D’après une nouvelle étude publiée aujourd’hui par Oxfam en amont des Assemblées annuelles du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale à Marrakech, plus de la moitié des pays les plus pauvres du monde (57 %), dans lesquels vivent 2,4 milliards de personnes, se verront contraints de réduire conjointement leurs dépenses publiques de 229 milliards de dollars dans les cinq prochaines années.

Dans le contexte actuel, les pays à revenu faible et intermédiaire de la tranche inférieure seront tenus de payer près de 500 millions de dollars par jour en intérêts et en remboursement de la dette d’ici 2029. Des nations entières sont menacées de faillite et les pays les plus pauvres sont contraints de consacrer un budget quatre fois plus important au remboursement de leurs dettes auprès de riches créanciers qu’aux soins de santé.

« La Banque mondiale et le FMI reviennent pour la première fois en Afrique après des décennies et ressassent toujours la même rengaine : réduisez vos dépenses, licenciez les fonctionnaires et payez votre dette, quoi qu’il vous en coûte sur le plan humain. Il faut que ces institutions montrent qu’elles peuvent réellement changer de politique et mettre fin à l’aggravation des inégalités nationales et internationales » déclare le responsable Financement du développement d’Oxfam France, Louis-Nicolas Jandeaux.

D’après la Banque mondiale, nous assistons vraisemblablement à la plus importante hausse des inégalités et de la pauvreté que le monde ait connue depuis la Seconde Guerre mondiale. Pourtant, l’institution ne semble nullement disposée à faire de la lutte contre les inégalités un objectif explicite. Les inégalités ont augmenté dans quatre des cinq pays où la Banque Mondiale est intervenue ces dix dernières années. Cette hausse a miné les progrès en matière d’éducation, de santé, d’égalité de genre, de lutte contre la faim et de lutte contre les changements climatiques.

Le FMI prétend quant à lui atténuer les pires effets de ses programmes de prêts axés sur l’austérité en fixant des planchers de dépenses sociales pour encourager les gouvernements à faire des dépenses publiques. Néanmoins, Oxfam a analysé 27 programmes de prêts négociés avec les pays à revenu faible et intermédiaire depuis 2020. Elle a conclu que ces planchers n’étaient qu’un écran de fumée qui n’aboutissait qu’à plus d’austérité : pour chaque dollar que le FMI a encouragé les gouvernements à dépenser dans les services publics, il leur a demandé de réduire six fois plus les dépenses par le biais de mesures d’austérité.

« Le FMI étrangle les pays plus pauvres via sa diète budgétaire, il aggrave les inégalités et les souffrances », dénonce Louis-Nicolas Jandeaux.

Cette année, deux problèmes majeurs constituent les priorités à l’ordre du jour des Assemblées annuelles : la crise de la dette et le besoin urgent de générer plus de ressources pour le développement durable, l’adaptation climatique et la lutte contre la pauvreté dans les pays à revenu faible et intermédiaire. Toutefois, les solutions envisagées par la Banque mondiale, le FMI et leurs principaux actionnaires ne feront qu’aggraver la spirale infernale de la dette.

« Plutôt que d’annuler les dettes impossibles à rembourser, les pays riches veulent se servir des Assemblées annuelles pour maquiller le bilan de la Banque afin d’en extraire l’argent nécessaire à l’octroi de nouveaux prêts, déplore Louis-Nicolas Jandeaux. Pendant ce temps, les pays plus pauvres continuent à s’entendre dire qu’ils doivent amputer les budgets des services publics et des programmes sociaux essentiels à la lutte contre la pauvreté, à la réduction des inégalités et au respect des droits des femmes et des filles. Ils répondent à la crise de la dette par plus d’austérité, et au gouffre des finances par plus de prêts. Les mesures réellement efficaces, comme la taxation équitable des riches, ne sont pas envisagées ».

Les riches prospèrent tandis que les personnes en situation de pauvreté font les frais de la réduction des dépenses publiques et de la crise du coût de la vie. Au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, où auront lieu les Assemblées annuelles :

La fortune des 0,05 % les plus riches a augmenté de 75 %, passant de 1 700 milliards de dollars en 2019 à près de 3 000 milliards de dollars à la fin de l’année 2022. Les 23 milliardaires de la région ont amassé plus de richesses ces trois dernières années que durant la totalité de la décennie précédente.

