Réaction des Amis de la Terre et Oxfam France

Montreuil, le 26 septembre 2022 – Le gouvernement propose dans le projet de loi de finances (PLF) la fin des garanties à l’export aux nouveaux projets pétroliers et gaziers, à l’exception des centrales de production électrique. Après des années de mobilisation de la société civile, c’est une avancée décisive qui pourrait inciter d’autres pays à s’engager, et rediriger ainsi des milliards d’euros vers la transition énergétique. Les Amis de la Terre France et Oxfam France appellent les député·es à voter cette proposition et à aller plus loin en appliquant le même régime d’interdiction pour les centrales à gaz.

Le PLF présenté ce matin par Bruno Le Maire propose que l’Etat français cesse dès la fin de cette année l’octroi de soutiens sous forme de garanties à l’export [1] à la quasi-totalité des projets pétroliers et gaziers, de l’exploration à la distribution en passant par le transport. Une exception notable demeure : les centrales de production électrique à base de gaz ou pétrole ne sont pas couvertes [2]. Il s’agit d’une avancée de taille alors que mettre fin à l’expansion des énergies fossiles s’est imposée comme une priorité pour limiter le réchauffement global à 1,5 °C [3]. Cette nouvelle politique française reconnaît enfin cette urgence : la précédente stratégie, adoptée en 2020, permettait de soutenir de nouveaux projets d’hydrocarbures jusqu’en 2025 et 2035, et n’excluait pas les projets de transport ou stockage.

Entre 2009 et 2019, la France avait accordé 9,3 milliards d’euros de garanties exports aux énergies fossiles [4], par exemple en Arctique russe ou au Mozambique. En juillet 2019, les ONG les Amis de la Terre France, Oxfam France et le Réseau Action Climat alertaient sur le contre-sens de continuer à subventionner les énergies fossiles dans un contexte d’urgence climatique [5].

Alexandre Poidatz, chargé de plaidoyer finance et climat chez Oxfam France, se réjouit : « Trois ans après les engagements pris par Emmanuel Macron à la tribune de l’ONU en septembre 2019 [6], puis à la COP26 [7], la France inscrit enfin dans la loi sa promesse de cesser de soutenir les nouveaux projets d’énergies fossiles à l’étranger fin 2022, à l’exception des centrales à fioul et gaz. Bien qu’incomplète, cette avancée décisive est aussi à mettre au crédit de la mobilisation active de la société civile depuis plusieurs années [8]. »

La proposition comporte en effet deux points faibles : elle permet de soutenir des centrales de production électrique au fioul ou à gaz. Or, investir aujourd’hui dans ce type de projets et construire la dépendance de régions aux hydrocarbures pour les prochaines décennies ne représentent ni bénéfice pour le climat, ni pour la transition énergétique des pays du Sud. Cela détourne des capitaux des véritables solutions, dans les économies d’énergie, la rénovation thermique et l’efficacité énergétique, et ralentit [9] le développement des énergies renouvelables, déjà compétitives et dont le gigantesque potentiel notamment en Afrique est largement sous-exploité [10].

Par ailleurs, un autre élément de la politique requiert notre vigilance : le soutien à des projets permettant de réduire l’impact environnemental négatif d’installations existantes. Cela signifie que l’Etat pourrait soutenir des technologies immatures et très coûteuses comme la capture et stockage de carbone, au bénéfice de géants des énergies fossiles et en détournant ainsi des soutiens publics urgemment requis pour les solutions dont l’efficacité dans la réduction des émissions de gaz à effet de serre est prouvée, comme le déploiement des énergies renouvelables et de l’efficacité énergétique [11].

Anna-Lena Rebaud, chargée de campagne aux Amis de la Terre France conclut : “Alors que la France avait traîné des pieds [12] pour s’engager à mettre fin à ces soutiens à la COP26 et que la guerre en Ukraine sert de prétexte à de nombreux pays pour continuer à soutenir l’expansion du gaz, la nouvelle politique française envoie un signal fort à la communauté internationale. Les pays doivent mettre immédiatement fin aux soutiens aux énergies fossiles, et non pas soutenir le développement de gaz à l’étranger pour remplacer le gaz russe, à l’image de l’Allemagne au Sénégal [13]”.

