Agrocarburants : le double jeu de la France bloque la réforme européenne

D'après des informations confidentielles obtenues par les ONG, la France, cédant aux lobbies agro-industriels, s'apprête à soutenir une position catastrophique sur la question du soutien aux agrocarburants lors du prochain Conseil européen.

Depuis fin 2012, les institutions européennes se sont enfin lancées dans une réforme de leurs politiques de promotion des agrocarburants qui détruisent l'environnement, aggravent le changement climatique et provoquent l'insécurité alimentaire de centaines de millions de personnes dans le monde. La position de la France pourrait bloquer tout le processus.

Les négociations européennes sur la réforme des politiques de soutien aux agrocarburants arrivent à leur terme et, après un vote inquiétant du Parlement européen le 11 septembre dernier, l'avenir de la réforme repose désormais sur les épaules du Conseil européen. La France a jusqu'à présent refusé de communiquer sur sa position officielle, mais un document que se sont procuré les ONG montre que le gouvernement français, cédant aux lobbies agro-industriels, pourrait bien bloquer l'ensemble du processus européen.

En septembre 2012, le gouvernement Ayrault, reconnaissant l'impact des politiques de soutien aux agrocarburants sur la volatilité des prix alimentaires et la faim dans le monde, avait pourtant annoncé une pause dans le développement des agrocarburants en France, et mis en avant sa volonté de pousser ses partenaires européens dans cette voie. Mais les documents officiels démontrent qu'au contraire, la position défendue par la France au Conseil est l'une des plus conservatrices, et pourrait bloquer toute volonté européenne de réguler enfin les marchés d'agrocarburants :

  • La France défend un plafond à 7% d'incorporation d'agrocarburants dans les carburants traditionnels pour l'ensemble de l'Union Européenne. Cela représenterait une forte augmentation de la consommation d'agrocarburants au niveau européen, et irait à l'encontre de la stratégie française annoncée, puisque le taux moyen d'incorporation pour l'ensemble des Etats membres est aujourd'hui inférieur à 5%.
  • La France souhaite que les émissions de GES liées au CASI (Changement d'affectation des sols indirect) soient prises en compte dans une seule des deux directives encadrant les politiques européennes de soutien aux agrocarburants, et uniquement à des fins de reporting. Concrètement, cela signifie que la France ne s'oppose pas à ce que les agrocarburants consommés en Europe soient issus de la déforestation ou produits sur des terres accaparées dans les pays du Sud.

Avec une telle position, le gouvernement fait le choix de soutenir ses grands groupes agro-industriels, au mépris des conséquences avérées de la production d'agrocarburants sur la sécurité alimentaire et le climat. La France est en effet l'un des principaux producteurs d'agrocarburants en Europe, et les politiques européennes constituent une manne financière potentiellement considérable pour ses industries. Les conflits d'intérêts sur cette question sont évidents, puisque le président du leader du secteur en France, avec Sofiprotéol, est également président de la FNSEA, syndicat agricole majoritaire qui pèse lourd sur les décisions prises par le gouvernement.

Oxfam France, le Comité Français pour la Solidarité Internationale, le Réseau Action Climat France et Peuples Solidaires Action Aid France demandent à la France de revoir sa positon au plus vite, et de jouer le jeu de la transparence avec la société civile et les contribuables français qui financent massivement la production d'agrocarburants. Le gouvernement de M. Ayrault doit au plus vite :

  • S'engager à ne pas bloquer le processus de réforme européenne des politiques de soutien aux agrocarburants, et adopter vis-à-vis de ses partenaires une attitude de négociation constructive et transparente.
  • Soutenir une véritable pause européenne dans la promotion des agrocarburants, et donc un plafond d'incorporation inférieur ou égal à 5%.
  • Accepter de prendre en compte l'ensemble des émissions de GES liées à la production d'agrocarburants, directes et indirectes, et donc renoncer à promouvoir et à subventionner les agrocarburants plus polluants que les carburants fossiles.

