Conférence de Berlin : la France doit oser aller plus loin dans la lutte contre les paradis fiscaux

La nouvelle réunion qu’organisent demain à Berlin le ministre français du Budget, Éric Woerth, et le ministre allemand des Finances, Peter Steinbrück, avec d’autres pays membres de l'OCDE, voudrait être un bilan d'étape sur la lutte contre les paradis fiscaux. Oxfam France rappelle que cette réunion ne doit pas se limiter à comptabiliser le nombre de traités d’échanges d’informations avec les paradis fiscaux signés depuis le G20 du 2 avril dernier. Elle doit être l’occasion d’enfoncer le clou en lançant enfin des débats attendus de longue date pour lutter efficacement contre l’évasion fiscale dans les pays du Sud : la France et l’Allemagne doivent mettre sur la table, d’une part la question des « trusts » et, surtout, la totale transparence des multinationales et des banques qui utilisent les paradis fiscaux.

Le G20 a sans conteste ouvert une brèche dans l’opacité des paradis fiscaux en leur imposant la négociation de traités d’échange de renseignements fiscaux. Mais la portée de ce processus est finalement bien limitée. Pour qu’un paradis fiscal sorte des « listes noire et grise » de l’OCDE, il lui suffit d’avoir signé 12 traités, ce qui explique que des paradis fiscaux notoires se retrouvent sur la « liste blanche », celles des juridictions coopératives. Aujourd’hui, en dépit des déclarations du G20 pour inclure un maximum de pays dans ce mouvement, aucune garantie n’est donnée sur les changements de critères de l’OCDE obligeant les paradis fiscaux à négocier des traités au-delà des membres du G20.

« Les pays du Sud sont les premières victimes de l’évasion fiscale qui sape leur capacité à mener des politiques de développement avec leurs propres ressources. Ces pays n’ont ni le poids économique et politique ni les capacités administratives pour négocier les traités bilatéraux d’échanges de renseignements fiscaux. Le seul moyen de ne pas laisser les pays en développement hors jeu est de mettre en place une initiative multilatérale où pays en développement et paradis fiscaux sont parties prenantes pour faire coopérer leurs administrations fiscales sur le principe de l’échange automatique de renseignements fiscaux » explique Maylis Labusquière d’Oxfam France.

Mais l’opacité des paradis fiscaux ne se limite pas au secret bancaire. La palette des « services » qu’offrent les paradis fiscaux pour échapper aux administrations fiscales des pays du Nord comme des pays du Sud est bien plus élaborée. Oxfam France demande à Éric Woerth de s’attaquer également à la question des individus et des multinationales qui utilisent de plus en plus fréquemment des mécanismes juridiques opaques comme les « trust », véritables prête-noms, aujourd’hui totalement oubliés de l’accord du G20 .

« 150 000 sociétés off-shore se créent chaque année dans les paradis fiscaux. Imposer aux paradis fiscaux d’assouplir leur secret bancaire sans examiner l’ensemble des services opaques à disposition pour truander les fiscs, comme les sociétés écrans ou les « trusts », revient à ne s'attaquer qu'à la partie émergée de l'iceberg… La Conférence de Berlin, ainsi que le G8 et le G20, doivent s’attaquer à ces montages juridiques complexes et florissants, sans quoi les progrès actuels, initiés par les pays du G20, ne seront qu’un simple écran de fumée. Au niveau européen, le gouvernement français doit réclamer la création d’un registre, dans chaque territoire européen, y compris ses paradis fiscaux, permettant de connaître l’identité réelle de chaque propriétaire et bénéficiaire des entités juridiques créées, notamment les structures opaques de type trust, anstalt, fondations et fiducie » poursuit Maylis Labusquière.

Oxfam France rappelle que le moyen le plus efficace de lutter contre la fraude fiscale qui transite par les paradis fiscaux et judiciaires est de sanctionner les acteurs économiques qui les utilisent : entreprises multinationales, banques… La fraude fiscale des multinationales est la première responsable de l’hémorragie fiscale au Sud : elle coûte plus de 125 milliards d’euros par an aux caisses des pays du Sud, la somme que demandent les Nations unies pour réduire de moitié la pauvreté d’ici 2010. Les normes comptables internationales doivent être révisées pour obliger les multinationales à rendre compte, dans chaque pays où elles opèrent, de leurs activités, de leurs bénéfices et des impôts qu’elles paient. Une proposition récemment soutenue par la Grande-Bretagne .

« La conférence de Berlin représente une opportunité d’aller bien plus loin que les mesures prises au G20 pour lutter contre l’évasion fiscale. Si elle veut rester crédible dans son rôle de leader dans la lutte contre les paradis fiscaux, la France, qui co-organise cette conférence avec l’Allemagne, doit soutenir la proposition britannique de discuter du ‘reporting’ pays par pays à introduire dans la comptabilité des multinationales » conclut Maylis Labusquière.

Notes

Le modèle OCDE d'échange d'information « à la demande » fait en effet reposer sur l'administration demandeuse la charge de justifier dans une certaine mesure que la fraude fiscale existe pour obtenir l’information. Même dans l'hypothèse de capacités administratives renforcées, les pays en développement auraient peu de chance de pouvoir apporter suffisamment de preuves pour justifier le grand nombre de requêtes administratives nécessaires au recouvrement de leurs pertes fiscales.

