Le gouvernement a annoncé que près de 20 milliards d’euros du plan de relance seraient dédiés à une baisse sans précédent des impôts sur la production, soit environ 20% du montant total du plan de relance. Oxfam France dénonce une baisse aveugle des impôts de production qui va favoriser les gros acteurs notamment dans les secteurs polluants. Cette baisse dont le coût pour les finances publiques inquiète de la Banque de France [1] jusqu’à l’Association des Maires de France [2] risque d’être payée par les plus vulnérables, premières victimes de la crise.

Oxfam détaille les 6 raisons pour lesquelles une baisse aveugle des impôts de production pourrait être « contre-productive » [4]

Pour Quentin Parrinello, porte-parole d’Oxfam France :

« Le gouvernement fait fausse route : baisser les impôts ne fait pas automatiquement augmenter l’investissement. Notre récent rapport sur le CAC 40 montre bien que les baisses d’impôts accordées au CAC 40 entre 2009 et 2018 n’ont pas relancé l’investissement : elles ont été essentiellement absorbées dans la hausse des dividendes.

Cette baisse considérable d’impôts n’est pas ciblée vers la transition écologique et sociale, quel gâchis ! La baisse profitera à des Biocoop comme à des Total. Pire, les secteurs qui devraient le plus profiter de la baisse sont les secteurs les plus polluants comme les hydrocarbures ou la finance. Il est indispensable de fixer des conditionnalités écologiques et sociales aux aides versées aux grandes entreprises. D’ailleurs, même des députés LREM, Modem et Agir le réclamaient en juillet dernier : ils demandaient notamment des conditionnalités climatiques et une exclusion des grandes entreprises si une baisse des impôts de production était engagée. Le coût pour l’Etat et les collectivités locales est immense. Le gouvernement devra trouver 10 milliards d’euros chaque année pour équilibrer son budget. Qui va payer la note ? »

A la place de cette mesure contre-productive du gouvernement, Oxfam appelle à mettre en place un bonus-malus social et écologique comme le demandent les 400 000 entrepreneurs du mouvement « Nous Sommes Demain ». Cette solution consisterait à moduler l’imposition en fonction des performances sociales et environnementales des entreprises : des baisses d’impôts pour les entreprises ayant des performances sociales, environnementales, climatiques exemplaires, une hausse d’impôts pour celles dont les pratiques correspondent à du dumping social, environnemental ou climatique.

Si une baisse des impôts sur la production doit être votée, elle doit a minima être conditionnée à l’investissement dans la transition écologique : parmi les plus gros contributeurs des impôts de productions, on trouve les secteurs polluants comme le secteur hydrocarbure, la manufacture ou la finance. Cette baisse devrait aussi cibler plus particulièrement les entreprises qui en ont vraiment besoin : de manière générale, les grandes entreprises disposent de fonds pour financer leur transition écologique. En 2018, si les entreprises du CAC 40 avaient plafonné la part de leurs bénéfices distribués à leurs actionnaires à 30%, elles auraient pu financer 98% de leurs besoins en investissement dans la transition écologique [3]. Un tel ciblage permettra également de diminuer le coût de la réforme pour la rendre plus finançable.

Contact presse

Pauline Leclère pleclere@oxfamfrance.org – 07 69 17 49 63

Notes aux rédactions :

[1] https://www.capital.fr/economie-politique/la-banque-de-france-exhorte-letat-a-ne-pas-baisser-les-impots-1374969
[2] https://www.lefigaro.fr/conjoncture/impots-de-production-le-defi-des-compensations-20200830
[3] « CAC40 : des profits sans lendemain ? », Oxfam France – Le Basic, juin 2020. https://www.oxfamfrance.org/rapports/cac-40-des-profits-sans-lendemain/

[4] Les 6 raisons pour lesquelles une baisse aveugle des impôts de production pourrait être « contre-productive »

1. Baisser les impôts ne fait pas automatiquement augmenter l’investissement et la réindustrialisation

Baisser les impôts peut-il relancer l’industrialisation ? Le lien automatique fait par le gouvernement est plus que discutable. Rien ne prouve que les baisses d’impôts sont utilisés par les entreprises pour investir. Au contraire. Le rapport d’Oxfam France sur le CAC 40 a montré comment, entre 2010 et 2018, les baisses d’impôts n’ont pas servi à relancer l’investissement mais à augmenter les dividendes versés aux actionnaires.

