Alors que se tiendra cette semaine à Paris une réunion réunissant les ministres des Affaires étrangères et du développement des pays du G7 et du G5 Sahel, Oxfam publie son rapport : « Sahel : lutter contre les inégalités pour répondre aux défis du développement et de la sécurité. » Alors que massacres et violences se multiplient dans la région, pour Oxfam il est urgent que les Etats sahéliens et la communauté internationale privilégient dans leurs réponses la lutte contre les inégalités.

Pour Adama Coulibaly, directeur régional d’Oxfam en Afrique de l’Ouest : « Les crises auxquelles fait face le Sahel, qu’elles soient sécuritaires, humanitaires ou environnementales, prennent aussi racine dans les inégalités et un sentiment d’injustice profondément ancrés dans les sociétés sahéliennes. Ces inégalités minent dangereusement le vivre ensemble et se traduisent en tensions et violences à répétition. »

Le Sahel, qui couvre notamment le Burkina Faso, le Mali, la Mauritanie, le Niger, le Sénégal et le Tchad, compte parmi les régions les plus pauvres au monde et est profondément inégalitaire à plus d’un titre. Inégalités en termes de revenus : au Sénégal et au Tchad, les 10 % de la population la plus riche possèdent deux fois plus de revenus que les 40 % les plus pauvres. Inégalités de genre : dans nombre de pays, alors qu’elles représentent 40 % de la main d’œuvre agricole, les femmes ne possèdent que 10 % des terres agricoles. Inégalités d’accès aux droits fondamentaux : au Mali à peine 3 à 4% des enfants de pasteurs nomades sont scolarisés.

Pour Oxfam, la lutte contre les inégalités doit commencer par la mise en œuvre de politiques fiscales justes et progressives, cela alors qu’actuellement les Etats sahéliens donnent la priorité aux taxes les plus régressives sur la consommation, notamment la TVA, qui représente 60% des recettes fiscales.

« Les pays du Sahel doivent également revoir leurs politiques d’exonérations fiscales pour les entreprises, notamment étrangères, qui se sont multipliées ces dernières années. Au Mali par exemple, l’ensemble de ces exonérations a atteint 203,45 milliards de FCFA en 2015 (309 millions d’euros) soit 3,5 fois le budget de l’éducation, » précise Adama Coulibaly.

Ces politiques économiques et fiscales, outre le fait d’aggraver les inégalités, ont pour corollaire de moindres ressources pour assurer un plein développement des populations, et restreignent l’investissement dans des services publics d’éducation et de santé de qualité et accessibles à tous. Car si des progrès considérables ont été atteint au Sahel (en 30 ans la scolarisation des filles a triplé au Niger, au Burkina Faso la mortalité maternelle a baissé de moitié depuis les années 1990), les disparités d’accès à ces services demeurent extrêmement marquées, en particulier entre femmes et hommes, urbains et ruraux, et entre riches et pauvres.

Robin Guittard, porte-parole d’Oxfam France complète : « Le défi sécuritaire se superpose donc à des enjeux de développement préexistants. Mais la réponse actuelle demeure déséquilibrée et ne prend pas assez le problème à la racine : par exemple, la hausse majeure constatée des dépenses sécuritaires met en péril des budgets sociaux déjà fragiles et sous-financés à un moment où ils sont le plus nécessaires pour répondre à certaines des causes de l’insécurité actuelle. Le risque est alors grand de tomber dans un cercle vicieux d’où il sera difficile sortir. »

La multiplication de mouvements citoyens dans lesquels la jeunesse s’investit massivement témoigne des désirs des populations pour le respect des droits, plus de justice, de transparence et de redevabilité.

« Mais au lieu de répondre à ces aspirations légitimes, nous constatons une restriction d’un espace civique pourtant déjà limité. Au Niger, cela s’est traduit par l’arrestation des organisateurs de la Journée d’Action Citoyenne de mars 2018 qui protestaient contre les nouvelles mesures fiscales favorisant les multinationales. Au Tchad, c’est la censure des réseaux sociaux qui perdure depuis plus d’un an, » explique Robin Guittard.

« Cette tendance est inquiétante. La jeunesse représente la majorité de la population sahélienne, il est urgent de rétablir la confiance en reconnaissant la place des citoyen.nes, et notamment des jeunes, dans le contrôle de l’action de l’Etat et leurs droits à participer à la vie publique. »

Face à ces multiples défis, le G5 Sahel doit fortement renforcer les dimensions de développement et de gouvernance de son action. Actuellement sous présidence de la France qui cherche à mobiliser sur le Sahel, le G7 doit traduire son discours de lutte contre les inégalités en actions et instruments concrets sous le leadership des Etats sahéliens.

« Il y a urgence au Sahel. Les efforts de tous les acteurs nationaux, régionaux et internationaux doivent prioriser la lutte contre les inégalités, en réorientant l’aide au développement vers cet enjeu et en remettant la dimension humaine de la sécurité au cœur des initiatives, » conclut Oxfam.

Lien vers le rapport : https://www.oxfamfrance.org/rapports/sahel-lutter-contre-les-inegalites/

Informations complémentaires

Des travaux récents du Fond monétaire international (FMI) montrent l’impact négatif des inégalités de revenus sur la croissance et la prospérité à long terme d’un pays, lorsqu’elles dépassent un certain seuil. Or tous les pays du Sahel sont au-dessus de cette limite. Le FMI reconnait aujourd’hui que la dégradation des inégalités dans de tels contextes réduit encore le consensus social et risque de conduire à des troubles sociaux.

Entre 2013 et 2018, les budgets consacrés aux secteurs de la sécurité ont explosé au Sahel. Au Mali ils ont pratiquement quadruplé, au Niger ils ont été multiplié par 2,5 et ont doublé au Burkina Faso. Or, pendant ce temps, bien que les Etats de la région se soient engagés à consacrer 20% de leurs budgets à l’éducation et 15% à la santé, aucun pays n’a atteint ces objectifs, à l’exception notable du Sénégal dans le secteur de l’éducation. Les inégalités d’accès à ces services restent donc préoccupantes. En milieu urbain, un enfant burkinabè va à l’école en moyenne pendant 11 ans contre moins de 4 ans pour un enfant d’une zone rurale.

Face à ce tableau difficile, nombre d’acteurs se mobilisent. Les jeunes et les femmes en particulier sont devenus ces dernières années les acteurs d’une société civile dynamique et déterminée à lutter contre les inégalités, à l’image de mouvements comme Le Balai Citoyen au Burkina Faso ou Y’en a marre au Sénégal.