Conférence de Madrid : crise alimentaire, s’attaquer aux causes réelles

Les 26 et 27 janvier 2009 s'est tenue à Madrid la conférence de haut niveau sur "La sécurité alimentaire pour tous", dont l'objectif était de faire le bilan des actions de la communauté internationale depuis les "émeutes de la faim" en avril 2008. Questions à Jean-Denis Crola, d'Oxfam France – Agir ici, qui a assisté à la rencontre.

1) Quel était l'objectif de cette conférence et en quoi était-elle importante ?

Après les "émeutes de la faim" qui ont été largement relayées en avril 2008, la crise économique et financière a éclipsé la lutte contre la faim de l'agenda politique. Pourtant, bien que les prix alimentaires aient baissé ces derniers mois, ils ne sont pas revenus à leur niveau d'origine, privant des millions de personnes supplémentaires d’une nourriture en quantité et de qualité suffisante. La population qui souffre de la faim n'a cessé d'augmenter, atteignant aujourd'hui 1 milliard d'individus, soit près d'une personne sur 6 dans le monde. Cette situation est sans cesse aggravée par les effets de la crise économique, qui détruit des emplois et diminue la capacité des Etats à venir en aide durablement à leur population. Dans ce contexte, la conférence de Madrid, qui a réuni les responsables de gouvernement du monde entier, a permis de réaffirmer la volonté politique de s'attaquer durablement à la faim dans le monde. L'objectif de la conférence était de faire le bilan des actions de la communauté internationale depuis le printemps dernier. Force est de constater que les engagements, déjà insuffisants, n'ont pas été tenus par les pays donateurs : sur les 22 milliards de dollars annoncés en juin dernier pour lutter contre la crise alimentaire, moins de 10 % ont effectivement été délivrés.

2) Quelles étaient les demandes du réseau Oxfam ?

Oxfam a appelé la communauté internationale à revoir en profondeur son approche de la lutte contre la faim en s'attaquant à ses causes réelles. En effet, la production mondiale est actuellement suffisante pour nourrir l’ensemble de la planète, tandis que la crise alimentaire n'est pas un phénomène récent. Plus de 850 millions de personnes, principalement en milieu rural, souffraient déjà de la faim depuis des décennies. Cette situation est le résultat de plusieurs facteurs : sous investissements dans l’agriculture vivrière ; politiques agricoles et commerciales agressives mises en place par les pays du Nord – Europe et Etats-Unis en tête ; réformes menées par la Banque mondiale et le FMI, qui ont démantelé les instruments de politique agricole dans les pays du Sud. Si l’aide alimentaire, majoritairement en provenance des pays riches, est nécessaire pour sauver des vies, elle ne peut en aucun cas se substituer à une action de long terme. Il faut donner les moyens aux Etats de mettre en place des mécanismes de protection sociale, soutenir le pouvoir d’achat des populations par des transferts d’argents ciblés ou des programmes de travaux publics, avec la garantie d’une rémunération minimum. Pour cela, il est nécessaire que les pays donateurs tiennent leurs engagements financiers et coordonnent leurs actions pour soutenir les programmes mis en place par les gouvernements des pays du Sud. Oxfam a aussi exhorté la communauté internationale à investir massivement dans l’agriculture familiale et vivrière et à réformer ses politiques commerciales, agricoles et de développement, afin qu’elles soient en cohérence avec la lutte contre la faim dans le monde et garantissent le droit à l’alimentation des populations du Sud.

3) Quels ont été les résultats obtenus ?

La conférence de Madrid s’est tenue sur fond de forte tension entre les tenants d’une relance agricole productiviste, qui ont appelé à la mise en œuvre d’une nouvelle révolution verte dans les pays du Sud, et les partisans d’une approche plus globale, préconisant une accélération de la lutte contre la pauvreté. Derrière ces positions, deux analyses antagonistes des cause de la faim se confrontent, et donc des réponses qui y seront apportées par la communauté internationale. Les discours de clôture de José Luis Zapatero, Premier ministre espagnol, et de Ban Ki Moon, Secrétaire général des Nations unies, ont donné raison aux tenants d’une approche globale, appelant à une mobilisation sans précédent pour faire face aux conséquences de la crise économique dans les pays du Sud. L’Espagne a d’ailleurs annoncé l’augmentation de ses financements pour lutter contre la faim et appelé à un mécanisme contraignant pour assurer la délivrance des fonds promis. Par ailleurs, en lançant un processus de consultation de l’ensemble des parties prenantes (y compris de la société civile et des organisations paysannes) pour la création d’un Partenariat mondial pour l’agriculture et la sécurité alimentaire, les Nations unies ont montré leur résolution à réviser les mécanismes d’aide et d’intervention existants, afin d’en améliorer l’efficacité. Un premier pas peut-être vers une remise en question des politiques des pays riches en matière de lutte contre la pauvreté… Reste que la conférence de Madrid a surtout fait le constat du non-respect des engagements financiers pris en juin dernier par les pays donateurs et du manque de coordination des interventions sur le terrain. Les populations des pays du Sud sont, comme d’habitude, les premières victimes de ce manque de volonté politique.