Les banques françaises émettent 4,5 fois plus que la France entière

Communication volontariste autour de leur responsabilité sociale et environnementale, verdissement de leur image, grands sommets tels que les One Planet Summit ou Climate Finance Days, etc. A en croire leurs annonces, les banques françaises ont pris le virage de la transition énergétique et tourné le dos aux énergies fossiles. Il n’en est rien. Les Amis de la Terre et Oxfam ont mené l’enquête et révèlent, derrière les beaux discours, la colossale empreinte carbone des banques françaises.

Les banques réchauffent la planète

Les banques sont au cœur de l’économie et comptent parmi les acteurs incontournables du fait des choix d’investissements qu’elles font, et donc du modèle de société qu’elles façonnent par ce biais. A ce jour, elles orientent encore 70 % de leurs financements énergétiques vers les fossiles, responsables de 80 % des émissions de CO2 mondiales. Leurs choix d’investissement et de financements révèlent une addiction des quatre grandes banques multinationales françaises à un système obsolète reposant sur les énergies fossiles : charbon, pétrole et gaz.

Ainsi, les grandes banques françaises ont massivement investi dans des majors pétrolières et gazières. Avec 5,6 milliards d’euros d’achat de nouvelles actions de Total en 2018, le coût de ces transactions des banques françaises est faramineux en termes d’émissions de gaz à effet de serre (GES), totalisant l’équivalent de l’empreinte carbone de 5,6 millions de voitures à essence. Pour 2018, les émissions issues des activités de financement et d’investissement de BNP Paribas, Crédit Agricole, Société Générale et BPCE dans le secteur des énergies fossiles ont atteint 2 milliards de tonnes équivalent CO2 soit 4,5 fois les émissions totales de la France cette même année. Chacune des trois premières banques françaises a, à elle seule, une empreinte carbone supérieure à celle du territoire français. C’est ce que révèle le rapport : « La colossale empreinte carbone des banques : une affaire d’Etat ».

Les mesures volontaires ont vécu : place à la régulation

Alors que la crise climatique est visible et que ses impacts dévastateurs touchent non seulement les populations pauvres des pays du Sud mais aussi les pays du Nord qui s’en sont longtemps sentis épargnés, les Amis de la Terre et Oxfam rappellent la nécessite d’agir maintenant, pour limiter l’impact humain des changements climatiques et respecter l’Accord de Paris.

Sans action ambitieuse, plus de 100 millions de personnes supplémentaires pourraient basculer dans la pauvreté d’ici 2030 tandis que les avancées obtenues dans la lutte contre la faim seraient compromises, cela après une décennie d’embellie. La dépendance des banques aux énergies fossiles représente aussi un risque majeur pour l’économie, et la finance elle-même. Le monde financier devra appréhender la dépréciation massive d’actifs carbonés, appelés à être pénalisés par la transition vers une économie bas carbone.

Le Groupement international des experts sur l’évolution du climat (GIEC) a réaffirmé l’impératif de réduire drastiquement les émissions de GES d’ici à 2030 et de poursuivre les efforts pour atteindre la neutralité carbone d’ici à 2050. Si la mobilisation de tous est indispensable, garantir des conditions de vie décentes sur Terre et prévenir de nouvelles crises financières systémiques sont des prérogatives de la puissance publique.

Or, les gouvernements ont été trop passifs et laxistes quant aux obligations qu’ils faisaient peser sur les banques privées, laissant croire que le défi climatique était relevé grâce aux mesures d’autorégulation prises par le secteur financier. Pourtant la stratégie des petits pas concédés par les banques est un luxe que nous ne pouvons plus nous offrir : les banques françaises comptent parmi les principales responsables du réchauffement de plus de 1 °C qu’a déjà subi la planète depuis la période préindustrielle. On ne peut pas attendre des pyromanes qu’ils éteignent l’incendie. Les pouvoirs publics ne peuvent plus se défausser de leurs responsabilités sur les acteurs privés : ils doivent légiférer, reprendre le pouvoir et rendre les banques redevables pour qu’elles réorientent les flux de capitaux privés vers une économie bas carbone.

S’affranchir des lobbies et financer la transition

Le laisser-faire de l’État, du gouvernement français et des régulateurs constituent un obstacle majeur à une réelle transition dans le milieu bancaire. Bien qu’en novembre 2018, Bruno Le Maire brandissait pour la première fois la menace d’une régulation contraignante pesant sur les activités climaticides des banques, cette déclaration n’a pas été suivie de l’action politique forte qui aurait permis d’enrayer les émissions de gaz à effet de serre.

Et pour cause, les Amis de la Terre et Oxfam pointent à travers le statu quo politique et l’aggravation des émissions de GES, l’influence exercée par l’industrie bancaire sur les décisions politiques, résultant d’un lobbying agressif et de passages de hauts fonctionnaires du secteur public vers le secteur privé et vice-versa. En 2018, l’ensemble de l’industrie financière a ainsi dépensé plus de 15 millions d’euros pour ses activités de lobbying en France, avec 190 représentants d’intérêts ; tandis que parmi les principaux dirigeants des banques et de leurs associations professionnelles, 30 d’entre eux sont des anciens fonctionnaires de Bercy.

Alors que les acteurs financiers se réunissent à Paris le vendredi 29 novembre 2019 dans le cadre du Climate Finance Day, Les Amis de la Terre France et Oxfam France appellent le Gouvernement à mettre en place des normes contraignantes afin de garantir un alignement des activités des banques françaises avec l’objectif de limiter l’augmentation de la température mondiale à 1,5 °C. Ces normes devront garantir que les banques mettent fin à leurs soutiens aux énergies fossiles et en programment la sortie totale. L’Etat doit garantir en priorité la sortie du secteur du charbon au plus tard en 2030 dans les pays européens et de l’OCDE, et au plus tard en 2040 dans le monde. Ces mesures permettront aussi d’investir dans les énergies renouvelables qui sont désormais plus compétitives que les fossiles, et qui sont un levier de développement important dans les pays du Sud.

Oxfam, qui milite pour la justice climatique et insiste sur les liens entre inégalités, pauvreté et climat interpelle également Emmanuel Macron dans le cadre de la COP25 à venir, rejoignez la mobilisation !