Téléchargez le nouveau rapport d’Oxfam et Save the Children (en anglais)

 

En Éthiopie, au Kenya et en Somalie, où une grave sécheresse sévit à l’heure actuelle, une personne meurt actuellement de faim toutes les 48 secondes. Telles sont les estimations présentées par Oxfam et Save the Children dans un rapport publié aujourd’hui, qui met en avant les échecs répétés de la communauté internationale à éviter des catastrophes prévisibles.

Plus d’une décennie après la réponse trop tardive à la famine de 2011, qui a fait plus de 260 000 morts en Somalie (dont la moitié était des enfants de moins de 5 ans), le monde échoue une fois de plus à éviter la situation catastrophique de faim en Afrique de l’Est. Aujourd’hui, près de 500 000 personnes dans plusieurs régions de Somalie et d’Éthiopie vivent dans des conditions proches de la famine.

Le nombre de personnes en situation de faim extrême dans ces trois pays a plus que doublé depuis l’année dernière, passant de 10 millions à plus de 23 millions aujourd’hui. En particulier, la malnutrition sévère risque de tuer 350 000 enfants si rien n’est fait, selon l’ONU.

Le coût dramatique de l’inaction politique

Le rapport, intitulé Un retard dangereux 2 : le coût de l’inaction, et parrainé par l’Observatoire Jameel, passe en revue les changements intervenus dans le système d’aide humanitaire depuis 2011. Il constate que, même si la sécheresse de 2017 en Afrique de l’Est a obtenu une réponse plutôt efficace ayant permis d’éviter une famine généralisée, les réactions aux niveaux national et international sont restées beaucoup trop lentes et modestes pour empêcher une récidive.

« Malgré l’aggravation des signes avant-coureurs, les dirigeants du monde ont réagi lamentablement, de manière trop tardive et timorée, laissant des millions de personnes dans une situation de faim catastrophique. La famine est un échec politique », affirme Gabriela Bucher, directrice générale d’Oxfam International.

Le rapport souligne que la bureaucratie à outrance et les choix politiques intéressés continuent d’entraver une réponse cohérente à l’échelle mondiale, malgré l’amélioration des systèmes d’alerte et en dépit des efforts déployés par les ONG sur le terrain.

 Les pays du G7 et d’autres États riches se sont repliés sur eux-mêmes pour faire face à plusieurs crises ayant des répercussions mondiales, comme la pandémie de COVID-19 et, tout récemment, le conflit en Ukraine. Ils sont notamment revenus sur leurs promesses d’aide aux pays pauvres, les poussant au bord de la faillite à cause de la dette. Dans les trois pays étudiés dans notre rapport, cette dette accablante a plus que triplé en moins de dix ans et ampute les ressources que ces pays pourraient destiner aux services publics et à la protection sociale.

Le rapport met en exergue les échecs à répétition des bailleurs de fonds et des organismes d’aide, qui ne parviennent pas à donner la priorité aux organisations locales, pourtant situées au premier plan de la riposte aux crises, ce qui a eu pour effet de retarder plus encore les interventions, même quand ces organisations étaient prêtes à agir.

 Les gouvernements des pays d’Afrique de l’Est ont leur propre part de responsabilité dans la situation. Ils ont en effet retardé leurs interventions, refusant bien souvent de reconnaître l’ampleur de la crise qui guettait leur propre pays. Ils n’ont pas suffisamment investi dans leurs systèmes agricoles et de protection sociale, destinés à aider la population à mieux affronter les causes de la famine, notamment les chocs climatiques et économiques.

Conflits, changement climatique, Covid, Ukraine : de nombreux facteurs aggravants

Guillaume Compain, chargé de campagne agriculture et sécurité alimentaire chez Oxfam France, explique : « La sécheresse induite par les changements climatiques, conjuguée aux conflits qui poussent les gens à quitter leur foyer, et couplée aux problèmes économiques causés par la pandémie de COVID-19, a poussé la population dans ses derniers retranchements : elle n’est désormais plus capable de s’en sortir seule. La guerre en Ukraine a par ailleurs provoqué une flambée des prix des denrées alimentaires, déjà très élevés, jusqu’à un niveau jamais vu ».

Les changements climatiques ont aggravé et prolongé la sécheresse provoquée par La Niña dans la Corne de l’Afrique, qui a abouti à la pire situation enregistrée depuis les années 1980. La sécheresse sape les réserves économiques, décime les troupeaux et mine la santé de la population. Pourtant, cette région fait partie de celles qui contribuent le moins à la crise climatique, puisqu’elle n’est à l’origine que de 0,1 % des émissions mondiales de carbone. La justice climatique est un impératif moral vis-à-vis de ces pays.

