Aide publique au développement : révélations sur le double jeu de la France

Quelques jours avant la publication par l'OCDE des {{[chiffres 2011->/L-aide-publique-au-developpement,1339]}} de l'aide publique au développement (APD), ce mercredi, un projet de rapport confidentiel de la Cour des Comptes que s'est procuré Oxfam France révèle que les autorités françaises ont, depuis quatre ans, systématiquement tenu un double langage sur ce sujet, et tenu secret les analyses et les calculs internes à l'administration sur le retard pris par la France sur ses engagements internationaux [[L'existence de ce rapport avait été révélée par {{[le magazine Challenges->http://www.challenges.fr/economie/20111130.CHA7737/la-cour-des-comptes-denonce-les-derives-de-l-aide-au-developpement.html ]}} le 30 novembre 2011.
_ Le rapport n'a toujours pas été publié. Interrogé par Oxfam France, le service de presse de la Cour des Comptes n'indique pas de date programmée de diffusion.]].

Si l'objectif de consacrer 0,7% de la richesse nationale à l'aide publique au développement d'ici à 2015 demeure l'objectif officiel affiché par la France, les recommandations ministérielles prescrivent elles, au mieux, une stabilisation du montant des dépenses d'aide au développement autour de 10 milliards d'Euros, et donc l'abandon de facto de l'objectif des 0,7% à court terme comme une cible réalisable.

Depuis des années, la France, et depuis 2007 par la voix du Président de la République Nicolas Sarkozy, affirme avec constance lors de tous les sommets internationaux vouloir consacrer 0,7% de sa richesse nationale à l'APD [Novembre 200 – Discours du Président Nicolas Sarkozy à la Conférence des Nations-unies sur le financement du développement à Doha :
_ « L'Europe sera au rendez-vous du 0,7 % en 2015. C'est un choix politique majeur, c'est un choix politique unanime et je demande aux pays qui sont ici et qui ne participent pas au continent européen de considérer qu'avec les difficultés sociales, économiques, financières, politiques qui sont les nôtres, ce choix est un choix fondateur.

eptembre 200 – Rencontre entre le Président de la République et les représentants des organisations non gouvernementales à l'Elysées. Il précisait à cette occasion :
_ « Notre effort en matière d'aide publique n'a cessé d'augmenter au cours des deux dernières années, passant de 0,37% du PIB en 2007 à 0,44% en 2009. La France reste ainsi le 2e contributeur au sein du G8 en part relative et le 4e contributeur mondial en valeur absolue. Elle maintient le cap pour atteindre d'ici 2015 l'objectif fixé par les Nations Unies de 0,7% ».

Mai 2010 – Réunion du co-secrétariat du Comité interministériel de la coopération internationale et du développement recommandant la stabilisation de l'APD à hauteur de 10Mds€, soit 0.41% en 2015.

Novembre 2011 – Intervention au Sénat du ministre chargé de la Coopération, M. Henri de Raincourt.]].

Or, les informations de la Cour des Comptes obtenues par Oxfam France, et dont la diffusion publique a été repoussée plusieurs fois, montrent que dès 2008, le gouvernement savait que la France prenait en réalité une direction diamétralement opposée à celle affichée publiquement, avec, en projection, un taux historiquement bas de l'APD française à l'horizon 2015. Cette projection estimait le niveau de l'APD à 0,29% du RNB en 2015, soit le niveau le plus bas jamais atteint par la France depuis la création de l'OCDE et de son outil statistique, en 1961.

« Les ONG connaissaient déjà le savoir-faire de la France pour gonfler artificiellement les chiffres de l'APD, mais l'objectif d'atteindre un niveau de 0,7% (du RNB) d'ici à 2015 demeuraient jusqu'alors le but officiel de la coopération française. Ce que révèle la Cour des Comptes, c'est la mise en place depuis 2008 d'une politique publique officieuse, un véritable mensonge d'Etat, organisé sur la réalité des objectifs de l'aide publique au développement française. Ce système s'est traduit en particulier par la non-diffusion de documents internes de l'administration sur la réalité de l'APD française, malgré les engagements pris devant la communauté internationale, les pays pauvres en particulier », souligne Sébastien Fourmy d'Oxfam France Selon le rapport de la cour des comptes, « les projections figurant dans le rapport confidentiel du deuxième comité de suivi de la RGPP (mai 2008) montrent qu'à coût budgétaire constant, la baisse des annulations de dette conjuguée aux conséquences de la départementalisation de Mayotte entraînera une chute de l'indicateur APD qui devrait s'établir, en 2015, à 0.29% du RNB ».].