Un trust (fiducie, anstalt, etc) est un montage juridique par lequel une personne peut donner la propriété juridique de fonds ou de bien à une autre personne, un gérant, à la condition que ce dernier distribue les revenus de la gestion du bien au profit d’un tiers, appelé bénéficiaire. Ce dispositif juridique, offert dans de nombreux paradis fiscaux, est aujourd'hui dénaturé pour dissimuler en tout anonymat des revenus à des fins d'éviter l'impôt, le bénéficiaire n'étant autre que le premier propriétaire du bien ou des fonds. Benoît Hamon, rapporteur pour le Parlement européen sur la révision de la Directive sur la fiscalité de l’épargne, a dressé dans [un récent rapport->http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-//EP//TEXT+TA+P6-TA-2009-0325+0+DOC+XML+V0//FR] la liste de ces structures qu’offrent les paradis fiscaux.

Selon un [récent article du Guardian->http://www.guardian.co.uk/business/2009/jun/15/uk-multinationals-tax-avoidance], le Secrétaire au Trésor britannique soutient l’idée d’un reporting pays par pays dans les comptes des multinationales, mesure dont il souhaite débattre avec les pays de l’OCDE présents à la Conférence de Berlin.

Oxfam France rappelle que si la fraude fiscale affecte les pays du Nord, la perte est colossale pour les pays du Sud : 800 milliards d’euros s’évadent des pays du Sud chaque année vers les paradis fiscaux. Soit dix fois plus que ce que ces pays reçoivent en aide publique des pays riches.

Les demandes d’Oxfam France pour lutter contre l’évasion fiscale, définies dans le cadre de la [Plateforme Paradis Fiscaux et Judiciaires->http://www.argentsale.org/], sont:

I. Dresser une liste exhaustive des PFJ

Pour sortir de l’approche cloisonnée du problème qui prévaut aujourd’hui, une approche globale et intégrée doit désormais être adoptée pour s’attaquer à la question des paradis fiscaux à la fois en termes de fiscalité, de blanchiment d’argent et de régulation financière.

Les institutions compétentes (GAFI, OCDE, Conseil de stabilité financière) doivent coordonner leur travail, sous l’égide des Nations unies, pour :

Evaluer la dangerosité de chaque pays ou territoire, à la fois pour leurs pays membres et pour les pays en développement, selon leurs critères respectifs d’évaluation.

Définir à partir de ces évaluations combinées une liste exhaustive des paradis fiscaux, judiciaires et règlementaires, qui devront être placés sur des listes noire ou grise en fonction de leur dangerosité.

II. Promouvoir une coopération fiscale qui puisse bénéficier aux pays du Sud

Afin que les pays en développement puissent bénéficier des promesses de transparence faites par certains paradis fiscaux au moment du G20, via notamment la signature de nouveaux accords bilatéraux d’échange d’information fiscale, les pays membres du G20 et du G8 doivent initier une initiative multilatérale de coopération fiscale, les pays les plus pauvres n’ayant pas les capacités administratives de négocier de tels traités bilatéraux avec l’ensemble des paradis fiscaux.

Au regard de la faiblesse des administrations fiscales de nombreux pays, le modèle d'échange de renseignements fiscaux « à la demande » des standards de l'OCDE ne convient pas aux pays les plus pauvres. Ce dernier fait en effet reposer sur l'administration demandeuse d'information la charge de justifier que la fraude fiscale existe. Même dans l'hypothèse de capacités administratives renforcées, les pays en développement auraient peu de chance de pouvoir apporter suffisamment de preuves pour justifier le grand nombre de requêtes administratives nécessaires au recouvrement de leurs pertes fiscales. Les pays du G20 et du G8 doivent travailler, avec les organisations compétentes, à l’élaboration de modèles d’échange d’information automatique, comme le font déjà les Etats de l’Union européenne avec la Directive sur la fiscalité de l’Epargne, afin que les exigences de transparence puissent bénéficier à l’ensemble des pays victimes de l’évasion fiscale.

Afin d’assurer la transparence sur l’activité, les bénéfices et les impôts versés par les entreprises multinationales dans chaque pays où elles opèrent, introduire une obligation de reporting pays par pays dans les normes comptables internationales.

Mettre en place un registre dans chaque juridiction offrant la possibilité d’ouvrir un trust ou mécanisme juridique complexe assimilé, afin d’empêcher que l’opacité qui entoure ces mécanismes ne puisse être opposée à des demandes d’information en matière fiscale, douanière ou judiciaire.

III. Démontrer concrètement l’engagement contre l’évasion fiscale dans les pays du Sud

Dans le but de permettre, à terme, aux pays du Sud de financer par eux-mêmes leur développement, les donateurs et les gouvernements doivent renforcer la part de leur aide publique au développement (APD), d’ici 2011, consacrée au renforcement des capacités des administrations fiscales dans les pays du Sud pour améliorer la collecte de l’impôt ainsi que la lutte contre la fraude et l’évasion fiscale. Dans un premier temps, les donateurs doivent s’engager à être transparents sur les sommes de leur APD consacrée au renforcement des administrations fiscales : « Sur les 7,1 milliards de dollars américains dépensés en 2005 en aide bilatérale pour l’administration gouvernementale, la politique économique et la gestion financière du secteur public, seuls 1,7% on été alloués à l’assistance liée à la fiscalité. »

Donateurs et gouvernements doivent renforcer les moyens et les capacités des organisations de la société civile et des citoyens des pays au Sud, ainsi que garantir le respect de leurs droits fondamentaux, pour qu’ils puissent exercer un contrôle sur les recettes publiques – notamment les revenus des investissements étrangers – et l’utilisation qui en est faite en termes de dépenses publiques par l’Etat pour répondre aux besoins essentiels de sa population.

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