Aide publique au développement et égalité femmes-hommes

Il faudra encore plus de 100 ans avant d’atteindre la parité entre les femmes et les hommes dans le monde. Pour les pays les plus pauvres, la marche sera encore plus haute. La solidarité internationale, à travers l’aide publique au développement, doit ainsi faire de la lutte contre les inégalités entre les femmes et les hommes une priorité. Qu’en est-il aujourd’hui ? Quelle est la qualité des projets d’aide en faveur de l’égalité femmes-hommes ?

L’égalité de genre : une priorité de l’agenda international ?

Ces dernières décennies, le combat pour l’égalité entre les femmes et les hommes s’est hissé progressivement comme une priorité de l’aide internationale. Entre 2006 et 2017, l’aide au développement reportée comme favorisant l’égalité femmes-hommes auprès du comité d’aide au développement de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) est ainsi passée de 15 à 45 milliards de dollars.

Depuis 2015, l’égalité entre les sexes fait l’objet d’un objectif de développement durable (ODD) à part entière (ODD5) et est transversalisée dans l’ensemble des autres objectifs. Presque tous les pays donateur de l’aide internationale font de l’égalité entre les femmes et les hommes une priorité de leur politique de développement. Certains ayant même franchi le cap en déclarant leur politique de développement comme « féministe », à l’image du Canada et de la Suède.

Une réalité en décalage avec les discours des pays donateurs

Malgré cette priorité annoncée et les appels réguliers à la transversalisation du genre à l’ensemble des politiques de développement (« gender-mainstreaming »), les financements alloués à l’égalité femmes-hommes demeurent insuffisants. En 2018, seulement un tiers de l’aide internationale intégrait le genre, et uniquement 8% visait spécifiquement les droits et l’autonomisation des femmes.

Les projets en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes passés à la loupe par Oxfam

Oxfam a mené une étude pour scruter la qualité de l’intégration du genre dans les projets de sept agences de développement : le Global affairs Canada, USAID (Etats-Unis), l’Agence française de développement (AFD), le DFID (Royaume-Uni), Sida (Suède), l’Union Européenne et la Banque Mondiale. Les 72 projets sélectionnés, représentant plus de 6 milliards de dollars, regroupent différents secteurs (agriculture, aide humanitaire, santé, éducation etc.) et ont tous été déclarés par ces mêmes agences comme étant des projets de qualité en matière d’égalité femmes-hommes.

Une méthodologie simple

A partir des données publiques publiées par les agences nous avons examiné si les projets incluaient les prérequis de l’OCDE pour être considérés comme de qualité en matière de genre, mais également des critères nécessaires pour une approche transformative des inégalités entre les femmes et les hommes. Répondant ainsi à une question simple : ces projets sont-ils réellement en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes ?

Les marqueurs genre de l’OCDE : un outil pour mesurer l’aide internationale en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes.

L’OCDE assure le suivi de l’aide en faveur de l’égalité femmes-hommes et des droits des femmes à l’aide de trois marqueurs :

  • Marqueur 0 « Non ciblé » : signifie que le projet ou le programme a été passé à l’aune du marqueur de genre, mais qu’il n’a pas été constaté qu’il visait l’égalité femmes-hommes, correspondant aux projets « aveugle au genre ».
  • Marqueur 1 « Significatif » : signifie que l’égalité femmes-hommes est un objectif important et délibéré, mais qu’elle n’est pas la principale raison d’entreprendre le projet ou le programme, correspondant à la « transversalisation du genre ».
  • Marqueur 2 « Principal » : signifie que l’égalité femmes-hommes est l’objectif principal du projet ou du programme et qu’elle est fondamentale pour sa conception et les résultats escomptés, correspondant aux projets dits spécifiques en matière d’égalité femmes-hommes.

L’OCDE a défini une série de critères pour pouvoir marquer un projet du sceau genre. Il ne suffit pas que les femmes fassent partie des bénéficiaires, il faut qu’à tous les stades du projet (élaboration, mis en œuvre, évaluation, indicateurs de suivi) une analyse de l’impact sur les inégalités entre les femmes et les hommes soit prise en compte de façon pertinente. Néanmoins, le système de l’OCDE présente une grande faiblesse : les pays donateurs auto-déclarent leurs projets en fonction des marqueurs 0, 1 ou 2, et l’OCDE ne vérifie pas si les prérequis nécessaires sont réunis. C’est un peu comme si à l’école les élèves se mettaient à noter eux-mêmes leurs devoirs. Les limites de ce système apparaissent alors de manière assez évidente.

Une intégration insuffisante de l’égalité entre les femmes et les hommes

L’examen par Oxfam des 72 projets a révélé qu’aucun des projets ne pouvaient être considérés de qualité en termes de prise en compte du genre :

• Seulement deux projets incluaient l’ensemble des critères prérequis de l’OCDE pour le marquage genre (un projet du DFID sur la sécurité alimentaire en Birmanie et un projet sur l’autonomisation des femmes rurales en Afghanistan de la Banque Mondiale).

• En moyenne, seulement 39% des indicateurs identifiés comme nécessaires pour une intégration de qualité du genre étaient réunis dans les projets.

• Seulement 20% des projets examinés ont entrepris une analyse des potentiels impacts négatifs et involontaires sur les inégalités femmes-hommes (« do no harm »).

