23/02/2022

Alors que la France préside le Conseil de l’Union Européenne, la Commission européenne a présenté aujourd’hui sa proposition de loi visant à réguler les entreprises européennes afin de les rendre plus durables et à mettre fin aux violations des droits humains, de l’environnement et du climat dans leurs chaînes d’approvisionnement. Oxfam France dénonce une occasion manquée. 

Une proposition de loi a minima

Dans un contexte de montée des inégalités sociales, de l’urgence climatique, et de dénonciation d’abus de droits humains par des multinationales, cette nouvelle proposition de directive européenne visant à réguler les pratiques des grandes entreprises vis-à-vis de leurs impacts sur la société et la planète était très attendue. 

Après la loi française sur le devoir de vigilance, pionnière, en 2017 [1], cette extension au niveau européen a présent de nombreuses limitations et en particulier une approche trop formaliste pouvant conduire à repousser la responsabilité aux sous-traitants et fournisseurs [2].

De façon regrettable, et contrairement aux ambitions initiales de la Commission européenne [3], elle ne prévoit pas non plus de réforme en profondeur de la gouvernance des grandes entreprises et ainsi ne s’attaque pas aux racines des effets délétères du court-termisme économique. 

Pour Caroline Avan, chargée de plaidoyer gouvernance et transparence des entreprises chez Oxfam France, le compte n’y est pas : 

« Cette proposition est bien loin de ce qui est nécessaire pour protéger la société et la planète des effets de la course aux profits à court-terme des grandes entreprises. La Commission européenne a présenté une législation au rabais, reflet d’un lobbying intense des entreprises européennes les plus conservatrices. Alors que le gouvernement français promet un “capitalisme responsable”, l’AFEP a joué de son influence aux plus hauts niveaux afin de s’assurer que surtout rien ne change. Nous avons pourtant besoin d’une loi qui soit à la hauteur des aspirations initiales de la Commission pour véritablement changer la donne. » 

Mettre fin au court-termisme économique pour réguler l’action des entreprises sur le climat

La nouvelle proposition se contente de demander à ceux qui dirigent les entreprises, de simplement prendre en compte les conséquences sur la société, l’environnement et le climat. 

Tout comme celle retenue par la loi PACTE en France [4], cette approche est cosmétique et absolument insuffisante : leur responsabilité d’agir est celle de mettre fin à tous leurs impacts négatifs. Il est temps d’en exiger des preuves tangibles et notamment sous la forme d’objectifs de réduction d’émissions à court, moyen et long-terme : l’approche retenue, sur la base d’une auto-évaluation, et sans mécanisme de responsabilité est dramatiquement insuffisante pour corriger les trajectoires climaticides des multinationales [5]. Alors que les versements aux actionnaires ont explosé dans la dernière décennie [6], les investissements nécessaires pour décarboner le modèle des grandes entreprises [7] ne sont pas au rendez-vous. La loi européenne doit en faire un enjeu stratégique pour les multinationales européennes, et inciter leurs dirigeants à agir en alignant significativement leurs rémunérations avec des objectifs climatiques [8]. Plus de 25 business leaders européens l’ont d’ailleurs récemment défendu [9] 

Et Caroline Avan de poursuivre « Face à la montée des inégalités, à l’urgence climatique, balayer d’un revers de la main l’introduction de réformes en profondeur de la gouvernance des grandes entreprises est une occasion historique manquée. Face à l’urgence climatique, il ne suffira pas qu’une entreprise déclare que son modèle est aligné avec l’Accord de Paris, mais bien qu’elle le démontre. Les profits ne peuvent plus se faire au détriment de la planète et ses habitant.es – et il en va de la responsabilité de ceux qui dirigent les plus grandes entreprises. Il appartient maintenant au Parlement européen et aux dirigeants européens de corriger la proposition et d’élever son ambition afin de véritablement construire un modèle économique européen juste et durable. »

Contact presse

Stanislas Hannoun – 07 69 17 49 63 – shannoun@oxfamfrance.org

Notes aux rédactions

[1] Loi n° 2017-399 du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre. 

[2] Étendue dans de la chaîne d’approvisionnement : Les entreprises auront un devoir de vigilance pour l’ensemble de leur chaîne de valeur. Ce devoir s’étendra à leurs propres activités, à leurs filiales et à leurs « relations commerciales établies », tant en amont qu’en aval. Toutefois, une entreprise peut satisfaire à son devoir de vigilance en obtenant des garanties contractuelles de ses partenaires commerciaux directs et en faisant vérifier la conformité par des tiers. Ce type de mesures formalistes ne sont pas effectives, et ont conduit la loi française à mentionner la mise en place de “mesures effectives”. 

Obligations de diligence raisonnable : Ces obligations couvriront les droits humains internationalement reconnus et un ensemble limité de normes environnementales énumérées dans l’annexe de la directive.  Aucune obligation explicite de diligence raisonnable en matière de climat n’est incluse.

Application et responsabilité des entreprises : La proposition exige que les États membres désignent des autorités habilitées à mener des enquêtes et à imposer des sanctions pour faire appliquer la législation. Les États membres devront veiller à ce que les entreprises soient responsables des dommages s’ils ne respectent pas leurs obligations de diligence raisonnable.

[3] La Commission s’était engagée à présenter une proposition solide et équilibrée visant à « garantir que la durabilité est inscrite dans la gouvernance d’entreprise afin de mieux aligner les intérêts à long terme de la direction, des actionnaires, des parties prenantes et de la société ».

[4] https://www.la-croix.com/Debats/Forum-et-debats/Loi-PACTE-devoir-vigilance-rendez-vous-manque-2019-03-13-1201008437 

[5] En Europe, moins de 15% des entreprises ont des objectifs climatiques alignés avec Accord de Paris (Selon l’étude de l’Alliance for Corporate Transparency sur plus de 1000 entreprises

[6] Oxfam France, “Des profits sans lendemain” (2020) : entre 2009 et 2018, les versements aux actionnaires ont augmenté de 70%. 

[7] Dans un rapport publié en 2021, Oxfam France a montré que la trajectoire d’émissions des entreprises du CAC40 nous emmène vers un monde à + 3,5°.  

[8] En France, au sein du CAC40, en 2019, seules 13 entreprises utilisent des critères climat dans la rémunération de leurs PDGs – ceux-ci représentent moins de 4% de leur rémunération totale. Le texte de la Commission propose de se référer à des objectifs climatiques pour l’établissement de la part variable des rémunérations quand celle-ci prévoit la prise en compte des contributions à long-terme du dirigeant. 

[9] « La rémunération des dirigeants doit être liée à des objectifs de durabilité »