Devoir de vigilance : les grandes entreprises face à leurs responsabilités

Ces dernières années, de nombreux scandales nous viennent à l’esprit, illustrant les abus des multinationales concernant les droits humains ou la destruction de l’environnement. Le tragique événement du Rana Plaza en 2013 et les images de la forêt amazonienne déforestée par des entreprises internationales, entre autres, rappellent la nécessité impérative d’une surveillance et d’une réglementation rigoureuse. 

Les entreprises portent ainsi une grande responsabilité envers les territoires sur lesquels elles opèrent leurs activités, les populations qu’elles affectent, les salarié·e·s qu’elles emploient et les ressources qu’elles exploitent.

Longtemps, il a été du rôle des défenseurs des droits humains et de la société civile de se confronter à ces puissantes entreprises. La société civile agit comme un véritable rempart en déployant un travail colossal d’investigation et de dénonciation des abus des dirigeant·e·s d’entreprises et gouvernements. Mais cette charge de la preuve doit changer de camp, les devoirs de transparence et de reporting sont des avancées, mais cela ne va pas assez loin. Il est temps que ceux qui provoquent – directement ou indirectement – ces impacts négatifs soient tenus pour responsables. C’est de là que naît le combat des organisations de la société civile pour un devoir de vigilance ambitieux.

Le devoir de vigilance : qu’est-ce que c’est ? 

Le devoir de vigilance est une notion juridique selon laquelle les grandes entreprises ont le devoir de mettre en œuvre des mesures pour identifier, prévenir et atténuer les risques d’impacts négatifs de leur activité sur les droits humains, à l’environnement, à la santé et à la sécurité sur toute la chaîne de valeur. 

Législation sur le devoir de vigilance : où en est-on ?

Au niveau international, des projet législatifs embryonnaires sur le devoir de vigilance

Les initiatives législatives concernant le devoir de vigilance au niveau international ont connu une progression notable ces dernières années. En 2011, les Nations Unies ont introduit la notion de « Devoir de Vigilance » – due diligence – au sein des Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme (UNGP). Bien que ce principe soit dénué de valeur juridique, il instaure les bases d’une reconnaissance internationale de la responsabilité des entreprises vis-à-vis de la société. 

Le besoin de concrétiser ce principe dans les textes législatifs a été renforcé par la tragédie survenue en avril 2013, lors de l’effondrement du Rana Plaza au Bangladesh. Cet événement dévastateur a mis en lumière les dangers et défaillances éthiques de l’industrie de la fast-fashion. À peine un an plus tard, en octobre 2014, c’est à l’Union européenne de franchir une étape décisive en adoptant un texte législatif qui impose aux grandes entreprises l’obligation de publier des informations non financières, reflétant une prise de conscience des enjeux éthiques et sociaux liés à la mondialisation.

En 2017, la dynamique se poursuit avec l’adoption d’un règlement européen spécifique aux importateurs de minerais provenant de zones de conflit. Par la suite l’Union Européenne va continuer de publier des études et des rapports dénonçant les activités néfastes des entreprises européennes opérant hors UE. En 2020, le Parlement européen met en exergue l’impact de l’UE sur la déforestation mondiale. Ces avancées sont notables et créent un terreau favorable à un plaidoyer européen pour l’adoption d’un véritable devoir de vigilance des entreprises.

Dans quelles modalités le devoir de vigilance s’applique-t-il en France ? 

Grâce à une forte mobilisation et un travail de longue haleine, un texte contraignant a permis de rendre cette notion obligatoire pour les entreprises françaises. En effet, en 2017 le devoir de vigilance est intégré à la législation française. Pionnière en la matière, la France impose désormais aux multinationales l’obligation d’identifier et de prévenir les risques liés aux droits de l’homme et à l’environnement. Cette responsabilité ne concerne pas uniquement les entreprises mères, mais s’étend également à leurs filiales, sous-traitants et fournisseurs. La réglementation vise les entreprises françaises comptant plus de 5 000 employés sur le territoire national et/ou plus de 10 000 employés à l’échelle mondiale.

En cas de non respect de cette loi, de refus de mettre en place un plan de vigilance, toute personne justifiant d’un intérêt à agir peut la mettre en demeure de respecter ses obligations. Et, si dans les trois mois à venir à partir de cette mise en demeure, la société visée ne respecte pas ses obligations alors le juge peut l’enjoindre à payer une amende jusqu’au respect de la loi. 

