Tandis que l’eau se raréfie en France et dans le monde en raison du réchauffement climatique, Oxfam France démontre, dans un rapport intitulé “La soif du profit”, les techniques d’accaparement systémique de cette ressource par les multinationales dans les secteurs agroalimentaire et de l’industrie. Avec plusieurs études de cas à l’appui, Oxfam dénonce les techniques utilisées et les menaces que font peser des entreprises privées sur l’environnement et les droits humains, parfois avec la complicité des Etats.

 

Activités lucratives et privatisation de la ressource au détriment des populations

Alors que l’eau manque déjà à une personne sur trois dans le monde, les géants de l’agroalimentaire et de l’industrie tirent profit de l’exploitation de cette ressource. Un pays comme l’Éthiopie par exemple, confronté à une sécheresse historique depuis 2017, a exporté près de 2 milliards de dollars de biens nécessitant beaucoup d’eau (viande, fleurs, etc) vers les pays du Nord entre 2021 et 2022. Au Kenya, la culture intensive de fleurs à destination des pays du Nord a fortement contribué à l’assèchement du lac Naivasha et affecte profondément la quantité et la qualité des ressources d’eau des communautés locales. Quentin Ghesquière, chargé de campagne et de plaidoyer à Oxfam France, déclare : “Nous constatons dans ces exemples un problème systémique complètement empreint
d’hydro-colonialisme : la surexploitation et la pollution des ressources drainent les pays du Sud au profit des pays riches et au détriment des populations et des petits agriculteurs.”

Au niveau mondial, seulement un quart des plus grandes entreprises agroalimentaires déclarent réduire leur consommation et leur pollution de l’eau. Seulement une sur trois communiquent sur la proportion des prélèvements qu’elles ont faits dans des zones de stress hydrique.

Le secteur de l’eau en bouteille n’est pas en reste puisqu’il vend l’eau en bouteille 150 à 1 000 fois plus cher que l’eau du robinet. En France, 9 milliards de litres d’eau en bouteille par an sont consommés. “Dans de nombreux cas, les entreprises misent sur les pénuries d’eau qu’elles accentuent elles-mêmes, et sur la perte de confiance des consommateurs dans l’eau du robinet dont la qualité est diminuée par la pollution industrielle. Cela contribue directement à ouvrir de nouveaux marchés.” a déclaré Quentin Ghesquière.

Le secteur de l’industrie est également responsable de 17% des prélèvements mondiaux . A Arlit au Niger, en exploitant une mine d’uranium au nom des besoins énergétiques de la France, Orano a produit de 1971 à 2021 des déchets radioactifs qui menacent, à long terme, les ressources d’eau de plus de cent mille personnes.

Des réglementations insuffisantes, voire dangereuses

Ces graves violations des droits fondamentaux et de l’environnement sont permises par des États qui ne réglementent pas suffisamment le secteur privé, ou qui participent activement à une mauvaise utilisation de la ressource en eau. Danone, par exemple, a continué à extraire de l’eau de la nappe de Volvic en toute légalité en mai 2023, alors que les habitant.es ne pouvaient nettoyer leurs voitures ou arroser les espaces verts. La même année, l’entreprise a réalisé près de 900 millions d’euros de bénéfices et versé 1,2 milliard de dividendes à ses actionnaires. “La France gère encore sa ressource comme si elle était abondante alors qu’elle devrait s’adapter à sa raréfaction. Il est clair que les entreprises ne vont pas s’autoréguler. Il est crucial que les Etats encadrent l’activité des entreprises qui accaparent l’eau.” a déclaré Quentin Ghesquière.

Les Etats encouragent même parfois, voire subventionnent, des installations privées, et ce à rebours d’un large consensus scientifique sur la menace que représente à long terme la raréfaction de la ressource en eau. En France, dans les Deux-Sèvres, 40 millions d’euros d’argent public ont ainsi été dépensés pour construire seize réservoirs de stockage d’eau auxquels seront raccordés seulement 5 % des producteurs de céréales et de maïs. Au niveau mondial, 520 milliards de dollars de financements publics ont été accordés, par an entre 2013 et 2018, aux pratiques du secteur agricole, notamment l’irrigation, qui sont nuisibles à l’environnement.

