Rapport Oxfam : des enfants maltraités et renvoyés illégalement à la frontière franco-italienne

Oxfam publie le rapport « Nulle part où aller » qui détaille l’échec de la France et de l’Italie à aider les réfugié-e-s et migrant-e-s échoué-e-s à la frontière vers Vintimille. Le rapport raconte comment des enfants d’à peine 12 ans sont maltraités, détenus et renvoyés illégalement en Italie par la police des frontières française.

Le rapport « Nulle part où aller » détaille comment le système d’accueil italien, submergé par les demandes et très bureaucratique, laisse des réfugiés vulnérables et d’autres migrants vivre « sous le radar » dans des conditions dangereuses. Le rapport décrit la manière dont la police française arrête quotidiennement des enfants non-accompagnés et les met dans des trains en direction de l’Italie après avoir modifié leurs papiers pour prétendre que ces enfants sont plus âgés ou qu’ils souhaitent retourner en Italie de leur plein gré.

Les enfants signalent avoir été maltraités physiquement et verbalement, et détenus de nuit dans des cellules sans eau, sans nourriture, sans couvertures, et sans avoir accès à un tuteur officiel, ce qui est contraire aux lois françaises et européennes en vigueur. Le personnel d’Oxfam et les partenaires impliqués font état de cas où les garde-frontière coupent les semelles de chaussures des enfants migrants ou volent leur carte SIM. Un des cas concerne une jeune Erythréenne, qu’on a forcée à repartir le long d’une route sans trottoir, son bébé de 40 jours dans les bras.

Claire Le Privé, responsable de la campagne Humanitaire d’Oxfam France déclare : « Les enfants, femmes et hommes fuyant la persécution et la guerre ne devraient pas avoir à souffrir encore d’abus et de négligence de la part des autorités françaises et italiennes. Dans trop de cas, le manque de services et d’information minimum que devrait donner le système d’accueil italien force les personnes à vivre dans des situations précaires et dangereuses. Ces personnes désirent simplement une chose : demander l’asile dans un pays où résident les membres de leur famille, or leurs démarches sont entravées à la moindre occasion.

Au moins 16 500 migrants (dont un quart sont des enfants) ont passé la frontière par la ville de Vintimille entre juillet 2017 et avril 2018, un chiffre qui devrait augmenter pendant l’été. La majorité de ces migrants fuit la guerre et les persécutions subies dans des pays comme le Soudan, l’Érythrée, la Syrie et l’Afghanistan. La plupart d’entre eux essayent d’atteindre des pays comme la France, la Grande-Bretagne, la Suède et l’Allemagne où ils espèrent rejoindre de la famille ou des amis.

Beaucoup d’enfants non-accompagnés expriment leur sentiment d’abandon dans les centres d’accueil où ils n’ont accès à aucune scolarité ou formation, et où ils n’ont pas d’information sur la façon dont ils peuvent demander l’asile ou retrouver des membres de leur famille dans d’autres pays européens. Après des mois d’attente, voire des années, nombre d’entre eux décident de tenter leur chance et de continuer leur périple seuls. Les autres sont mis à la porte des centres dès qu’ils atteignent la majorité.

Le seul centre d’accueil près de Vintimille, le camp de Roja, fournit un hébergement basique pour 444 personnes. Mais le manque d’information, la forte présence de policiers à l’entrée, l’obligation de laisser ses empreintes digitales et les évacuations forcées régulières dissuadent la plupart des migrants d’y rester. De ce fait, nombreux sont ceux qui dorment sous l’autoroute surélevée à la sortie de la ville, où il n’y a ni toilettes ni eau potable, où les tentes et cabanes en carton sont fréquemment détruites sur ordre des autorités locales. Les migrants et réfugiés n’y sont pas en sécurité.

Le personnel Oxfam travaillant dans cette zone rencontre fréquemment des familles, des femmes enceintes et des enfants non-accompagnés vivants dans ces conditions. Parmi eux, des survivants de viol et de torture en Libye, étape par laquelle ils sont passés en tentant de rejoindre l’Italie.

