Comment l’appétit commercial des pays riches empêche les pays les plus pauvres de jouir de leurs droits

Jugées par beaucoup trop techniques et peu sexy pour les média, les négociations importantes qui ont eu lieu en juin à l'Organisation mondiale du commerce (OMC) sur l'application des règles de propriété intellectuelle par les pays les moins avancés (PMA) sont passées quelques peu inaperçues, malgré l'importance des enjeux pour le développement de ces pays.

Ce vide médiatique a permis aux nations les plus riches d'exercer une pression énorme et injuste sur les pays les plus pauvres pour imposer leur vision des choses. Heureusement de nombreuses organisations de la société civiles à travers le monde se sont mobilisées pour soutenir les PMA dans ces difficiles négociations et faire entendre leurs droits.

Lorsque l'OMC a été créée en 1995, des règles internationales de protection de la propriété intellectuelle basées sur les modèles occidentaux furent également mises en place pour tous les pays membres. (ADPIC, aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce, ou TRIPS en anglais) Heureusement, les négociateurs de cet accord ont reconnu que les pays les plus pauvres – les PMA – n'avaient pas la capacité d'appliquer ces règles compliquées en raison de leur difficile situation économique et leur ont accordé une période de transition. Les PMA ne devraient pas appliquer l'accord ADPIC jusqu'en 2006. Il est important de souligner que l'accord ADPIC prévoit un article dédié aux PMA qui les autorise à soumettre des demandes de transition. La situation des PMA n'ayant pas fort changée en 2006, cette exemption fut prolongée une nouvelle fois jusqu'en juin 2013.

5 à 7 ans pour se mettre au niveau des pays riches

En vue de cette nouvelle échéance, et n'étant toujours pas en mesure d'appliquer les règles de propriété intellectuelle, Haïti a introduit au nom du groupe des PMA une nouvelle demande de transition en novembre 2012, en accord avec le Traité ADPIC. L'histoire ayant montré que des transitions de quelques années n'étaient pas suffisantes, Haïti a demandé que les PMA soient exemptés d'appliquer les accords ADPIC aussi longtemps qu'ils appartiennent à la catégorie des PMA. Cette demande a été rejetée catégoriquement par les pays riches. Durant les négociations autour de cette transition, les Etats-Unis et l'Union européenne ont adopté une posture extrêmement agressive et inflexible. Pour eux, les PMA devaient avoir une nouvelle transition de 5 à 7 ans maximum avec des conditions attachées leur imposant de ne pas modifier ou supprimer des règles de propriété intellectuelle déjà établies dans leur pays, même si celles-ci vont à l'encontre de leur développement. Une si courte période ne suffit pas pour permettre aux PMA d'acquérir les éléments nécessaires (personnel qualifié, base scientifique et technologique, système de régulation) à la mise en œuvre des accord ADPIC et encore moins de bénéficier de cet accord en terme de développement économique et social.

Défendre la propriété intellectuelle ou sauver des vies ?

Les habitants des PMA, dont la grande majorité vit en Afrique, comptent parmi les plus vulnérables du monde. Plus de la moitié de cette population vit avec moins d'1,25$ par jour. Les PMA n'ont pas atteint un niveau de développement économique et social suffisant pour appliquer les accords ADPIC. Une mise en œuvre précipitée de cet accord aurait de graves conséquences sur l'accès aux technologies médicales, aux ressources éducatives aux semences et aux technologies pour faire face au changement climatique. Les PMA doivent consacrer leurs maigres revenus financiers à l'amélioration de leur développement, et non à la mise en place coûteuse de règles de propriété intellectuelle qui renforcent le monopole des entreprises occidentales ! Voilà pourquoi il est inacceptable et indécent que l'UE et les USA aient usé de leur pouvoir économique et politique pour mettre sous pression les PMA pendant les négociations, mettant ainsi la protection de la propriété intellectuelle au-dessus de l'intérêt de citoyens ordinaires de pays comme le Niger, la Somalie ou le Malawi.

Sursis

Le 11 juin 2013, les PMA ont finalement échappé au pire et obtenu une nouvelle transition de 8 ans grâce à leur ténacité. Bien qu'étant insuffisant, ce lapse de temps donne un répit supplémentaire aux PMA et leur permet de se consacrer à l'essentiel : l'amélioration des conditions de vie de leur citoyens.