Inflation et pouvoir d’achat : les mesures insuffisantes du gouvernement

Alors que le gouvernement vient de présenter une proposition de loi et une série de mesures insuffisantes en réponse à l’inflation, il convient de rappeler les mesures proposées par Oxfam ainsi que les prises de positions de plusieurs associations qui permettront de gagner du pouvoir d’achat.

La perte de pouvoir d’achat pénalise une fois de plus les plus précaires

Vraie préoccupation des Français depuis de très nombreuses années, le thème du pouvoir d’achat revient dans le débat public avec l’inflation des prix constatée sur un grand nombre de postes de dépenses contraintes du quotidien comme le loyer, le carburant, les matières premières et sur l’énergie. Bruno Le Maire vient d’annoncer des projections pour un taux d’inflation à +5% sur l’année 2022 alors que certains experts évoquent plutôt 6% voire 7%.

Cette situation grignote largement le pouvoir d’achat des Français.es, d’autant que les salaires eux n’augmentent pas et que les aides aux personnes en situation de précarité ne sont pas jugées suffisamment ambitieuses.

Cette inquiétude exprimée face à la hausse des prix est renforcée par le fait que la part des dépenses contraintes (logement, transport, énergie, téléphone, assurances, etc.) a doublé depuis 60 ans dans les budgets des ménages (29% en 2019). Les Français.es se retrouvent confronté.es à des dilemmes entre payer son loyer, se déplacer ou se nourrir ; d’autres ont été amenées à renoncer depuis longtemps à bien manger. L’indice de référence des loyers (IRL), qui sert de repère pour revoir les prix de l’immobilier à la location, a bondi de 2,48% au premier trimestre et devrait être aux alentours de 3,5% en juillet. Cette flambée concerne 14 millions de ménages locataires. Côté alimentation, ce n’est guère mieux puisque en France, en un an, le prix du pain a augmenté de 3,8%, la farine et autres céréales ont augmenté de 9,7%, les pâtes de 12,3% et les huiles alimentaires (hors huile d’olive) de 15% !

Par ailleurs, la Fondation pour la Nature et l’Homme comptabilise 4 millions de personnes qui se retrouvent en première ligne face à cette hausse des prix des carburants en raison de leurs faibles revenus et en raison des longs trajets contraints qu’ils ont à réaliser au quotidien. On rappelle que dans le même temps, la fortune totale des 500 plus grandes fortunes professionnelles de France atteint 1002 milliards d’euros, soit +5% par rapport à l’an passé.

Pour un gain de pouvoir d’achat, quelles solutions à moyen et long terme ?

Des mesures de moyens ou longs termes permettront un gain de pouvoir d’achat pérenne. Ainsi, Oxfam recommande dans son manifeste fiscal de remplacer l’impôt sur le revenu et la CSG par des contributions sociales et fiscales progressives, aux assiettes identiques et budgets séparés. La disparition d’une CSG proportionnelle au profit d’un impôt progressif permettra de faire gagner du pouvoir d’achat aux personnes les plus modestes puisqu’il seront mis à contribution de manière plus équitable en fonction de leurs revenus. 

Par ailleurs, alors qu’on se rappelle toutes et tous les images de jeunes faisant la queue pour recevoir une aide alimentaire durant la pandémie, les jeunes sont également touchés de plein fouet par l’inflation. Aux Restos du cœur, les jeunes représentent désormais plus de la moitié des bénéficiaires. Pour redonner du pouvoir d’achat aux jeunes et les aider à surmonter la crise, Oxfam se prononce par ailleurs pour une revalorisation du RSA à 50% du salaire médian et son extension aux 18-25 ans. Pour contribuer à financer cette mesure, Oxfam France a mis sur la table quinze mesures pour réformer la fiscalité en France et la rendre plus juste permettant de dégager 14 milliards d’euros par an dédiés à cette revalorisation. 

Même positionnement pour d’autres associations comme le Secours catholique qui souhaite également l’instauration d’un véritable revenu minimum garanti, qui puisse améliorer le RSA actuel. En l’augmentant de 30 % soit 735 €, afin de retrouver une certaine sécurité (notamment sur le plan alimentaire), avec pour objectif de le porter à 50 % du revenu médian (soit 919 € par mois pour une personne seule) pour éradiquer la pauvreté.

Pour faire face à l’urgence, il faut cibler les aides, les rendre automatiques, pour lutter contre le non-recours. 

Pouvoir d’achat : on décortique les mesures proposées par le gouvernement

Insuffisantes et mal ciblées, les mesures court-termistes proposées par le gouvernement pour limiter les dégâts de l’inflation sur les Français sont dénoncées par plusieurs associations.

Le logement et l’énergie

Sur la question du logement, Bruno Le Maire a annoncé la limitation de la hausse de l’IRL (Indice de référence des loyers) à 3,5% jusqu’à la fin juin 2023 et une augmentation de 3,5% également des aides personnalisées au logement (APL) dès le 1er juillet. 

Le gouvernement s’est prononcé contre le gel des loyers pourtant réclamée par un grand nombre d’associations en évoquant que cette mesure pourrait nuire aux propriétaires modestes vivant de la location de leur bien pour compléter leur retraite et dans le même temps favoriserait un locataire aisé. Cet argument agite un mythe vieux comme le monde et ne repose pas sur la réalité : 3,5 % des ménages sont propriétaires d’au moins 5 logements : ils détiennent 50 % des logements en location possédés par des particuliers. 

Oxfam s’est prononcé pour une revalorisation des aides au logement en dégageant un budget supplémentaire de 4 milliards d’euros par an financé grâce à nos propositions de réforme fiscale juste, verte et féministe

Alors que 20% des ménages français souffrent de précarité énergétique, toute politique visant à limiter les dépenses contraintes des ménages chez eux, ne saurait être complète sans prendre en compte le problème des passoires énergétiques, qui concerne 7,4 millions de logements. 