Si la baisse des impôts de production est votée, il faut a minima s’assurer que la baisse des impôts soit conditionnée à un niveau d’investissement minimum et un encadrement des dividendes pour limiter les risques de détournement. Mais réindustrialiser réellement la France ne se fera pas en coupant les impôts, car on n’alignera jamais le coût du travail sur les pays en développement. Les experts s’accordent sur la nécessité d’avoir une approche beaucoup plus globale avec un investissement public fort pour reconstruire des filières de proximité.

 

2. Cette baisse n’est pas ciblée vers la transition

Qu’une entreprise prenne en compte l’impératif de transition climatique dans son business model ou non, elle bénéficiera de la baisse des impôts de production de manière identique. Dit autrement la baisse profitera à des Biocoop comme à des Total. Pire, les secteurs qui devraient le plus profiter de la baisse sont les secteurs les plus polluants comme les hydrocarbures ou à la finance. Si la baisse des impôts de production est votée, il faut a minima conditionner les baisses d’impôts à des investissements dans la transition écologique pour transformer le modèle productif des secteurs polluants selon des données de la DGFiP.

3. La baisse va profiter de manière disproportionnée aux grosses entreprises

La baisse des impôts de production devrait principalement bénéficier aux plus grosses entreprises car ce sont aujourd’hui les plus gros contributeurs d’impôts sur la production. Le principal impôt visé, la CVAE (La cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises), est ainsi plus fort sur les entreprises dont le chiffres d’affaires est supérieur à 50m€. En 2016, dans le secteur manufacturier, 38 grandes entreprises représentaient 20% des contributions à la CVAE. Selon une note de l’IGF entre 20 et 30% de la baisse des impôts de production devrait être captée par une poignée de grosses entreprises. Une étude réalisée par le CEPII a pourtant montré que du fait de leurs structures, les grandes entreprises sont pourtant les plus à même de délocaliser leurs activités.

 

4. La baisse des impôts sur la production risque d’être payée par les plus vulnérables

Il ne s’agit pas d’une aide à la relance mais d’une baisse structurelle. Les collectivités locales bénéficient aujourd’hui d’une partie des recettes des impôts de production. Le gouvernement s’est engagé à compenser ce manque à gagner en allouant une partie des recettes de la TVA allouée jusqu’alors au budget général. Le gouvernement devra trouver 10 milliards d’euros par an pour équilibrer son budget. Cette baisse devra être compensée, soit par une hausse des impôts, soit par une baisse des services publics. Le financement de cette réforme via l’allocation d’une partie des recettes de la TVA fait planer le risque d’une augmentation de cet impôt qui pèse plus sur les plus vulnérables pour combler le trou budgétaire laissé aux collectivités territoriales. La magnitude de cette baisse fait craindre des impacts budgétaires sévères, y compris à la Banque de France qui est contre la réforme proposée.

 

5. La baisse n’est pas justifiée par la compétition internationale

La France aurait des impôts sur la production parmi les plus élevés d’Europe : 17 milliards de plus qu’en Allemagne. Mais la définition des impôts sur la production est vague. En Allemagne, la taxe professionnelle « Gewerbesteuer » n’entre pas dans les impôts sur la production alors qu’elle pèse à elle seule 50 milliards d’euros. Son assiette est pourtant similaire à la Cotisation Foncière des Entreprises (CFE) française qui entre dans la catégorie d’impôts sur la production. Le montant des impôts sur la production est largement compensé par de fortes subventions à la production. La France possède un des niveaux de subvention les plus élevés d’Europe : près de 3% du PIB, deux fois plus qu’au sein de la zone euro, trois fois plus qu’en Allemagne.

6. La baisse est en contradiction avec les engagements internationaux de la France

La France soutient actuellement la mise en place d’un taux d’impôt minimum effectif au niveau mondial pour lutter contre la concurrence fiscale déloyale. Au sein des pays de l’OCDE, le taux moyen d’imposition des bénéfices des entreprises est passé de plus de 40% à moins de 30% entre 1990 et 2015, sans effet sur l’investissement. Au rythme actuel, l’impôt sur les bénéfices pourrait arriver à 0% d’ici 2050. En baissant les impôts après la crise, le gouvernement relance la course au moins disant fiscal.