La moitié des projets ne présentaient ni indicateur désagrégé par sexe pour suivre l’impact sur les femmes, ni d’objectif particulier en matière d’égalité femmes-hommes.

Les projets auto-déclarés par les agences de développement comme marqués 1 et 2 ne présentaient ainsi pas les éléments nécessaires pour pouvoir être considérés comme favorables à l’égalité entre les femmes et les hommes. Ces résultats font craindre une tendance à gonfler les chiffres de l’aide en faveur du genre et une prise en compte de mauvaise qualité du genre dans les projets de développement.

L’autre enseignement de cette étude est le manque de transparence des agences de développement. Cette étude s’est basée sur les données publiques des agences de développement, toutes censées être engagées en faveur de la transparence de l’aide. Les fiches projets publiées par les bailleurs, et sur lesquelles est basée la recherche, étaient souvent peu détaillées et de faible qualité. Si les agences faisaient preuve de plus de transparence, les résultats de l’étude pourraient être différents.

Zoom sur l’Agence française de développement

L’Agence française de développement (AFD), opérateur principal de l’aide française, figure au bas du classement des sept agences examinées. L’examen des données des dix projets passés au crible révèle que:

• Les projets réunissent seulement 36% des prérequis de l’OCDE pour être marqué genre, avec une note globale de 22% en termes de qualité de l’intégration de l’égalité femmes-hommes.

• Certains projets ne mentionnent pas ou très peu le genre dans leur fiche projets, avec une faible analyse de la dimension genre du contexte.

• Seulement un projet sur dix (pourtant tous marqué 1 selon l’OCDE, dont l’égalité devait être un objectif important du projet) dispose d’un objectif explicite sur l’égalité femmes-hommes.

• Idem concernant les indicateurs de suivi du projet, pourtant cruciaux pour suivre l’impact et l’efficacité des projets ; la moitié des projets ne présentent pas d’indicateurs ventilés par sexe, et seulement deux des projets ont un indicateur dédié aux résultats en matière d’égalité de genre.

La faiblesse de ce résultat témoigne en partie du manque de transparence et de redevabilité en termes de prise en compte du genre des projets de l’AFD. Faire du genre une priorité doit s’accompagner de deux exigences : une plus grande transparence sur la façon dont les inégalités entre les femmes et les hommes ont été prises en compte à chaque étape du projet, mais surtout un investissement accru sur la mesure de l’impact et de l’efficacité des projets grâce à des indicateurs pertinents.

Et maintenant ?

Faire de la lutte contre les inégalités entre les femmes et les hommes une priorité des politiques de développement ne doit pas se limiter à des engagements de façade à la tribune d’enceintes internationales ou sur les plaquettes de communication des agences de développement. Les pays donateurs, en particulier la France qui se dit avoir une «diplomatie féministe », doivent profondément ancrer l’égalité femmes-hommes et la défense des droits des femmes au sein de leur pratiques et de leurs projets d’aide au développement.

Améliorer la qualité et la transparence de la lutte contre les inégalités femmes-hommes

Les pays donateurs de l’aide publique au développement doivent :

  •  Adopter une approche féministe de l’aide publique au développement, en intégrant l’égalité entre les femmes et les hommes à l’ensemble des politiques de développement. Oxfam a publié des recommandations précises pour rendre l’aide réellement féministe.
  •  Respecter les exigences nécessaires au marquage 1 et 2 de l’OCDE et développer des cadres d’analyse ambitieux des dynamiques de genre.
  •  Améliorer la transparence et la qualité des documents relatifs aux projets, en particulier les analyse du genre et les études d’impact, garantissant une plus grande redevabilité publique.
  • Utiliser de façon systématique des indicateurs d’égalité femmes-hommes et de données ventilées par sexes.
  • Renforcer et transversaliser l’expertise genre au sein des agences de développement et garantir les ressources suffisantes pour mettre en œuvre ce travail.
  • Systématiquement veiller à identifier et atténuer les conséquences négatives indirectes et involontaires sur les inégalités entre les femmes et les hommes de l’ensemble des projets d’aide publique au développement. Les projets d’aide au développement ne doivent jamais nuire à l’égalité entre les sexes.

Découvrir le rapport complet « Des projets en faveur de l’égalité femmes-hommes ? »

Pour aller plus loin

Découvrez notre rapport « Un G7 pour une aide féministe ».

Listes des projets examinés dans le cadre de l’étude

Programme d’appui à la filière riz en Basse-Guinée

Soutien à l’alimentation et au maraîchage péri-urbain dans les villes de Berbérati et de Bambari

Développement de la formation et de l’insertion professionnelle au Bénin

Contribuer à l’amélioration des conditions de vie et perspectives économiques des jeunes dans la région de Diffa au Niger, touchée par Boko Haram

Troisième programme national de réforme du secteur de l’eau urbaine au Nigéria

Projet d’appui à la santé maternelle et infantile en Mauritanie (2015) Muskoka

Projet de Développement Urbain Intégré 2 de Balbala

Enfance sans Barreaux (2016-2019)

Phase 2 du programme d’appui à la décentralisation fiscale aux Philippines

Développement d’activités rurales et financement de filières agricoles