Projet de loi asile et immigration 2023 : une menace pour les droits et la solidarité

Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur, a annoncé vouloir inscrire les immigrés menacés d’expulsion au fichier des personnes recherchées (FPR) comme une mesure importante de son futur projet de loi, qui est en passe de devenir le 29ème du genre depuis 1980. Officiellement, le projet de loi visera à améliorer ces procédures et faciliter l’insertion des travailleurs étrangers et sera débattu au Sénat puis à l’Assemblée nationale en novembre et décembre 2023. En réalité, les mesures qui ont été rendues publiques jusqu’alors laissent présager une menace envers les droits des personnes exilées ainsi qu’envers les principes de solidarité et de fraternité que nous portons.

Quelques définitions

Qu’est-ce qu’un projet de loi (PJL) :

Un projet de loi est un projet de texte législatif présenté par le Gouvernement devant le Parlement. De la préparation du texte à son examen par le Parlement, le parcours du projet de loi est constitué de nombreuses étapes et va in fine être examiné par le Parlement (Assemblée Nationale + Sénat) avant d’être adopté ou non.

Qu’est-ce qu’une OQTF :

La décision d’éloignement ou d’obligation de quitter le territoire français est prise par le préfet, notamment en cas de refus de délivrance de titre de séjour ou de séjour irrégulier : Situation d’un étranger qui ne possède pas les documents l’autorisant à rester en France en France. Pour la personne concernée, elle l’oblige à quitter la France par vos propres moyens dans un délai de 30 jours. Dans des situations limitées, elle peut aussi l’obliger à quitter la France sans délai. Un recours est possible (Service public).

Les raisons d’un nouveau projet de loi Asile & Immigration

Irrémédiablement, la question de l’immigration est un sujet sensible pour les citoyens. Année après année, les gouvernements tentent de laisser un héritage en la matière, qu’il s’agisse de mesures répressives ou permettant une meilleure intégration. L’immigration touche des cordes sensibles telles que la question des frontières et les raccourcis souvent adoptés dans les médias ne permettent pas de laisser penser tout autre modèle qu’un paradigme sécurité-immigration. Après une séquence « réforme des retraites » difficile, le projet de loi a été remodelé puis décalé, pour revenir devant la représentation nationale en novembre 2023, quasiment dans les termes initiaux. Dans une interview pour le journal Le Monde le 2 novembre 2022, les ministres de l’Intérieur et du Travail affirmaient que « la part des étrangers dans notre population va atteindre les 10 % dans les années qui viennent ». Or, comme le soulève La Cimade dans son article de décryptage, ces propos laissent non seulement entendre que la France serait envahie par des « flux d’immigration irrégulière » incontrôlés, mais entretiennent une confusion volontaire, puisqu’en 2021 la population étrangère dans son ensemble s’élevait à 7,7 % de la population totale française. En se basant sur différents types de chiffrages, celle ayant trait aux personnes en situation irrégulière, oscillerait entre 0.52 % et 1.19 % de la population totale. Maintenant que nous disposons des données, penchons-nous sur le projet !

Les enjeux autour du nouveau projet de loi Asile & Immigration

Que contient ce projet de loi ?

Selon les nouvelles égrainées depuis un an par Gérald Darmanin et le ministre du travail Olivier Dussopt, les deux grands axes de ce projet de loin seront l’éloignement/l’expulsion par l’amenuisement des recours, et les modalités de travail.

Raccourcir les délais, diluer les recours

Le ministre a annoncé « L’Ofpra [Office français de protection des réfugiés et apatrides] a diminué ses délais d’instruction […] Nous proposons, en discutant avec le Conseil d’Etat, quatre simplifications en matière d’asile. Nous allons répartir sur le territoire les chambres de la CNDA. A la faveur du juge unique, la formation de jugement collégiale ne se réunira plus que pour les arrêts de principe ou des cas très difficiles. La possibilité d’organiser des audiences en vidéo sera généralisée et, enfin, s’il n’y a pas d’appel contre le rejet de la demande d’asile par l’Ofpra, celui-ci vaudra OQTF avec possibilité de recours sous quinze jours. » Selon lui, de telles mesures permettraient donc « un traitement plus rapide des demandes manifestement infondées » : en réalité, cela permettrait d’empêcher les étrangers de développer des droits de séjour liés à leur situation familiale ou professionnelle qui leur permettraient de faire tomber une OQTF. Il souhaite également supprimer la protection de certaines catégories d’étrangers (comme ceux arrivés en France avant l’âge de 13 ans ou les conjoints et parents de Français). Ces mesures causeront la dépersonnalisation de démarches (audiences en vidéo, de moins en moins d’interlocuteurs) pour le droit d’asile déjà plus que laborieuses, et pour lesquelles souvent les demandeurs et demandeuses d’asile doivent demander de l’aide aux différentes ONGs spécialisées comme La Cimade, le CEDRE-Secours Catholique ou France Terre d’Asile. Par ailleurs, le fait de raccourcir les délais serait une atteinte aux droits des exilé.e.s.