Pour bon nombre d’associations, la proposition du gouvernement de limiter la hausse de l’IRL à 3.5%, c’est la double peine pour les ménages qui subissent déjà l’augmentation des prix de l’énergie et de l’alimentation alors que geler les loyers pendant un an ou deux aurait impacté uniquement les bailleurs. La Fondation Abbé Pierre préconise quant à elle de limiter la hausse à 1,5% voire 2% et créer un “bouclier APL revalorisé de 10%. 

Le prix de l’essence et de l’énergie

La hausse importante du prix des carburants, plus 20% depuis le début de l’année 2022, nous rappelle à quel point notre mobilité est vulnérable à l’augmentation du prix du pétrole. Le système de mobilité développé par la France reposant prioritairement sur le transport individuel, fait mécaniquement peser un coût plus important sur les ménages les plus modestes, tout en ne favorisant pas les mobilités plus douces pour l’environnement.

Dans ce contexte, la mise en place d’une aide exceptionnelle de 100€ pour près de 36 millions de ménages ne saurait être une réponse suffisante. D’une part, car le montant est trop faible pour couvrir les dépenses supplémentaires et d’autre part car ce type de mesures n’est qu’une réponse ponctuelle à une problématique bien plus structurelle.

Les mesures d’urgence ne sauraient se substituer à des mesures structurelles pour réduire la dépendance à la voiture individuelle, excessivement coûteuse pour les ménages, la santé et l’environnement.

Concernant la hausse des prix de l’énergie, Oxfam recommande d’étudier la réintroduction de tarifs sociaux pour couvrir les besoins de base d’électricité, de chauffage des personnes les plus précaires. 

Le prix de l’alimentation

Le gouvernement proposera aux 9 millions de Français les plus précaires à partir de la rentrée un chèque alimentaire d’une valeur de 100 euros avec 50 euros supplémentaires par enfant. L’idée n’est pas nouvelle, la question d’un chèque pour une alimentation durable figurait déjà dans la Convention citoyenne en 2019 et avait été abandonnée. Les associations estiment que plusieurs éléments doivent être pris en considération avant l’entrée en vigueur de la mesure. Elles rappellent que le dispositif ne devra pas oublier d’intégrer les personnes sans ressources, d’orienter des chèques alimentaires, qui existent, vers des produits durables (notamment issus de l’agriculture biologique et de l’agroécologie) et en particulier des circuits durables. Par ailleurs, il faudra éviter que le dispositif paraisse trop stigmatisant ce qui pourrait éloigner les bénéficiaires potentiels. Pour éviter des écueils potentiels, les associations recommandent de passer par une phase d’expérimentation, territorialisée, adaptée à la diversité de situations de précarité, en assurant des modalités d’évaluation avec les usagers.

Par ailleurs, les associations qui travaillent sur les questions de réduction des inégalités entre les français sur les sujets d’alimentation réclament des mesures plus structurelles et pérennes. L’instauration d’un revenu minimum garanti (à 50 % du niveau de vie médian), le soutien effectif à la restauration collective pour changer ses approvisionnements et tarifs. D’autres acteurs sont favorables à la mise en place de régies agricoles, d’une régulation des marchés agricoles, de chantiers d’insertion au service des circuits courts, d’ expérimentations d’une « Sécurité sociale de l’alimentation », ou encore des dynamiques d’éducation populaire sur l’alimentation.

Enfin, il est bon de rappeler que l’inflation constatée sur les prix des denrées alimentaires s’explique en grande partie par des taux de marges beaucoup trop élevés pratiqués par certaines multinationales en situation de monopole dans un grand nombre de secteurs (rappelons par exemple que  1 % des exploitations contrôlent 65 % des terres agricoles et 4 traders réalisent 70 % du commerce mondial en valeur de matières premières agricoles). Ainsi, le Economic Policy Institute a montré qu’aux Etats-Unis, le taux de marge représentait 56% de l’augmentation des prix tandis que les matières premières sont responsables de 38% de la hausse constatée et les salaires 8% seulement. 

Afin de protéger les plus précaires, Oxfam est favorable à un blocage temporaire des prix sur des denrées alimentaires essentielles. 

La prime d’intéressement pour les salariés

Cette mesure est injuste car elle ne vise qu’une frange de la population. Les personnes en recherche d’emplois ou bénéficiant de contrats courts et précaires ne pourront en bénéficier. 

La question du partage, l’intéressement et la participation sont des mécanismes intéressants qui permettent de complémenter un niveau de salaire. Mais, justement, ce n’est qu’un complément et il est nécessaire corriger la problématique des écarts de salaires Les formules d’intéressement et de participation aujourd’hui ont tendance à favoriser les plus hauts revenus, qui proportionnellement en perçoivent plus. La question des écarts de salaires est un enjeu de cohésion sociale. Les inégalités de revenus sont citées parmi les plus répandues et les moins acceptables de toutes les formes d’inégalités.

A court-terme, il convient de réformer ces mécanismes afin d’en corriger les principaux défauts, à commencer par le manque de transparence :

  • Les entreprises devraient être obligées de rendre publiques, dans leur rapport annuel et selon un format commun, les données suivantes : les sommes distribuées respectivement au titre de la participation et au titre de l’intéressement et leur distribution au sein de l’entreprise.
  • Une option pourrait être de réformer les dispositifs d’intéressement et de participation de manière à être plus équitables et représentatifs de la contribution des salariés. L’épargne salariale doit contribuer pleinement au financement de l’impôt et de la protection sociale et être fléchée vers le financement de projets d’intérêt public.