Aide à l’agriculture : des promesses aux réalités de terrain

L’état de la coordination des interventions dans 3 pays d’Afrique de l’Ouest

Ce rapport revient sur la mise en œuvre des promesses faites par la communauté internationale au cours des douze derniers mois pour soutenir l'agriculture et assurer la sécurité alimentaire dans trois pays ouest africains : le Burkina Faso, le Niger et le Ghana. Un rapport qui pointe du doigt le manque criant d'efficacité dans la coordination de l'aide sur le terrain.

Lancé à la veille du sommet mondial sur l'alimentation qui se tient à Rome du 16 au 18 novembre, ce rapport "Aide à l'agriculture : des promesses aux réalités de terrain" a été très favorablement accueillie par les représentants d'organisations paysannes du Mali, du Burkina Faso, du Ghana, du Niger, du Sénégal et du Nigeria, partenaires de la campagne sur l'agriculture lancée par Oxfam International dans la région d'Afrique de l'Ouest. Cette étude a été l'occasion de définir des pistes de travail communes pour l'année à venir sur la question de la coordination des bailleurs de fonds et sur la place des organisations paysannes dans les processus politiques en cours.

Auteur du rapport, Jean-Denis Crola, chargé de plaidoyer à Oxfam France, en expose les objectifs initiaux et les résultats obtenus.

Quel était l'objectif de cette étude ?

Au sommet de la FAO à Rome en juin 2008, les Etats ont appelé à une meilleure coordination de leurs interventions pour améliorer l'efficacité de l'aide à l'agriculture. La conférence de Madrid en janvier 2009 était censée dresser un bilan des progrès réalisés en la matière, mais aucun Etat, aucune institution internationale ni aucune ONG n'a été capable d'apporter d'éléments concrets. En juillet 2009, lors du sommet du G8, les signataires ont à nouveau adopté comme principe fondamental d'action la coordination de leurs actions et le soutien à la mise en œuvre des politiques nationales. Au prochain sommet mondial de l'alimentation fin novembre, les mêmes principes risquent d'être répétés, sans que personne ne se donne les moyens d'évaluer la situation sur le terrain.

C'est pour cette raison qu'Oxfam International, en partenariat avec la Plateforme paysanne du Niger (PFPN) et la Confédération paysanne du Faso (CPF), a réalisé en juin 2009 une étude dans trois pays d'Afrique de l'Ouest – Burkina Faso, Ghana, Niger – pour dresser un état des lieux de l'intervention des partenaires présents sur le terrain (Etats, agences des Nations unies, banques de développement). A partir de cette "photographie", nous avons tenté d'évaluer les progrès faits depuis un an, pour être en mesure de formuler des recommandations concrètes auprès des bailleurs de fond.

Quels ont été les résultats de la mission ?

Depuis une trentaine d'années, l'aide à l'agriculture en Afrique de l'Ouest est morcelée en une multitude de projets, souvent mal coordonnés entre eux et déconnectés des politiques et programmes nationaux, et qui reflètent davantage la vision des bailleurs de fonds que celle des pays bénéficiaires. Dans chacun des pays étudiés, une vingtaine d'acteurs investissent dans le secteur agricole à travers une centaine de projets, au niveau régional ou auprès de communautés spécifiques, et sur des périodes allant de 3 à 5 ans, sans garantie de continuité. Les bailleurs qui financent ces projets ont des modes d'intervention parfois tellement différents que leurs actions sont incohérentes, et au final inefficaces pour les bénéficiaires.

Au Ghana par exemple, 13 projets, sans aucun lien entre eux, appuient actuellement la filière riz, particulièrement sensible pour la sécurité alimentaire du pays. Certains appuient la filière dans son ensemble, pendant que d'autres se concentrent sur la production et la dissémination de semences. Les projets promeuvent différentes variétés de riz dans les mêmes zones d'intervention, diminuant la qualité du riz local et la compétitivité du riz ghanéen par rapport aux variétés importées.

En outre, au lieu de soutenir les gouvernements dans la mise en place de politiques agricoles et alimentaires efficaces, la multiplication des projets et des intervenants tend au contraire, par la complexité des procédures et l'accumulation des missions d'évaluation, à affaiblir les ressources locales. Le personnel des administrations est accaparé vers la gestion et le suivi à court terme de chaque projet.

La situation a-t-elle changé avec la crise alimentaire ?

Malheureusement, elle ne s'est guère améliorée sur le terrain. L'urgence de la crise a même parfois conduit à des interventions encore plus mal coordonnées entre les bailleurs de fonds et mises en œuvre hors des cadres nationaux de réponse à la crise.

Par ailleurs, une grande partie des actions mises en œuvre depuis 2008 ont été financées par réallocation de budgets déjà engagés, pour les trois pays, sur d'autres secteurs du développement. Alors que la situation alimentaire actuelle nécessite des financements prévisibles et des investissements de long terme dans le secteur agricole, la durabilité des financements mis en œuvre jusqu'ici pose fortement question.

Quelles recommandations pour le futur ?

Après plusieurs années de relative stagnation, la région CEDEAO (Communauté économique des Etats d'Afrique de l'Ouest) a relancé la dynamique de mise en œuvre de sa politique agricole régionale. Dans ce cadre, les trois pays étudiés, comme l'ensemble des pays de la région, sont en cours d'élaboration de programmes d'investissement agricole, qui représentent une opportunité unique d'apporter une cohérence et une coordination des interventions des bailleurs de fonds, autour d'objectifs communs et partagés.

Il est essentiel que les bailleurs jouent complètement le jeu dans les prochains mois, et se donnent les moyens d'appuyer efficacement les gouvernements dans la mise en œuvre de ces programmes. Pour cela, ils doivent revoir en profondeur leurs stratégies d'intervention et de coordination, et passer progressivement de la mise en œuvre de projets au soutien au gouvernement, sous forme d'un accompagnement humain, technique et financier adéquat.

Du coté des gouvernements du Sud, il est essentiel qu'ils fassent du secteur agricole une véritable priorité budgétaire. Ils doivent également donner à la société civile et notamment aux organisations de producteurs, premiers acteurs du développement agricole, leur place entière dans la définition des priorités et des objectifs poursuivis par les futures politiques agricoles.

Auteur(s) du rapport

Oxfam