L’Europe a un rôle majeur à jouer pour limiter cette crise mondiale de l’eau annoncée, que ce soit en réduisant drastiquement sa consommation et sa production d’agrocarburants, en régulant beaucoup plus strictement les impacts sociaux et environnementaux des multinationales sur toute leur chaîne de valeur, ou encore en accroissant significativement ses financements pour favoriser l’accès à l’eau des populations les plus vulnérables à travers
le monde ».

Oxfam France appelle à :
– Créer un cadre normatif pour réguler les multinationales, au niveau international et européen, notamment en engageant les discussions lors du futur sommet « One Water Summit » co-organisé par la France en Septembre prochain ;
– Contraindre les Etats à assumer leur responsabilité historique dans le réchauffement climatique, en assurant un financement ambitieux de l’adaptation et de l’accès universel à l’eau dans les pays en développement. Les pays riches doivent tenir leur promesse de 100 milliards par an entre 2020 et 2025, en compensant les manques depuis 2020, et revoir progressivement cet objectif à la hausse. Ils doivent également doubler les financements dédiés à l’adaptation d’ici 2025, comme ils s’y sont engagés à la COP 26 ;
– Opérer une transition de l’agro-industrie vers l’agro-écologie.

Contacts médias :

Elise Naccarato, Responsable Plaidoyer et campagne Climat et Sécurité Alimentaire –
enaccarato@oxfamfrance.org – 06 17 34 85 68
Quentin Ghesquiere, Chargé de campagne et plaidoyer Sécurité Alimentaire –
qghesquiere@oxfamfrance.org – 06 69 27 43 30

Notes aux rédactions

L’accès à l’eau potable et à l’assainissement est un droit humain fondamental reconnu dans plusieurs instruments internationaux. Garantir l’accès de tous à l’eau et à l’assainissement et assurer une gestion durable des ressources en eau fait l’objet du 6e objectif de développement durable des Nations Unis. D’après les estimations des Nations Unies, qui ont organisé l’année dernière la première grande conférence sur l’eau depuis plus de 45 ans, deux milliards de personnes n’ont pas accès à l’eau potable, et jusqu’à trois milliards de personnes font face à des pénuries d’eau pendant au moins un mois par an. World Health Organization, UNICEF. (2019). 1 in 3 people globally do not have access to safe drinking water.

La Corne de l’Afrique est confrontée à une sécheresse dramatique depuis 2017 provoquant la pire crise alimentaire mondiale depuis 1945.

Seulement 28 % des entreprises mondiales les plus influentes du secteur agroalimentaire déclarent qu’elles sont en train de réduire leurs prélèvements d’eau, et seulement 23 % affirment avoir pris des mesures pour réduire la pollution de l’eau. Pour arriver à cette conclusion, Oxfam a exploité les données de la World Benchmarking Alliance qui couvrent 350 entreprises.

Le secteur de l’eau en bouteille vend l’eau en bouteille 150 à 1 000 fois plus cher que l’eau du robinet. Source : UNU INWEH. (2023). Global Bottled Water Industry: A Review of Impacts and Trends. United Nations, University Institute for Water, Environment and Health, Hamilton, Canada.

Seulement 5 % des producteurs de céréales et de maïs sont raccprdés aux seize réservoirs de stockage d’eau dans les Deux-Sévères. Zabalza. (2023). Dans les Deux-Sèvres, une manifestation anti-mégabassines sous haute tension. Le Monde.

Au niveau mondial, 520 milliards de dollars de financements publics ont été accordés, par an entre 2013 et 2018, aux pratiques du secteur agricole, notamment l’irrigation, qui sont nuisibles à l’environnement. Source : Earth track. (2022). Protecting nature by reforming environmentally harmful subsidies: The role of business.