Les droits de tirages spéciaux, un soutien nécessaire aux pays pauvres

Le Fonds monétaire international (FMI) a acté le 4 août 2021 l’émission de 650 milliards de dollars de Droits de tirage spéciaux (DTS), ce qui constitue la plus grande création monétaire d’urgence de son histoire. Cette émission pourrait avoir un impact décisif pour le développement et la lutte contre les inégalités dans les pays les plus pauvres si les pays riches acceptaient de faire le nécessaire. On vous explique tout ici !

 

650 milliards de dollars de Droits de tirage spéciaux : une décision historique ?

Qu’est-ce que les Droits de tirage spéciaux ?

Les droits de tirage spéciaux ou DTS ont été créés en 1969 par le FMI. Conçus pour permettre à ses membres (190 pays actuellement) d’accroître le niveau de leurs réserves de change, ils contribuent à apporter plus de liquidité au système économique mondial. Il ne s’agit pas d’une monnaie classique mais plutôt d’une ligne budgétaire que chaque pays détenteur des DTS peut convertir en argent afin de renforcer ainsi sa propre économie. Ces émissions se déroulent en plusieurs étapes :

  • Selon le règlement du FMI, il est nécessaire avant tout d’avoir un accord issu des voix de 85 % du conseil des gouverneurs pour acter cette émission. Le conseil des gouverneurs est l’organe de décision suprême du FMI qui est composé d’un gouverneur pour chaque pays membre, bien souvent le ministre des Finances ou le dirigeant de la Banque centrale (actuellement Bruno Le Maire pour la France).
  • Lorsqu’une allocation est approuvée, les DTS sont distribués aux pays membres en proportion de leur contribution au FMI (qui varie en fonction de leur poids dans l’économie mondiale). La France a reçu par exemple 4 % de cette nouvelle allocation, les États-Unis 14 % tandis que le Burkina Faso 0,025 %, le Mali 0,04% et le Sénégal 0,07%, tout trois des pays sahéliens, la priorité géographique de notre politique internationale.
  • Les pays détenteurs de DTS peuvent ensuite en disposer librement, sans créer de dette supplémentaire : les utiliser pour rembourser leurs obligations auprès du FMI, s’en servir comme garantie, ou les échanger entre pays en contrepartie de monnaies classiques (à un taux d’intérêt plus faible que sur les marchés classiques) ce qui permet d’ajuster leurs réserves de change ou effectuer des paiements.

Face à la crise sanitaire du Covid-19, par exemple, l’argent issu des DTS pourrait être alloué par les gouvernements en place au renforcement du système de santé public ou toute autre mesure d’intérêt général qui bénéficierait au plus grand nombre ou aux populations les plus précaires. En outre, cette nouvelle allocation du Fonds monétaire international permettra de mettre à disposition des pays en développement des financements plus que nécessaires, sans alourdir le fardeau insoutenable de leur dette.

Pourtant, les ressources dégagées par le FMI se révèlent malheureusement insuffisantes pour répondre de manière satisfaisante à l’ampleur de cette crise, surtout pour les pays les plus pauvres.

Quelle utilité pour les pays en développement ?

L’émission du mois d’août décidée par le FMI a donc offert des ressources supplémentaires pour les pays en développement en fonction de leur poids dans l’économie mondiale. Le Sénégal a reçu par exemple 461 millions de dollars. Une somme qui a été réinvestie dans leur système de santé, la production de vaccins mais aussi afin de financer les bourses de sécurité familiale. Ce programme constitue l’un des piliers de la politique de protection sociale universelle du pays. Ce sont plus de 300 000 personnes pauvres dans le pays qui reçoivent trimestriellement cette bourse, ce qui permet aux plus démunis de parer aux dépenses essentielles et donc de réduire l’extrême pauvreté.

Début février 2022 on estimait qu’au moins 30 pays allant du Mexique à la Colombie en passant par les Philippines, l’Iraq, le Malawi et le Niger avaient d’ores et déjà utilisé l’intégralité des Droits de tirages spéciaux qu’ils ont reçu dans leurs budgets nationaux. Ce qui prouve que l’utilisation des DTS afin de soutenir les services publics, en particulier renforcer les systèmes de santé dans ce contexte de pandémie, n’est pas simplement possible mais surtout nécessaire pour les pays en développement. L’utilisation de la totalité des sommes qui leur ont été alloués en août mets aussi en exergue la nécessité d’apporter des ressources supplémentaires.

Les Droits de tirage spéciaux, un premier pas bienvenu mais encore insuffisant pour aider les pays les plus pauvres

En 2020, les économies africaines ont subi une chute brutale des prix des matières premières et du tourisme à un moment où elles étaient déjà en situation de surendettement. La fuite des capitaux des pays émergents s’est élevée à 95 milliards de dollars au mois de mars 2020. La plus grande sortie de capitaux jamais enregistrée d’après Kristalina Georgieva, directrice générale du FMI.

D’après une étude publiée en avril dernier par l’Union Africaine, près de 20 millions d’emplois pourraient être détruits à cause de la pandémie, sans compter une possible flambée de la dette. Dans ce scénario, il est clair qu’il est indispensable d’accroître les efforts déjà entrepris par la communauté internationale et de prendre d’autres mesures ambitieuses pour contrer les dégâts de la crise dans les pays en développement.