Être à la hauteur de l’urgence en Afrique de l’Est

L’ONU a lancé un appel de fonds à hauteur de 4,4 milliards de dollars en faveur de l’Éthiopie, du Kenya et de la Somalie, dont 2 % à peine ont été officiellement recueillis à ce jour. Bien que les bailleurs aient promis une aide de 1,4 milliard dollars le mois dernier, il est navrant de constater que seulement 378 millions de cette somme proviennent de nouveaux financements.

« Les pays riches ont réussi, à juste titre, à collecter plus de 16 milliards de dollars en un mois pour faire face à la terrible crise que traverse l’Ukraine. Ils ont injecté plus de 16 000 milliards de dollars dans leurs économies à la suite de la pandémie de COVID-19. Les gouvernements sont donc capables de mobiliser des moyens considérables pour éviter des souffrances à la population, mais seulement quand cela leur convient », déclare Gabriela Bucher.

Afin de sauver des vies dès maintenant, les pays du G7 et les leaders occidentaux doivent sans délai dégager des fonds pour répondre à l’appel lancé par les Nations Unies en faveur du Kenya, de l’Éthiopie et de la Somalie, et veiller à ce que ce financement soit suffisamment flexible pour être utilisé là où il fait le plus défaut.

Une situation commune à de nombreux pays africains

D’autres régions d’Afrique connaissent des situations et des causes proches de celles observées en Afrique de l’Est. L’Afrique de l’Ouest, par exemple, connaît sa pire crise alimentaire depuis une décennie avec 27 millions de personnes qui souffrent de la faim. Et ce nombre pourrait grimper à 38 millions de personnes d’ici juin si des mesures ne sont pas prises de manière urgente.

« La production céréalière a chuté d’environ un tiers à certains endroits du Sahel, par rapport à l’année dernière. Les réserves de nourriture des familles touchent à leur fin. La sécheresse, les inondations, les conflits et les impacts économiques de la COVID-19 ont forcé des millions de personnes à quitter leurs terres, les poussant au bord du gouffre », déclare Assalama Dawalack Sidi, directrice régionale d’Oxfam en Afrique de l’Ouest et du Centre.

En Afrique de l’Ouest également, l’instabilité politique, le faible soutien à l’agriculture locale et les financements internationaux limités contribuent à la détérioration dramatique de la situation. Les organisations humanitaires exhortent les gouvernements et bailleurs à immédiatement combler le déficit de financement de 4 milliards de dollars de l’appel des Nations Unies pour l’Afrique de l’Ouest et à s’assurer que ces fonds soutiennent des interventions sensibles à l’âge, au genre et au handicap.

Plusieurs mesures sont nécessaires pour mieux anticiper les crises alimentaires

Oxfam et Save the Children lancent un appel urgent à l’action pour lutter contre la grave crise alimentaire qui frappe de nombreux pays africains :

  • Les bailleurs doivent garantir qu’au moins 25 % des fonds soient versés aux intervenants locaux qui sont au cœur des interventions.
  • Les gouvernements locaux doivent renforcer la protection sociale pour aider leurs citoyen·nes à faire face à des crises multiples. Ils doivent destiner au moins 10 % de leur budget à l’agriculture, en mettant particulièrement l’accent sur les petites exploitations et les agricultrices, comme ils en avaient convenu dans la Déclaration de Malabo de l’Union africaine en 2014.
  • Les gouvernements doivent cesser d’accorder la priorité à la politique aux dépens de la vie de leurs citoyen·nes. Ils doivent tenir compte des alertes précoces et prendre des mesures en conséquence. Ils doivent être plus prompts à déclarer une situation d’urgence nationale, à transférer des ressources nationales vers la population qui en a le plus besoin et à investir pour faire face aux catastrophes liées aux changements climatiques.
  • Les pays riches et polluants doivent compenser les pays touchés pour les pertes et les préjudices qu’elle connaît à cause des changements climatiques. Ils doivent par ailleurs annuler les dettes des pays de cette région pour 2021-2022, afin de leur permettre de dégager des ressources pour aider leur population à atténuer les effets des changements climatiques et à s’y adapter.

Agir de manière anticipée contre la faim permet non seulement de sauver des vies, mais aussi d’éviter des pertes économiques. USAID estime que chaque dollar investi dans les réponses précoces et la résilience en Somalie permet d’économiser trois dollars en évitant les pertes de revenus et de bétail.

Contact presse :

Guillaume Compain | gcompain@oxfamfrance.org | +33 6 85 26 01 08

Notes aux rédactions :

Les données relatives aux appels humanitaires de l’ONU et au financement offert par les bailleurs proviennent du Service de surveillance financière du Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l’ONU.