La capture politique des pays riches dans la lutte contre l’évasion fiscale

Alors que l’OCDE organise la semaine prochaine son forum annuel à Paris, Oxfam publie un nouveau rapport, "Petits arrangements entre amis", dénonçant les failles du plan d’action de l’organisation pour lutter contre l’évasion fiscale.

En 2009, le G20 s’était engagé à réformer le système fiscal international. Il lui aura fallu cinq ans pour lancer les premières actions contre le secret bancaire et l’évasion fiscale des entreprises.

Si ces évolutions sont bienvenues, le processus a été confié à l’OCDE et exclut donc de fait les pays en développement, que l'évasion fiscale des entreprises prive pourtant chaque année de plusieurs milliards d’euros.

"L’OCDE a lancé des processus de consultation pour essayer d’inclure les pays dits en développement, mais concrètement, les Etats non membres de l’OCDE ne sont pas décisionnaires, alors qu’ils sont largement impactés par l’évasion fiscale des entreprises de ces pays. Par ailleurs, les administrations fiscales des pays les plus pauvres n’ont pas les capacités, l’information et le temps pour participer de manière constructive et efficace aux processus", souligne Anne-Sophie Simpere d’Oxfam France.

Le rapport note également la participation disproportionnée du secteur privé aux consultations de l’OCDE : par exemple, 87% des contributions sur le reporting pays par pays venaient du business. Et sur 135 contributions, 130 venaient de pays « riches », dont 43% des seuls Etats-Unis et Royaume-Uni.

"La ‘porosité’ entre les régulateurs et ceux qui ont tout intérêt à avoir le moins de règles possible soulève également des questions », ajoute Anne-Sophie Simpere. « Le nouveau responsable du service ‘Prix de transfert’ de l’OCDE vient par exemple du cabinet comptable KPMG, qui développe justement des plans d’optimisation fiscale pour les entreprises."

Citant les chiffes de l’OCDE, le rapport d’Oxfam rappelle que grâce aux manipulations fiscales et exonérations diverses, les multinationales paient en moyenne 5% d’impôt sur les sociétés contre environ 30% pour les petites entreprises [1].

Ce lobby du secteur économique et la mainmise des pays les plus riches sur le processus de l’OCDE laisse craindre que les règles adoptées soient insuffisantes et biaisées en faveur des intérêts des Etats dits développés. Par exemple, la question de la fiscalité de l’économie digitale est une priorité alors que pour les pays du Sud, les sujets liés aux incitations fiscales ou aux industries extractives seraient bien plus pertinents, et sont laissés de côtés.

Dans les pays en développement, le « manque à gagner fiscal »  est estimé à environ 104 milliards de dollars par an.

Au Niger, l’Etat a perdu entre 10 et 15 millions d’euros par an en 2011 et 2012 à cause des exonérations fiscales accordées à AREVA, alors que le pays peine à financer son programme d’accès aux soins gratuits pour les populations vulnérables [2].

Au Bangladesh, les multinationales détourneraient chaque année 1,8 milliard de dollar en raison des lacunes du mécanisme de suivi des prix de transfert, privant l’Etat d’environ 310 millions de dollars de recettes fiscales [3], qui pourraient couvrir plus de 20% du budget de l’enseignement primaire dans un pays où il n’y a qu’un enseignant pour 75 enfants scolarisés dans le primaire [4].

Contact

Magali Rubino
Responsable des relations média
mrubino@oxfamfrance.org
01 56 98 24 45  / 06 30 46 66 04

Notes aux rédactions

Le rapport "Petits arrangements entre amis" est disponible en français ici.

[1] OCDE (2013), « OECD urges stronger international co-operation on corporate tax », Communiqué de presse, http://www.oecd.org/newsroom/oecd-urges-stronger-international-co-operation-on-corporate-tax.htm

[2] https://www.oxfamfrance.org/anciennes-pages-campagnes/areva-au-niger/

[3]  EquityBD (2014), « Who Will Bell the Cat? Revenue Mobilization, Capital Flight and MNC's Tax Evasion in Bangladesh », Énoncé de position, http://www.equitybd.org/images/stories/campaign_event/Tax%20Justice01032014/MNC%20Tax%20Dodge_English%20Position%20Paper_Design.pdf

[4] Ministère des Finances du Bangladesh, « Medium-Term Expenditure Framework (MTEF) 2013-14 », http://www.mof.gov.bd/en/index.php?option=com_content&view=article&id=240&Itemid=1

UNESCO (2014), « Enseigner et apprendre : Atteindre la qualité pour tous », Rapport mondial de suivi sur l'EPT, UNESCO, http://unesdoc.unesco.org/images/0022/002256/225654f.pdf

 


Ce communiqué a été produit avec le soutien financier de la Commission européenne. Son contenu relève de la seule responsabilité d'Oxfam France et ne reflète pas nécessairement les positions de la Commission européenne et de ses services.