Pourquoi ce système reproduit les inégalités criantes du système financier mondial 

Les pays les plus riches accaparent la majorité des DTS

Dès le début de la crise, en avril 2020, Oxfam appelait à une émission sans précédent de DTS de 1000 milliards de dollars. Avec plus de 200 autres organisations de la société civile nous avons exhorté le G20 à soutenir une émission significative de DTS pour aider les pays en développement à faire face à la pandémie de COVID19.

Mais même s’il est une variable très importante, le montant des DTS n’est pas le seul élément à prendre en compte. Les DTS sont distribués parmi les pays en fonction de leur poids dans l’économie mondiale. Les pays les plus riches de la planète accapareront ainsi la plupart des DTS. Seulement 22 milliards sont aller en pratique soulager les caisses des pays les plus pauvres de la planète alors qu’au même moment, rien qu’en Afrique subsaharienne, l’ensemble des pays de la région auront besoin d’un surcroît de financement extérieur de 425 milliards de dollars sur ces cinq prochaines années pour regagner le terrain perdu pendant la crise.

De l’autre côté, les pays du G7 ont reçu à eux seuls 280 milliards de dollars soit 40% de la totalité de l’émission. Un système qui reproduit les inégalités criantes du système financier mondial. Face à cette situation, il est primordial que les pays les plus riches de la planète réaffectent  une partie substantielle de leurs DTS – au grand minimum 100 milliards de dollars comme convenu par le G7 – pour fournir un soutien sans dette et sans conditionnalité aux pays qui en ont le plus besoin. Il en va de l’intérêt de tous.

Les gouvernements doivent travailler de manière transparente et en étroite collaboration avec la société civile pour s’assurer que ces ressources ainsi transférées soient bien utilisées pour réduire les inégalités et améliorer les conditions de vie de millions d’hommes et de femmes qui ne peuvent accéder à des soins de santé, à une éducation ou à un système de protection sociale digne de ce nom.

Le sommet entre l’Union Européenne et l’Union Africaine, une opportunité décisive

Le premier janvier la France a pris la présidence de l’Union Européenne pour 6 mois. Le président Macron a fait de la relation avec l’Afrique l’une des priorités de cette présidence. Dans cette optique le sommet entre l’Union Européenne et l’Union Africaine du 17 et 18 février 2021 sera décisif, il est l’occasion unique de défendre une plus juste répartition des droits de tirage spéciaux d’ores et déjà émis.

Le président français a déclaré devant le Parlement européen que les transferts de DTS seraient discutés lors de ce sommet. Comme toujours ces déclarations devront s’accompagner d’actes c’est pourquoi lors du sommet, Oxfam appelle l’Union européenne et ses Etats membres à un engagement fort autorisant une réallocation équitable et transparente d’au moins 100 milliards de dollars de DTS. Afin de garantir que les intérêts des Africains soient au centre de cette proposition, celle-ci devrait se faire sans dette, afin de ne pas alourdir le fardeau des pays les plus pauvres, sans conditions politiques, et être accessible aux pays dont les revenus sont intermédiaires. Ces sommes perçues devront être orientée vers le soutien des services publics et des travailleurs du secteur public dans les domaines de la santé et de l’éducation.

La crise de la dette : un problème qui ne doit pas être ignoré

L’annulation de la dette des pays les plus pauvres est essentielle

Les DTS ne peuvent pas être la seule solution proposée par la communauté internationale en matière économique. L’annulation urgente de la dette des pays à revenu faible et intermédiaire et l’augmentation des flux d’aide au développement sont d’autres moyens qui doivent être mis en place de façon urgente. Les inégalités se creusent de jour en jour, et si l’émission de DTS est un formidable coup de pouce, elle n’est tout simplement pas suffisante.

Une annulation temporaire de la dette permettrait aux pays concernés de consacrer des sommes d’argent importantes à la redynamisation de l’économie, à la création d’emplois et à l’amélioration des services sociaux.  Par exemple, le remboursement annuel de la dette du Burkina Faso, du Mali, de la Mauritanie, du Niger, du Sénégal et du Tchad est équivalent à 140% des sommes allouées à leurs budgets de santé. Pour ces pays, la simple annulation des remboursements de 2020 pourrait permettre à 20 millions de personnes d’avoir accès aux soins de santé primaires.

Des prêts « Covid » qui exigent des mesures d’austérité

Avant la pandémie, 113 pays avaient déjà prévu d’appliquer des mesures d’austérité sur incitation du Fonds monétaire international. Aujourd’hui, plus de 80% des prêts dits « Covid 19 » du FMI à des pays en développement encouragent ou exigent des mesures d’austérité supplémentaires dès cette année. Une pratique insupportable qui, face à l’urgence sanitaire et sociale du moment, ne devrait plus avoir lieu.

Comme nous l’avons vu pour que ce nouveau fonds de 650 milliards de dollars ne tombe pas dans l’oubli, malgré son caractère historique, pour qu’il soit bel et bien considéré comme une avancée majeure et un changement de perspective radicale dans la manière dont l’on perçoit la coopération multilatérale et la solidarité internationale, d’autres mesures ambitieuses doivent être prises de manière collective par la communauté internationale.