Pénurie d’eau à Mayotte : une crise qui aurait pu être évitée

A Mayotte, la situation devient de plus en plus intenable pour ses habitant·e·s qui doivent faire face à une pénurie d’eau. En effet, les réserves d’eau (nappe phréatique, deux réserves collinaires, une usine de dessalement et plusieurs rivières) sont quasi-intégralement épuisées et la saison des pluies ne démarrera qu’en novembre au mieux, la crise climatique décalant chaque année cette date. Elle ne pourrait potentiellement intervenir qu’en janvier prochain.

Par conséquent, la préfecture de Mayotte a décidé de couper l’eau deux jours sur trois, organisant des “tours d’eau” par zone géographique. La situation est telle que d’ici fin septembre, le département ne pourra produire que 20 000 m³/jour d’eau soit moins de la moitié des besoins en eau de l’île. 

Des témoignages s’accumulent sur la situation gravissime que subissent les habitant.es du département. Des cas de déshydratation, d’impossibilité de se laver ou de tirer la chasse d’eau, des maladies liées au manque d’eau et à sa qualité apparaissant, des habitant.es remplissent leur poubelle d’eau en prévision des coupures, etc. La situation est d’autant plus alarmante qu’elle doit perdurer jusqu’à la saison des pluies, c’est à dire dans seulement trois mois, au mieux.

A Mayotte, une sécheresse sans précédent aggravée par l’inaction de l’Etat

Une situation qui aurait pu être anticipée

Cette crise de l’eau est la conséquence de la plus grave sécheresse que vit Mayotte depuis 1997. Pourtant, la situation aurait pu être anticipée. Mayotte, département français, est une île de l’archipel des Comores, situé dans le canal du Mozambique, à l’ouest de Madagascar. Partagée elle-même en deux îles ceinturées d’une barrière de corail, sa surface totale ne dépasse pas 380 km2. Sa population, en forte croissance, est évaluée à 320 000 habitant.e.s (cf. actualisée INSEE 2023). La couverture des besoins élémentaires (eau potable, assainissement…) n’est pas encore assurée pour tout.e.s les Mahorais.e.s. La ressource en eau par habitant.e est très faible, ce qui place Mayotte en situation de pénurie au regard des critères de l’organisation mondiale de la santé (OMS), alors que la croissance démographique de l’île augmente la demande  (+10 700 naissances en 2022).

Plusieurs facteurs aggravent le manque d’eau sur l’île, issus de l’absence de réponse politique adéquate. D’abord, le réseau de distribution est extrêmement fragile : ⅓ de l’eau collectée serait perdue à cause des fuites.

De plus, la majorité des masses d’eau de l’île sont dans un état écologique “mauvais” ou “médiocre”, en raison de pollutions liée au déchets, et aux pollutions multiples comme le mentionne le SDAGE (Schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux), pour la période 2022 – 2027, document public de référence sur la gestion de l’eau du territoire. 

L’impact du changement climatique sur l’Ile est également connu et évalué par l’administration, dans le même document, de longue date. Pourtant l’autorité environnementale soulignait en 2021 que le SDAGE ne “permettra pas à elle seule une mise en conformité de l’assainissement avec la réglementation européenne et un travail considérable reste à accomplir en matière de gestion des déchets pour préserver les cours d’eau, les ravines, le littoral (mangroves) et le lagon.”

Une succession d’échecs politiques

Rien n’a été fait pour éviter la catastrophe que subissent les habitant·e·s de Mayotte aujourd’hui. En 2022, moins de la moitié des mesures annoncées en 2016 avaient été “engagées ou terminées”, mesures elles-mêmes considérées déjà comme insuffisantes. 

Le réseau de distribution d’eau est géré par le Syndicat intercommunal des eaux. En 2020, la Cour des comptes critiquait déjà fortement la gestion de ce syndicat et ses dépenses, avec pour effet collatéral d’affaiblir le système de distribution des eaux, et son incapacité à anticiper de potentiels phénomènes de sécheresses, multipliées par la crise climatique. 

En effet, les infrastructures de production et d’approvisionnement d’eau potable sont insuffisantes alors que le besoin en eau croît rapidement. Cela s’explique par l’incapacité des décideur·ses politiques à anticiper les besoins et l’adaptation nécessaire de l’Ile. Plusieurs élus du conseil départemental, fonctionnaires (de la direction de l’environnement de l’aménagement et du logement, responsable de la gestion de l’eau) et de la préfecture ont d’ailleurs été condamnés pour corruption et prise illégales d’intérêts à de multiples reprises.

Le syndicat a été incapable d’engager les travaux d’amélioration du réseau, pourtant financés à hauteur de 140 millions d’euros par l’Etat et l’Union européenne.

De plus, l’Ile bénéficie de plusieurs dizaines d’espèces endémiques dont la survie dépend des zones humides, du second plus grand lagon du monde et de mangroves qui entrent dans le cycle de l’eau et notamment sa qualité, en plus d’autres services fondamentaux pour les écosystèmes. Pourtant, force est de constater que l’Etat échoue à protéger ces milieux naturels malgré les statuts de protection existants. Cet échec se traduisant ensuite par une eau de moins bonne qualité et en quantité plus limitées. 

