Sommet franco-allemand : il est temps de marquer un tournant contre l’évasion fiscale et pour la TTF européenne

A la veille du sommet franco-allemand du mardi 19 juin qui devrait aboutir sur une feuille de route pour l’harmonisation fiscale européenne, Oxfam appelle Emmanuel Macron et Angela Merkel à engager des propositions ambitieuses sur la transparence fiscale et la taxe sur les transactions financières (TTF) européenne.

Pour Nicolas Vercken, porte-parole d’Oxfam France :« La volonté de porter un leadership conjoint dans la lutte contre l’évasion fiscale est bienvenue. Pour être crédible dans la lutte contre l’évasion fiscale, la feuille de route d’Emmanuel Macron et d’Angela Mekel doit s’accompagner de la transparence fiscale. Nous appelons la France et l’Allemagne à aboutir à un accord sur le projet de directive européenne sur le reporting pays par pays public qui permettra de savoir si les entreprises paient leur juste part d’impôts. Il serait impensable que les deux pays laissent ce dossier s’enliser [1] tout en affichant la lutte contre l’évasion fiscale comme une de leur priorité.

Par ailleurs, c’est une bonne nouvelle de voir le dossier de l’harmonisation fiscale avancer mais il serait inefficace que la définition d’une assiette commune pour l’impôt sur les sociétés [2] inclut une large palette de crédits d’impôts comme le crédit d’impôt recherche français. Il est indispensable que cette assiette fiscale commune ne se réduise pas au plus petit dénominateur commun sous peine de réduire considérablement les recettes de l’impôt sur les sociétés. Pour véritablement couper l’herbe sous le pied des multinationales, l’harmonisation fiscale européenne devra impérativement s’accompagner d’une phase de consolidation avec une répartition des bénéfices à taxer au sein de l’UE en fonction de l’activité économique réelle de chaque entreprise.

Oxfam sera également attentive aux déclarations du duo franco-allemand sur la taxe sur transactions financières (TTF) européenne. La France et l’Allemagne prétendent vouloir reprendre les négociations sur la TTF européenne en associant les 27 pays membres, en s’inspirant du modèle de la taxe française [3]. Or, la TTF européenne ne peut naître qu’au niveau des dix pays membres qui la négocient depuis 2012 – le Luxembourg et les Pays bas étant radicalement opposés au projet. Surtout, imiter la taxe française au niveau européen reviendrait à ne pas taxer les transactions les plus spéculatives : un cadeau aux banques qui pourrait représenter quelques 18 milliards d’euros [4]

Pour Nicolas Vercken, porte-parole d’Oxfam France :« C’est un jeu de dupes. Emmanuel Macron et Angela Merkel veulent tuer la taxe ‘Robin des bois’ alors qu’elle pourrait devenir la première taxe européenne de l’histoire. Toute reprise des négociations à 27 pays membres est absolument vouée à l’échec : les sept dernières années de négociations l’ont prouvé. Si la France et l’Allemagne veulent réellement taxer les transactions financières, il n’y a qu’une seule solution : reprendre les négociations au sein des 10 pays membres – suspendues par Emmanuel Macron l’année dernière – et aboutir à un accord sur une TTF à 22 milliards d’euros. Toute taxe moins ambitieuse sera autant de milliards offerts aux banques. »

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Pauline Leclère
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07 69 17 49 63

Notes aux rédactions

Selon une dernière étude publiée le 5 juin 2018 par l’économiste Gabriel Zucman, la France et l’Allemagne sont les deux pays de l’Union européenne qui perdent le plus de recettes fiscales à cause de l’évasion fiscale, avec respectivement 21% et 28% de recettes perdues. Gabriel Zucman, The missing profits of nations

[1] Le reporting pays par pays public est une mesure de transparence qui contraint les grandes entreprises à rendre public le détail de leurs activités et de leurs impôts payés dans chaque pays où elles opèrent. Une mesure que la loi bancaire de 2013 a rendue effective pour les entreprises du secteur bancaire. L’élargissement du reporting pays par pays public à tous les secteurs a été adopté en France dans la loi Sapin 2 en 2016 avant d’être censuré du Conseil Constitutionnel. Dans la suite des Luxleaks, et d’une grande campagne de la société civile, la Commission européenne a proposé une directive en mai 2016 sur le reporting pays par pays public, enrichie et votée par le Parlement européen en juillet 2017 avec néanmoins une clause d’exemption importante. Depuis, les Etats membres ne parviennent pas à trouver un accord face à la résistance de certains pays comme l’Allemagne, mettant en danger le projet de directive.

[2] Le projet d’harmonisation fiscale (Assiette Commune Consolidée pour l’Impôt des Sociétés), initié par la Commission européenne en 2011 puis relancé en 2016 à la suite des différents scandales d’évasion fiscale, vise à instaurer des règles uniformes de calcul des bénéfices pour les grands groupes multinationaux. Une deuxième phase (la consolidation) prévoit que les résultats imposables consolidés du groupe seraient répartis entre chacune des sociétés qui le constituent par application d’une formule simple. Cela permettra à chaque Etat membre de soumettre les bénéfices des sociétés résidentes de cet Etat à son propre taux.

[3] Interview du Président Emmanuel Macron dans le journal Le Monde, 2017, disponible sur : https://abonnes.lemonde.fr/planete/article/2017/12/12/emmanuel-macron-il-faut-un-choc-dans-nos-modes-de-production_5228401_3244.html ; Interview du Ministre des finances allemand Olaf Scholz : http://www.spiegel.de/plus/olaf-scholz-deutschland-hat-eine-besondere-verantwortung-a-00000000-0002-0001-0000-000157769163

[4] Imiter le modèle de la taxe française sur les transactions financières au niveau des 10 ou 27 pays membres reviendrait à ne taxer que les achats d’actions des entreprises par les institutions financières et exempter les transactions les plus spéculatives, notamment les produits dérivés. Selon les estimations de la Commission européenne, une taxe « à la française » rapporterait respectivement environ 4 et 7 milliards d’euros au niveau des 10 et 27 pays membres. En incluant les transactions les plus spéculatives, notamment les produits dérivés, elle pourrait rapporter entre 22 et 42 milliards d’euros. Sources : Commission européenne (2013 and 2016), disponible sur : https://ec.europa.eu/taxation_customs/sites/taxation/files/resources/documents/taxation/swd_2013_28_en.pdf et https://stampoutpoverty.org/app/uploads/2017/02/EU-FTT-Revenue-Estimatations.pdf