parlementaires pour un partage plus équitable de la valeur ajoutée dans l’entreprise.

Pour Manon Aubry : « Il y a une forme de paradoxe à parler du partage de la valeur ajoutée, de l’entreprise moderne, sans aborder la nécessaire question de l’encadrement des dividendes des actionnaires, qui a atteint un niveau record ces dernières années et qui vaut à la France d’être le pays où les entreprises reversent la plus grande part de leurs bénéfices à leurs actionnaires, plus des deux tiers ! Supprimer le forfait social sur l’épargne salariale ne peut être la réponse adéquate pour un partage plus équitable des richesses créées par l’entreprise : cela risque d’inciter les employeurs à privilégier l’intéressement au détriment du salaire et cela représente de surcroit un manque à gagner conséquent pour les finances publiques.

Alors que la course à la rémunération des actionnaires a poussé certaines entreprises à rémunérer ses actionnaires au-delà même des bénéfices réalisés, y compris malgré des pertes [2], comment le gouvernement peut-il fermer les yeux sur ces pratiques risquées et même dénoncées par de plus en plus d’acteurs du milieu économique ? »

Autre angle mort de la réforme : la régulation des écarts de salaire qui atteignent des sommets vertigineux dans les grandes entreprises françaises et participent à l’accroissement des inégalités au sein des entreprises. « La transparence sur les salaires des PDG, a permis d’amorcer un débat sur les écarts des salaires, comme en témoigne la polémique autour du salaire du PDG de Carrefour la semaine dernière mais cette mesure doit être complétée, a minima, par une obligation de transparence sur les différents niveaux de rémunération par décile afin de mesurer pleinement l’ampleur du phénomène et de le réguler » insisteManon Aubry. L’ONG demande ainsi que la loi exige des entreprises qu’elles publient les données sur les rémunérations des salariés comme les rémunérations médiane, moyenne et la plus basse, et le ratio entre cette rémunération et la rémunération la plus haute de l’entreprise. Les écarts de rémunération entre hommes et femmes à travail égal devraient également être publiés.

« Le gouvernement réforme l’entreprise à coups de mesures cosmétiques et de vieilles recettes, en laissant les salariés de côté. Aux parlementaires de démontrer le contraire et que l’entreprise de demain a un rôle à jouer dans le partage des richesses, la préservation du bien commun et la réduction des inégalités » appelleManon Aubry.

« Il est possible de rectifier la trajectoire du texte en faveur des salariés et de l’intérêt général. Cela passe par une obligation de transparence sur les niveaux de salaires dans les entreprises, par des règles contraignantes pour que la part des bénéfices reversée sous formes de dividendes ne représente pas davantage que la part des bénéfices redistribuée aux salariés, ou encore par l’augmentation de la représentation des salariés dans les instances de décision ».

Contact

Pauline Leclère
pleclere@oxfamfrance.org
07 69 17 49 63

Notes aux rédactions

[1] Oxfam France et le BASIC (Bureau d’Analyse Sociétale pour une Information Citoyenne) ont publié le 14 mai 2018 une étude inédite sur le partage de la richesse au sein des entreprises du CAC40 depuis 2009. Dividendes record, écart des salaires et évasion fiscale, le rapport « CAC40 : des profits sans partage » met en lumière une tendance lourde dans les choix économiques de ces grandes entreprises qui contribuent à alimenter la spirale des inégalités.

  • Depuis 2009, les entreprises du CAC 40 ont reversé plus de deux tiers de leurs bénéfices à leurs actionnaires sous forme de dividendes, ne laissant que 27,3 % au réinvestissement et 5,3 % aux salariés. La France est ainsi le pays au monde où les entreprises cotées en bourse reversent la plus grande part de leurs bénéfices en dividendes aux actionnaires.
  • En 2016, les entreprises du CAC 40 ont ainsi reversé près de 15 fois plus de bénéfices à leurs actionnaires qu’aux salariés.
  • En 2016, les PDG du CAC 40 gagnaient en moyenne 119 fois plus que la moyenne de leurs salariés au sein de leurs entreprises alors que ce dernier écart n’était que de 97 en 2009.
  • En 2016, les entreprises du CAC40 comptent 1 454 filiales déclarées dans les paradis fiscaux.

[2] : Les dividendes versés par Engie à ses actionnaires depuis 2009 ont ainsi représenté plus de trois fois le montant de ses bénéfices et en 2016 le groupe a même versé quinze fois plus de dividendes que de bénéfices. Le groupe Arcelor a reversé des dividendes substantiels quatre années de suite entre 2012 et 2015 alors que l’entreprise affichait des pertes. Résultat, le groupe affiche plus de 7 milliards de pertes sur la période 2009 – 2016 et a pourtant versé plus de 3,3 milliards de dividendes au cours de la même période