Claire Le Privé ajoute :« L’Europe doit réparer son système d’asile et partager la responsabilité de l’accueil des réfugiés entre ses différents pays. Les gouvernements et les autorités responsables aux frontières devraient respecter les besoins spécifiques et protéger les droits des enfants, au lieu de les renvoyer dans d’autres pays. Et ces enfants ne devraient pas être emprisonnés ou sujets à de quelconques traitements dégradants. »

Le rapport appelle les membres des pays de l’UE à s’assurer que la responsabilité des réfugiés est partagée de manière équitable entre les pays concernés. Cela doit être fait en respect du règlement de Dublin qui définit quel état est responsable de la gestion des demandes d’asile. L’UE est aussi appelée à prendre en compte les besoins légitimes des demandeurs d’asile et à s’assurer que les procédures de rapprochement familial fonctionnent efficacement et que les obstacles administratifs ne les ’empêchent pas. Le rapport appelle le gouvernement français à stopper immédiatement le renvoi illégal d’enfants en Italie, et à mettre un terme aux pratiques illicites de la police française et de ses autorités aux frontières.

Contact

Caroline Prak / cprak@oxfamfrance.org /06 31 25 94 74
Twitter : @carolineprak

Notes aux rédactions

· Des porte-parole pour des entretiens et mises en contexte sont disponibles à Paris, Florence et à Bruxelles.

· Sous la réglementation de Dublin, les enfants migrants en France ne peuvent être renvoyés en Italie s’ils demandent l’asile en France. Le cas des adultes est différent : ils ne peuvent demander l’asile que dans le premier pays où ils sont arrivés. Les enfants qui ne demandent pas l’asile mais sont interpellés à la frontière par les autorités peuvent être renvoyés en Italie s’ils le souhaitent, mais seulement si certaines procédures sont suivies, notamment le respect d’un délai de 24 heures et la nomination d’un tuteur.

· Il n’y a pas de contrôle systématique des migrants à Vintimille, qu’ils aient traversé la frontière ou échoué à le faire. Les bénévoles travaillant avec Caritas effectuent un décompte mensuel brut qui estime à 16 475 personnes le nombre de migrants pour la période juillet 2017 – avril 2017 (à l’exception de décembre). Les lieux surveillés par les partenaires d’Oxfam sur trois périodes de 24h en 2017 suggèrent que plusieurs dizaines de mineurs sont renvoyés en Italie chaque semaine. Les enfants représentent environ un quart de la population de migrants à Vintimille et ses alentours.

Un rapport administratif indépendant français, publié le 5 juin et reposant sur des investigations conduites en septembre 2017, mène à des conclusions très similaires, en particulier concernant le manque de procédures officielles, l’atteinte à la dignité et le manque de respect des lois applicables. Cf http://www.cglpl.fr/2018/rapport-de-la-deuxieme-visite-des-services-de-la-police-aux-frontieres-de-menton-alpes-maritimes/

· Oxfam travaille avec d’autres groupes spécialisés dans les droits humains pour porter certains cas en justice. En janvier et février 2018, le tribunal administratif de Nice a jugé que les autorités françaises à la frontière avaient illégalement détenu et renvoyé des enfants en Italie pour 20 cas. A la suite de ce jugement, le personnel humanitaire travaillant autour de Vintimille a observé une augmentation des falsifications de papiers par la police française, afin que les enfants migrants soient considérés plus âgés.

· Oxfam Italie fournit un service d’information et de conseil juridique aux migrants, ainsi que des « kits de dignité » et de petits sacs à dos contenant chaussettes, gants, couvertures, brosses à dent et d’autres produits d’hygiène.

· Au total, 17 337 enfants sont arrivés en Italie en 2017, parmi lesquels 15 779 (91%) étaient non-accompagnés. Ils représentent la vaste majorité des enfants migrants non-accompagnés qui sont arrivés dans les pays européens en 2017.