Notes aux rédactions

Agrocarburants et changement climatique

Les agrocarburants de première génération sont produits à base de matières premières alimentaires. Leur production a des conséquences négatives sur le climat et la biodiversité. Les biodiesels, produits à partir d'huiles végétales, sont ainsi plus émetteurs de gaz à effet de serre que le diesel fossile. Ces émissions sont principalement liées au changement d'affectation des sols indirect (CASI). Afin de satisfaire la demande en agrocarburants, des terres cultivables de plus en plus nombreuses sur le territoire européen ont dû être converties à leur culture, alors qu'elles étaient auparavant utilisées pour nourrir les êtres humains et le bétail. De nouvelles terres doivent donc être défrichées ailleurs dans le monde, détruisant forêts, tourbières et prairies, et libérant du carbone dans l'atmosphère qui était jusqu'ici séquestré durablement dans le sol. En prenant en compte ce changement d'affectation des sols indirect, on constate que les agrocarburants émettent souvent plus de CO2 que les carburants fossiles. En outre, les monocultures d'agrocarburants mettent en péril la biodiversité.

Agrocarburants et sécurité alimentaire

En 2012, une étude de l'Institut pour la Politique Européenne de l'Environnement (IEEP) a démontré que les objectifs européens d'incorporation d'agrocarburants ont un impact majeur sur la hausse et la volatilité des prix alimentaires. A eux seuls, ils pourraient provoquer une hausse des prix de 20% sur les oléagineux, de 36% sur les huiles végétales, de 22% sur le maïs, de 21% sur le sucre, et de 13% sur le blé. Le consensus scientifique est tel que les plus grandes institutions internationales, telles que la FAO, le FIDA, le PAM, la Banque Mondiale et le FMI ont recommandé aux Etats membres du G20 d'éliminer de leurs politiques toute forme de mandats et de subventions à la production et à la consommation des agrocarburants.
En outre, les politiques de soutien aux agrocarburants jouent un rôle central dans le processus d'accaparement des terres au niveau mondial. En 2008, alors que la moyenne d'incorporation d'agrocarburants dans les carburants traditionnels en Europe n'était que de 3,5% (contre 4,8% aujourd'hui), une étude commandée par la Commission européenne estimait que l'on avait besoin de 70 000 kilomètres carrés pour produire les agrocarburants nécessaires à la consommation européenne. Près de la moitié de cette surface se situait en dehors de l'Union européenne, et aurait pu servir à nourrir 127 millions de personnes pendant une année entière.

Le coût des agrocarburants

Début 2012 la Cour des comptes montrait que, sur la période 2005-2010, les producteurs français d'agrocarburants avaient reçu 2,65 milliards d'euros de l'Etat du fait de la défiscalisation partielle dont bénéficie leur production, dont 1,8 milliards d'euros uniquement destinés aux producteurs de biodiesel. Sur la même période, les producteurs de biodiesel auraient réalisé des investissements à hauteur de 500 millions d'euros. En seulement 5 ans, ces investissements productifs ont donc été remboursés près de 4 fois par les contribuables français. En renouvelant cette niche fiscale jusqu'à fin 2015, le gouvernement Ayrault a fait un cadeau fiscal d'environs 80 millions d'euros à la filière du biodiesel pour la seule année 2013. Le groupe Sofiprotéol capterait, à lui seul, 50 millions d'euros, soit plus de 60% de cet énorme cadeau fiscal. Si le taux de défiscalisation restait constant jusqu'à la fin des nouveaux agréments (8 euros/hectolitre pour le biodiesel), fin 2015, Sofiprotéol empocherait 125 millions d'euros supplémentaires en 2014, et 133 millions d'euros supplémentaires en 2015. Le gouvernement Ayrault, en renouvelant ces agréments, aurait donc accordé à ce groupe un cadeau fiscal potentiel de 310 millions d'euros sur 3 ans.

Aller plus loin

  • Découvrir tout la travail d'Oxfam France sur les agrocarburants

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