Fluidifier l’accès au travail pour les métiers « sous tension »

Olivier Dussopt, ministre du travail, a déclaré vouloir faire disparaître – sous conditions – le délai de carence qui empêche les demandeurs d’asile de travailler pendant leurs six premiers mois en France. Le ministre du travail annonce aussi la création d’un titre de séjour « métier en tension », pour recruter dans les secteurs qui peinent à trouver de la main-d’œuvre. « Les organisations professionnelles nous disent qu’elles ont besoin qu’on facilite le recrutement d’étrangers. Nous leur proposons des solutions avec ce projet de loi », ajoute-t-il. Seraient concernés les métiers de l’hôtellerie, du bâtiment, de l’entretien ou des services à la personne (aides à domicile), difficiles, en horaires décalés (infirmières), souvent peu ou mal payés. Cependant, rien n’indique la pérennité de ce statut : une fois que les métiers ne seront plus déclarés « en tension », les titres de séjour de ces personnes risquent de ne pas être renouvelés. Depuis début 2023, cette mention « métiers en tension » fait depuis l’objet de passes d’armes virulentes entre les la majorité et les oppositions, trois propositions de lois (émanant de parlementaires) plus dures encore ayant été annoncées en juillet dernier.

Travail : plus de souplesse pour les autorisations administratives

Le travail clandestin fait déjà l’objet d’une amende pour les patrons employant des personnes en situation irrégulière, et la peine va venir à s’alourdir avec le nouveau projet de loi. Au-delà de cela, dans l’article référence du Monde de G. Darmanin et O. Dussopt, ce dernier précise que « nous souhaitons, tout particulièrement dans les métiers en tension, comme ceux du bâtiment, que le travailleur immigré en situation irrégulière puisse solliciter la possibilité de rester sur le territoire sans passer par l’employeur. Cela permettra d’inverser le rapport de force avec quelques employeurs qui peuvent trouver un intérêt à ce que leurs salariés soient dans une situation d’illégalité. » Dans une autre interview début novembre 2022 sur France Info, le ministre du travail précisait que « la liste des métiers en tension sera révisée début 2023. Cela représente quelques dizaines de milliers de personnes », qui auront un titre de séjour. Toutefois, à ce jour, la liste de 2021 n’a pas encore été mise à jour. « Ce n’est pas un plan de régularisation massive« , a souligné le ministre du Plein emploi. Si cela semble être une bonne décision sur le papier, puisque remettant le pouvoir à la personne demandeuse, la situation n’est pas si simple. Décidée sans aucune concertation avec les ONGs spécialistes du sujet qui bénéficient pourtant de l’expérience des premiers/premières concerné.e.s, cette mesure peut s’avérer contreproductive. En effet, les exilé.e.s éprouvent des difficultés majeures avec la multiplication des démarches, et font face à un système de plus en plus dématérialisé. De facto, plusieurs d’entre eux ne disposeraient même pas des moyens matériels d’effectuer ces démarches seul.e.s.

Une dynamique de criminalisation des étrangers

Dans l’une de ses interviews, Gérald Darmanin a conclu : « Si je devais résumer, je dirais qu’on doit désormais être méchants avec les méchants et gentils avec les gentils ». Par exemple, l’une des mesures phares du gouvernement serait d’inscrire les immigrés menacés d’expulsion au fichier des personnes recherchées, a affirmé mercredi 2 novembre au Monde Gérald Darmanin, détaillant les principales mesures de sa future loi sur l’immigration, qui visera à améliorer ces procédures et faciliter l’insertion des travailleurs étrangers. Toujours selon La Cimade, cette mesure fait partie de celles étant de « fausses annonces », car c’est déjà le cas pour la majorité des personnes placées sous OQTF. La problématique de la phrase du ministre est qu’elle peut laisser penser qu’avant cela, la France était « laxiste » avec les méchants, avant de changer de cap. En réalité, le droit des étrangers et le droit d’asile sont régis par des lois et des règles, et non par des appréciations discrétionnaires.

Finalement, le narratif que propose le gouvernement pour faire la promotion de ce projet de loi semble inévitablement dangereux. A force de raccourcis et de relais d’informations inexactes, il risque d’aggraver un climat de méfiance déjà bien installé à ce sujet au sein de la population française. Aussi, ne perdons pas de vue qu’il est, à l’inverse, primordial de faire respecter les droits des personnes exilées en leur permettant à toutes et à tous de demander l’asile et d’être traitées dans des conditions humaines et justes.