Si tous les pays signataires de la Déclaration de Glasgow s’engageant à mettre fin aux soutiens publics aux énergies fossiles redirigeaient leurs soutiens allant aux énergies fossiles, 28 milliards pourraient aller vers les projets soutenant une transition énergétique juste [14]. C’est également un signal fort envoyé aux institutions financières privées, et notamment aux banques françaises qui ont versé 350 milliards de dollars aux énergies fossiles entre 2016 et 2021 [15].

Contact presse

Notes

[1] Le PLF propose de mettre fin aux garanties “à l’exploration, la production, le transport, le stockage, le raffinage ou la distribution de charbon ou d’hydrocarbures liquides ou gazeux ainsi que la production d’énergie à partir de charbon, à l’exception des opérations ayant pour effet de réduire l’impact environnemental négatif, d’améliorer la sécurité d’installations existantes ou leur impact sur la santé sans en augmenter la durée de vie ou la capacité de production, ou visant le démantèlement ou la reconversion de ces installations.”

[2] Pour limiter le réchauffement climatique à 1,5 °C, l’Agence internationale de l’énergie (AIE)  indique qu’aucun nouveau champ pétrolier ou gazier ne doit être mis en exploitation après 2021. Consommer les réserves d’hydrocarbures déjà en cours d’exploitation suffisent à nous faire dépasser les 1,5 °C et 40 % des mines de charbon et champs pétrolier et gazier devront être fermés prématurément pour espérer les respecter. Selon les Nations Unies, la production de charbon, de pétrole et de gaz doit respectivement diminuer de 11 %, 4 % et 3 % annuellement d’ici 2030. En 2040, la production d’électricité à partir de gaz devra être 90 % inférieure au niveau de 2020. 

[3] Grâce à son agence de crédit à l’exportation (Bpifrance Assurance Export), l’Etat français soutient les activités à l’export des entreprises actives sur son territoire, en jouant le rôle d’assureur en dernier recours. Ces assurances publiques, appelées garanties à l’exportation, permettent aux entreprises d’obtenir plus facilement des prêts de la part de banques commerciales. Elles limitent ainsi les risques liés à la vente de biens et services sur les marchés étrangers, en particulier lorsqu’il s’agit de sommes importantes, ou que ces ventes se font dans des pays au contexte économique ou géopolitique instable.

[4] Ministère de l’Economie, Propositions de pistes de modulation des garanties publiques pour le commerce extérieur, 2019, p.9.

[5] Amis de la Terre, Oxfam et RAC Cachez ces fossiles que l’on ne saurait voir – 3 institutions financières publiques à l’épreuve de l’Accord de Paris, 2019.

[6] Elysée, Discours du Président Emmanuel Macron à la tribune de l’Assemblée générale de l’ONU. 2019. 

[7] Ministère de la Transition Ecologique. COP26 : la France signe un accord réaffirmant son engagement à mettre fin aux financements publics à l’étranger de projets d’énergies fossiles. 2021. 

[8] Sous la pression citoyenne, le gouvernement français avait finalement renoncé à soutenir le projet de Total en Arctique russe, Arctic LNG 2. Après avoir accordé une garantie au projet Coral South au Mozambique que les Amis de la Terre ont dénoncé, il n’a finalement pas soutenu un autre projet, Mozambique LNG.

[9] ISSD, Step Off the Gas: International public finance, natural gas and clean alternatives in the Global South, Juin 2021.

[10] Milieudefensie, Locked out of a Just Transition: fossil fuel financing in Africa, Mars 2022.

[11] Voir p.8 de notre dossier de presse Loi de finances 2023 : vers la fin des subventions aux nouveaux projets d’énergies fossiles ?, 22 septembre 2022.

[12] Les Amis de la Terre, COP26 : la France rejoint enfin les 30 pays s’engageant à cesser de soutenir les énergies fossiles fin 2022, 12 novembre 2021

[13] “L’énergie au cœur de la visite d’Olaf Scholz au Sénégal et en Afrique du Sud”, Euractiv, 25 mai 2022.

[14] IISD, “Turning Pledges Into Action”, 29 juin 2022.

[15] Ran et al., “Banking On Climate Chaos”, mars 2021.