Coronavirus : un sursaut de l’aide au développement peut sauver des millions de vies – et réunir notre monde divisé

Par Julie Seghers, responsable du financement du développement pour Oxfam International (@JulieSeghers).

 

Un sursaut urgent et massif de l’aide internationale est nécessaire pour soutenir les pays les plus pauvres à faire face aux impacts sanitaires, sociaux et économiques de la crise du coronavirus. Oxfam estime que les pays les plus riches doivent contribuer à une « juste part » de l’effort à travers près de 300 milliards de dollars – moins que la richesse des trois hommes les plus riches du monde. Cette crise constitue également une opportunité pour transformer à long terme l’aide au développement pour que le monde ne soit plus jamais aussi peu préparé à une telle crise.

40 millions de décès. Un demi-milliard de personnes basculant dans la pauvreté. Voilà ce que pourrait être le bilan désastreux du coronavirus si rien n’est fait. Personne n’est immunisé face à ce virus, mais cette pandémie frappera indubitablement plus fortement les plus pauvres, aggravant encore plus les inégalités déjà indécentes dans le monde.

Ces projections peuvent être évitées, si nous agissons maintenant. Les pays les plus riches doivent rendre disponible des financements pour les pays en développement et leur citoyens pour endiguer la pandémie, éviter une catastrophe humanitaire et prévenir un effondrement de leurs économies. Dans le rapport d’Oxfam « Le prix de la dignité », nous présentons 4 actions pour répondre à la crise : l’annulation immédiate de la dette, la création monétaire par le FMI, l’adoption de mesures fiscales progressives d’urgence et – une injection massive de fonds d’aide au développement – un levier puissant de solidarité internationale capable de sauver des vies.

Les pays donateurs doivent prendre 3 mesures pour que l’aide au développement réponde à cette crise sans précédent :

  1. Injecter urgemment des financements supplémentaires pour répondre au défi de la crise.
  2. Soutenir les pays dans le financement de politiques de prévention, de renforcement des systèmes de santé et de transfert de liquidités.
  3. Poser les bases d’une transformation en profondeur du système de l’aide internationale pour que les pays soient mieux préparés à l’avenir.

1. Augmenter l’aide au développement à un niveau jamais connu auparavant

Cela signifie d’abord de protéger les fonds d’aide existants. Certains pays donateurs, sous la pression politique de prioriser les réponses nationales à la crise, sont tentés de couper leur budget d’aide internationale. Cela représente un manque d’humanité et de solidarité intolérable. Mais également un choix inefficace. Après s’être propagé ailleurs, le virus pourrait revenir aussitôt à nos propres frontières.

Cela signifie donc une injection massive de nouveaux fonds pour soutenir les pays les plus pauvres à faire face à cette crise sans précédent – des financements additionnels aux fonds d’aide préexistants. Les Nations unies estiment que 500 milliards de dollars d’aide sont nécessaires pour les pays en développement. Selon les calculs d’Oxfam, la « juste part » pour les pays donateurs de l’OCDE serait de près de 300 milliards de dollars [1]. Cette somme est raisonnable au regard des milliers de milliards que les pays sont en train d’injecter dans leurs relances nationales. Cela représente moins que la richesse des trois hommes les plus riches du monde. Certains pays donateurs, comme la France, ont déjà annoncé la réallocation de fonds existants dans leur réponse à la crise du Coronavirus. Cette réponse court-termiste doit absolument être évitée car elle risque de détourner des fonds de programmes essentiels et de faire reculer les efforts dans le combat contre d’autres maladies tout aussi dévastatrices.

Cela signifie d’enfin respecter l’engagement d’allouer au moins 0,7% de sa richesse nationale à la solidarité internationale. Cet engagement a été pris pour la première fois dans l’enceinte des Nations unies en 1970, et répété à de multiples reprises par les pays riches depuis. Pourtant, en 2019, seulement cinq pays avaient atteint cet engagement, en moyenne les pays donateurs consacrent seulement 0.3% de leur richesse à l’aide au développement.