Un impôt de 5 % sur les fortunes supérieures à 5 millions de dollars permettrait à l’Égypte de doubler ses dépenses de santé, à la Jordanie de doubler son budget pour l’éducation, et au Liban de multiplier par sept ses dépenses de santé et d’éducation. Le Maroc à lui seul pourrait collecter 1,22 milliard de dollars, à l’heure où le bilan du tremblement de terre dévastateur survenu récemment s’élève à 11,7 milliards de dollars de frais de reconstruction.

« L’austérité est une fiction idéologique qui a généré des dommages inimaginables, conclut Louis-Nicolas Jandeaux. Si les infirmiers/ères et les médecins des hôpitaux publics perdent leur emploi aujourd’hui, qui sera là demain pour s’occuper des accouchements et sauver des vies ? Le FMI et la Banque mondiale doivent permettre aux gouvernements de mettre en place des politiques économiques redistributives et d’investir dans les services publics pour réduire drastiquement le gouffre qui sépare les riches du reste de la population ».

« Une situation d’autant plus terrible qu’en juin dernier au sommet de Paris, Emmanuel Macron affirmait qu’aucun pays ne devait choisir entre la réduction de la pauvreté ou la protection de la planète. Alors que la France a vu à la baisse ces dernières semaines ses promesses d’aide internationale, la situation ne cesse de se détériorer et le système international toujours plus inégalitaire ne permets de toute façon même pas aux pays les plus pauvres d’envisager de faire le moindre choix » ajoute Louis-Nicolas Jandeaux.

Contacts presse

Louis-Nicolas Jandeaux | lnjandeaux@oxfamfrance.org | +33 6 49 15 58 60
Marika Bekier | mbekier@oxfamfrance.org | 06 24 34 99 31

Notes aux rédactions

Pour calculer ses statistiques, Oxfam utilise comme base de référence les dépenses de l’année 2023 en pourcentage du PIB. La différence entre les dépenses en pourcentage du PIB en 2023 et toutes les autres années jusqu’en 2028 est multipliée par le PIB nominal en dollars américains pour chaque année. Ce chiffre est ensuite agrégé pour le calcul des réductions budgétaires cumulées sur cinq ans.

Les données sur les dettes proviennent de la base de données internationale de la Banque mondiale sur les statistiques de la dette (l’International Debt Statistics en anglais).

En 2021, les pays à revenu faible et intermédiaire ont consacré 27,5 % de leur budget au service de la dette, un pourcentage qui représente le double de leurs dépenses d’éducation, quatre fois leurs dépenses de santé et près de 12 fois leurs dépenses de protection sociale.

Télécharger le rapport d’Oxfam intitulé « The MENA Gap: Prosperity for the Rich, Austerity for the Rest » (en anglais, le résumé exécutif disponible en français) et la note méthodologique.

En juillet, plus de 230 économistes et spécialistes des inégalités, dont Joseph Stiglitz, Jayati Ghosh, Thomas Piketty et quatre anciens économistes en chef de la Banque mondiale, ont écrit au nouveau président de la Banque mondiale, Ajay Banga, pour lui demander d’adopter de nouveaux objectifs et indicateurs afin de renforcer la lutte contre l’augmentation des inégalités.

L’analyse d’Oxfam décrit un trou noir de 27 000 milliards de dollars auquel les pays à revenu faible et intermédiaire sont confrontés pour faire face aux pertes et aux dommages liés au climat, aux mesures d’adaptation et d’atténuation, ainsi qu’à leurs besoins en matière de santé, d’éducation et de protection sociale.

Au lendemain du tremblement de terre, le Maroc prévoit de dépenser au moins 11,7 milliards de dollars (soit 120 milliards de dirhams) dans un plan de reconstruction sur cinq ans.

C’est la première fois en 50 ans que les Assemblées annuelles du FMI et de la Banque mondiale ont de nouveau lieu sur le continent africain.

Emmanuel Macron, à l’ouverture du sommet pour un nouveau pacte financier qui se tenait à Paris avait affirmé « Jamais aucun décideur, aucun pays ne doit choisir entre la réduction de la pauvreté ou la protection de la planète »

Fin juillet, dans la plus grande confidentialité le gouvernement français est revenu sur la loi de lutte contre les inégalités mondiales de 2021 qui actait de consacrer 0,7% de la richesse nationale française à l’aide au développement. Lors du comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID, Adoption des orientations de la politique de coopération internationale et de l’aide publique au développement du 1er août 2023 ), le gouvernement a en effet affirmé que cet engagement était repoussé en 2030 et donc la responsabilité portera sur un prochain quinquennat. Ce recul est synonyme d’un manque à gagner entre 11 et 28 milliards d’euros pour les populations les plus vulnérables de la planète.