Quelques exemples d’application 

  • Yves Rocher : en 2018, en Turquie, des ouvrières et ouvriers de Kosan Kozmetik protestent contre leurs conditions de travail, leurs salaires et les discriminations contre les femmes de l’usine. 34 ancien.es salarié.es soutenus par Sherpa et ActionAid France et le syndicat turc Petrolis attaquent Yves Rocher en justice pour enjoindre l’entreprise à adopter des mesures relatives aux droits des travailleurs.
  • Casino en Amazonie : le 3 mars 2021, des communautés indigènes du Brésil et de la Colombie ont porté plainte contre le groupe Casino en France, les accusant de contribuer à la déforestation et à la prise illégale de territoires autochtones en Amazonie via leurs fournisseurs de viande bovine.
  • La Poste : en décembre 2021, La Poste a été assignée en justice par les Syndicats départementaux SUDPTT91, qui reprochaient au groupe d’avoir employé des sous-traitants non déclarés et sans papiers. La Poste a finalement été condamnée en décembre 2023 par le tribunal judiciaire de Paris.

Le devoir de vigilance au niveau européen : l’action de plaidoyer de la société civile

Oxfam France a rejoint le combat pour changer la législation, notamment à travers la coalition du Forum Citoyen pour la RSE, collectif d’organisations et syndicats luttant pour un devoir de vigilance ambitieux et effectif.

Chronologie

  • Mars 2021 : le Parlement Européen vote un projet de loi sur le devoir de vigilance qu’il présente auprès de la Commission européenne. 
  • Fin 2022 : le Conseil de l’UE vote sa position sur le texte de la Commission. Mais cette proposition contient des insuffisances, priorisant des mesures symboliques plutôt que d’augmenter la responsabilité des entreprises.
  • Début 2023 : la campagne « Justice is everybody’s business » est lancée. Malgré un appel massif de la société civile suivi par un véritable soutien populaire pour un Devoir de Vigilance européen robuste, des résistances politiques des ailes conservatrices européennes se manifestent.
  • Juin 2023 : le Parlement Européen  adopte en plénière sa position sur le texte de la Commission, prévoyant une législation contraignante européenne mais qui porte plusieurs lacunes. Le texte passe à côté de l’objectif de faciliter l’accès à la justice des personnes et communautés affectées. 
  • Décembre 2023 : après que le texte soit passé dans des négociations plus resserrées entre trois institutions européennes (trilogues), un accord a enfin été trouvé. Ces échanges opaques influencés par les lobbies hostiles à ce texte, ont malheureusement permis notamment d’exclure le secteur financier et de se prononcer contre la reconnaissance des droits des peuples autochtones. Le Parlement européen a néanmoins réussi à obtenir l’inclusion de certaines mesures visant à faciliter l’accès à la justice des personnes affectées, notamment en termes d’accès aux preuves et sur la capacité des associations et syndicats de représenter les victimes.
  • 24 Avril 2024 : Après deux ans de bataille politique et législative, et de nombreux revirements de situation, le Parlement Européen  a voté le texte modifié par le Conseil de l’Union Européenne pour une adoption définitive du texte. Ensuite, cette directive devra être transposée dans notre législation nationale dans les 18 mois suivant sa publication, pouvant ainsi venir amender notre loi française.

En plus de son implication active pour l’adoption d’une directive européenne, Oxfam France agit directement sur d’autres terrains en matière de devoir de vigilance avec l’Affaire BNP et le Second Hand September.

Carre-1080x1080px-RVB-SECOND_HAND_SEPTEMBER_v
Carre-1080x1080px-RVB-SECOND_HAND_SEPTEMBER_Plan de travail 1 copie 3

Second Hand September : un mois pour lutter contre la fast-fashion

L‘industrie de la mode incarne une problématique écologique et éthique préoccupante. Reconnue comme une des industries polluantes, elle joue un rôle important dans l’exploitation de travailleurs vulnérables, le gaspillage des ressources naturelles et l’accroissement incessant de son empreinte carbone

Si la solution ne repose pas uniquement sur les épaules du consommateur, nous avons chacun et chacune un rôle à jouer. Chaque choix de consommation est une voix, une prise de position. C’est dans cet esprit que le « Second Hand September », initiative d’Oxfam, a été imaginé. L’objectif est de valoriser la mode de seconde main et promouvoir une « slow fashion » respectueuse et durable en opposition à la frénésie destructrice de la fast-fashion. Et cela dans l’optique que ces nouvelles habitudes de consommation fassent plier les multinationales.