2. Prioriser dans la réponse d’urgence la prévention, la santé, la protection sociale et l’aide alimentaire pour endiguer la propagation du virus et sauver des vies

La priorité doit être de soutenir les politiques de prévention et de santé publique des pays en développement. Ces pays ne sont pas bien équipés pour faire face à la crise : la République centrafricaine par exemple ne dispose que de 3 respirateurs, équipement indispensable pour soigner les personnes atteintes du Covid19. Oxfam a appelé à un plan d’urgence pour la santé demandant le doublement immédiat des dépenses de santé dans les 85 pays les plus pauvres pour sauver rapidement des vies.

L’aide doit également permettre de financer des transferts de liquidités immédiats ainsi que d’autres mécanismes de protection sociale et d’aide alimentaire, pour que les personnes puissent faire face à la maladie ainsi qu’à la perte de revenu. L’urgence est de permettre aux populations les plus vulnérables de faire face : l’aide peut jouer ce rôle. Pourtant, en 2018, seulement 1% de l’aide internationale était investie dans les mécanismes de protection sociale.

La façon dont on fournit l’aide a également son importance. L’aide doit être délivrée sous forme de dons et non de prêts, pour ne pas renforcer l’endettement des pays les plus pauvres. Afin de ne pas créer de systèmes parallèles, les pays donateurs doivent également s’appuyer sur les systèmes nationaux et les acteurs humanitaires locaux, notamment les organisations dirigées par des femmes et des réfugié-e-s. Ils et elles sont en première ligne de la crise, ils et elles doivent être en première ligne de la réponse à la crise. Là où cela est possible, l’aide doit être fournie sous forme d’appui budgétaire pour que les pays n’aient pas à couper les dépenses publiques pour faire face à la crise.

3. Transformer l’aide au développement en faveur d’un monde plus juste et résilient

L’histoire a souvent montré que de crises naissent des changements majeurs. L’aide au développement elle-même est apparue au lendemain de la seconde guerre mondiale. La crise sans précédent que nous vivons actuellement doit être un moment de renouveau pour l’avenir de la coopération internationale. Alors que le Coronavirus menace de faire reculer des décennies de combat contre la pauvreté, nous devons saisir cette opportunité pour sauver des vies – et réparer un système qui a laissé des millions de personnes de côté.

Cette crise appelle à réellement placer la lutte contre les inégalités au cœur de l’agenda de la cooperation internationale. La crise du Coronavirus nous démontre une nouvelle fois comment l’aggravation des inégalités affaiblit notre capacité à faire face aux menaces existantes. Il est temps de mettre en place une aide au développement féministe, plaçant la réduction des inégalités entre les femmes et les hommes à son cœur. Il est temps que l’aide priorise le renforcement des services publics, levier puissant contre les inégalités. De plus d’aide pour renforcer la capacité des pays à lever justement l’impôt et de soutenir une citoyenneté active qui permette aux populations de demander des comptes à leurs gouvernements. De plus d’aide pour construire une économie humaine respectueuses de la planète. Mais il est aussi temps pour les pays donateurs d’arrêter de se servir de l’aide pour leur propre intérêt économique et migratoire ou pour pousser à la privatisation dans les domaines de la santé et de l’éducation, aggravant les inégalités.

Il est enfin temps de faire rendre le système d’aide plus légitime et inclusif. A minima, cela nécessite que les décisions concernant l’aide ne soient pas prises seulement par les pays donateurs, mais à pied d’égalité avec les gouvernements des pays en développement et en associant la société civile. Mais pourquoi ne pas voir plus grand ? En posant les bases d’un système qui n’est plus basé sur la bonne volonté des pays riches à « donner », mais sur un mécanisme obligatoire de redistribution des richesses à l’échelle internationale entre les pays les plus riches et les pays les plus pauvres, nous pourrions enfin passer de la charité à la justice.

 

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[1] Oxfam base ses calculs de “juste part” à partir de du revenu national brut (RNB) des donateurs. Les membres du comité d’aide au développement (CAD) de l’OCDE représentent 59% du RNB mondial, ainsi leur juste part des appels à financement internationaux représente 59% de la cible financière. Ceci signifie qu’ils devraient fournir 293 milliards de dollars en réponse aux 500 milliards d’aide nécessaires selon les Nation Unies.

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