Deux ans plus tard, en 2010, une instance rattachée au Premier ministre, le co-secrétariat du Comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID), a recommandé la stabilisation de l'APD française à la hauteur « de dix milliards d'euros ». Une décision non rendue publique, en tant que telle, à l'époque, mais qui a bien été mise en œuvre depuis deux ans dans les prévisions budgétaires pour les prochaines années. La Cour des Comptes estime que cette décision de « stabilisation en valeur »de l'APD prise en 2010 se traduirait au final par une baisse de la part du RNB consacrée à l'APD, qui s'établirait à 0,41% en 2015, bien loin des 0,7%.

L'effort global de la France sur les prochaines années en matière d'APD va au mieux stagner, en volume, mais assurément reculer en pourcentage du RNB. Les chiffres le montrent : en l'état, la France renonce à atteindre les 0,7% ! Or, ce chiffre est un engagement formel vis-à-vis des populations les plus pauvres. Il est inscrit dans les conclusions du Conseil de l'UE de 2005 et du sommet du G8 de Gleneagles la même année, et réaffirmé régulièrement depuis. Plus récemment, lors des débats budgétaires de novembre 2011, Henri de Raincourt, Ministre de la coopération, annonçait encore la poursuite par la France de l'objectif de 0,7% pour 2015 [[[Intervention de Henri de Raincourt au Sénat, 28 novembre 2011->https://pastel.diplomatie.gouv.fr/editorial/actual/ael2/bulletin.asp?liste=20111128.html#Chapitre7]
« Cette année, nous devrions consacrer 0,46 % de notre richesse nationale à l'APD. Ce pourcentage, annoncé par anticipation dès la fin 2010, est inférieur à celui de l'an passé. Il devrait se redresser à nouveau pour atteindre 0,50 % en 2012. Nous poursuivons donc l'objectif de parvenir à 0,7 % de RNB à l'horizon 2015. »]].

« Depuis 2005, la France bombe le torse et affirme à qui veut l'entendre qu'elle respectera ses engagements de consacrer 0,7% de sa richesse nationale au développement d'ici à 2015. L'année des sommets des G8 et G20 en France a vu les grandes déclarations sur la solidarité internationale se multiplier ; pourtant, on sait aujourd'hui que la France n'avait en réalité pas véritablement l'intention d'y parvenir car elle ne s'en était, en connaissance de cause, pas donné les moyens » ajoute Sébastien Fourmy.

« L'aide publique au développement est essentielle pour atteindre les objectifs du millénaire pour le développement. Y renoncer maintenant, c'est faire une croix sur ces objectifs de réductions de la pauvreté dans les pays les plus en retard. Un coût humain disproportionné, au nom d'une économie budgétaire symbolique. »

Les 0,7% doivent demeurer un objectif politique, ils doivent impérativement être retranscrits dans un objectif budgétaire clair. Oxfam France demande une remise à plat du financement de la coopération française, et notamment :
– l'édiction d'un calendrier clair traduit dans une loi de programmation pluriannuelle pour atteindre les 0,7% en 2015 ;
– la mise à plat de la composition de l'APD française pour en faire ressortir l'aide réelle ;
– le développement d'une politique de transparence et de 'redevabilité' qui permettrait à la fois un suivi précis des engagements et des décisions d'allocation des ressources, un meilleur contrôle des parlementaires et des relations de confiance avec la société civile ;
– le développement des financements innovants, dont la taxe sur les transactions financières, pour faire changer d'échelle la solidarité internationale et répondre aux besoins financiers qu'exigent les défis de la lutte contre la pauvreté et le changement climatiques.

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