Enfin, le département de Mayotte détient le record de déforestation de France, pour construire des habitations, ou installer des surfaces cultivées. Pourtant, les forêts permettent de capter et stocker plus d’eau, participant au remplissage de la nappe, à la qualité de l’eau et plus généralement à l’équilibre du cycle de l’eau. On estime qu’une centaine d’hectares de forêt permet de stocker 400 000 m3 d’eau dans les nappes, qui seront alors disponible en saison sèche.

L’urgence mal gérée par le gouvernement

Le gouvernement a annoncé vouloir distribuer quotidiennement deux litres d’eau maximum par personne aux plus vulnérables, notamment les femmes enceintes et les enfants de moins de 2 ans : 51 000 personnes seraient identifiées. Toutefois, les critères d’éligibilité (dispoer d’une pièce d’identité, ou encore un “justificatif” de vulnérabilité), ne favorisent pas la distribution.

Parallèlement, bien que le gouvernement ait gelé les prix de vente des bouteilles d’eau commercialisées sur le territoire, nous constatons que ces mesures ne sont souvent pas respectées en pratique ainsi que des ruptures de stocks régulières dans les plus grands magasins de l’île.

En plus de cela, d’après de multiples témoignages d’instituteurs, les élèves sont contraints de remplir leurs gourdes avec de l’eau non potable issue des robinets des établissements car aucune bouteille d’eau n’est disponible. Dans certains cas, les chasses des toilettes scolaires n’étant également plus alimentées, la consigne est donnée d’utiliser les environs.

Pire, aux niveaux des centres de santé, des contrôles d’identité et des interpellations ont lieu  par les forces de l’ordre aux abords des points d’eau, ce qui dissuade de nombreuses personnes de s’approvisionner à ces endroits et d’avoir recours aux soins.

Pénurie d’eau à Mayotte : quelles solutions ?

Les solutions “pansements” annoncées par le gouvernement, comme la distribution de bouteilles d’eau, ne sont pas à la hauteur de l’enjeu. La situation doit être traitée de façon structurelle pour garantir aux habitant·e·s de ce département l’accès équitable à une ressource vitale et protéger plus globalement les milieux aquatiques. Pour cela, il est indispensable d’actionner deux leviers : réduire nos émissions de gaz à effet de serre pour réduire l’impact de la crise climatique et s’adapter aux effets déjà palpables.

  • Investir massivement pour renouveler et améliorer le réseau de distribution d’eau afin de prévenir des futures fuites et plus généralement d’adapter le territoires aux futurs aléas climatiques ; La non-prise en compte de la situation migratoire de Mayotte par le gouvernement français biaise toute réflexion globale et stratégique sur l’accès à l’eau. Au-delà des solutions techniques, une réponse politique et sociale est nécessaire. Il faut intégrer la réflexion sur l’accueil digne des migrants pour apporter une réponse socialement juste à l’accès à l’eau.
  • Les usages industriels et agricoles représentent 15% des prélèvements totaux du département et les risques de pollutions sont multiples. Il faut prévenir des pressions du secteur privé sur la ressource et des pollutions induites, notamment au niveau des zones portuaires, en établissant un plan de dépollution et de prévention des pollutions.
  • Les milieux naturels sont soumis à de fortes pressions : le lagon souffre de l’apport de déchets et du rejet d’eaux usées insuffisamment traitées sur le littoral et dans les cours d’eau ; la déforestation et l’urbanisation détruisent des habitats naturels et portent atteinte au lagon par apport d’eau douce, de déchets et de sédiments. Il est urgent de protéger la ressource à travers des pratiques de protection de la biodiversité, afin d’en améliorer la qualité et la disponibilité. Par exemple, il faut finaliser au plus tôt la délimitation des zones sensibles au titre de la directive Eaux résiduaires urbaines ou intégrer dans le suivi du Sdage l’état des mangroves et du lagon, ainsi que d’augmenter significativement les moyens des associations et de l’Etat pour contrôler et dépolluer les mangroves.
  • Donner les moyens d’actions aux associations locales afin de contribuer à l’amélioration de la disponibilité de la ressource, à l’adaptation et l’atténuation des effets du changement climatique et créer un espace de concertation local et démocratique en lien avec le CEB.
  • Stopper la déforestation massive de l’île en l’interdisant localement et réformer le code forestier afin de prévenir de futurs abattages.  Reforester l’île afin de garantir l’écoulement de l’eau dans la nappe et participer à améliorer le cycle de l’eau.
  • Sanctuariser les centres de soins ainsi que des points collectifs de distribution afin d’assurer un accès ininterrompu et sans crainte à l’eau potable pour tous les habitant.es de l’île.

Plus globalement, sur le long terme, il faut engager une réelle politique pour réduire nos émissions de GES. Sans traiter la crise climatique à la racine, les solutions resteront des pansements sur une jambe de bois pour les mahorais.