carnet_de_bord.jpg

Par Cécile Duflot, future Directrice générale d’Oxfam France et Claire Le Privé, responsable campagne humanitaire.

La région du Bassin du Lac Tchad – autour duquel se trouvent le Nigeria, le Niger, le Tchad et le Cameroun, subit depuis des années une crise multidimensionnelle, à la fois climatique et humanitaire qui affecte des millions de personnes.

Historiquement, les populations de ces régions étaient déjà particulièrement vulnérables car elles ne bénéficient pas des infrastructures nécessaires et n’ont quasiment aucun accès aux services sociaux de base tels que l’éducation ou la santé. Les seuils de malnutrition aigüe, modérée et sévère sont bien supérieurs aux seuils d’urgence. Depuis plusieurs années, la région connaît également une catastrophe climatique sans précédent, avec l’assèchement du Lac Tchad lié au changement climatique.

Depuis 2009, un conflit né au Nigeria a affecté les conditions de vie de millions de personnes dans le Bassin du Lac Tchad. Plus de 2,3 millions de personnes ont été contraintes de fuir en raison des exactions du groupe dit Boko Haram et des opérations de l’armée. Le conflit a pris de l’ampleur et a touché les pays voisins à l’instar du Tchad mais aussi du Niger et du Cameroun.

Oxfam est présent au Tchad depuis 1965 et intervient depuis juin 2016 dans la région du lac auprès des populations déplacées et de la population hôte. En 2017, Oxfam a apporté sur 43 sites de déplacé.e.s une assistance à plus de 58 000 personnes sur 157 734 affectées par la crise.

Nos programmes sont variés et vont de l’accès à l’eau, à l’hygiène et à l’assainissement à l’assistance alimentaire et la protection. Nous menons également des actions de plaidoyer et de campagne au niveau local.
Nous sommes parties à la rencontre des équipes d’Oxfam qui agissent au quotidien dans cette région et des personnes que nous soutenons, déplacées à la suite de cette crise, l’une des plus graves au monde, parfois oubliée, souvent méconnue.

 

ITINERAIRE

Dimanche 3 juin

Nous quittons Paris en fin de matinée et arrivons dans la soirée à N’Djamena, capitale du Tchad en Afrique centrale, saisies par la chaleur persistante pour l’heure qui avoisine les 50 °C en journée.
Nous sommes accueillies chaleureusement par Elkanah Mooh, le directeur pays d’Oxfam au Tchad qui nous fait un briefing sur le contexte, la sécurité et le programme de notre mission.
Nous serons accompagnées par le chef de base, Yaou Chekaraou et ses équipes déployées au niveau de la région du Lac, point d’orgue de notre voyage mais également par Pierre Koivogui, le responsable des programmes Oxfam au niveau du bureau pays.

Lundi 4 juin

Nous nous réveillons à l’aube pour embarquer sur le vol humanitaire des Nations-Unies, 9 places seulement, qui nous emmène à Bol, le chef-lieu de la région du Lac. Nous survolons le désert où la ligne d’horizon se perd et se confond dans un camaïeu de beige et de cendres. De rares étendues d’eau viennent agrémenter le paysage. 45 minutes plus tard, le lac surgit du sable, océan de verdure, parsemé de centaines d’îlots. Nous atterrissons sur une piste de sable perdue au milieu du Sahel.

La superficie du lac Tchad a été réduite de 90 % en moins de 50 ans. Cette catastrophe écologique majeure a des conséquences directes sur les milliers de Tchadien.ne.s qui vivent dans cette région difficile et qui dépendent des ressources du lac pour assurer leurs moyens de subsistance.

Nous rencontrons en premier lieu, les autorités locales, pour nous présenter officiellement et exposer l’objet de notre mission. Le sous-secrétaire général de Bol et son conseiller nous souhaitent la bienvenue et nous donnent un aperçu de la « complexité de la filiale administrative » au Tchad, en témoigne le nombre de documents et de tampons exigés pour pouvoir séjourner ici. Nous quittons Bol pour rejoindre Baga-Sola où se situe la base principale d’Oxfam dans la région. Ici, il n’y a pas de route. La piste de sable rend le transport mouvementé, il faut s’accrocher et nous nous demandons bien comment le chauffeur se guide et se repère dans cet environnement désertique où le paysage défile et se ressemble : du sable à perte de vue, quelques villages, des acacias, des dromadaires par centaines. Des hommes et des femmes marchant, affrontant la nature, apparaissent parfois tels des mirages.

Sous un soleil de plomb, nous découvrons la base de Baga-Sola où travaillent et vivent dans des conditions rudimentaires 17 personnels humanitaires d’Oxfam. L’après-midi est consacrée au briefing sécurité et à la présentation des activités menées autour du lac par Yaou, chef de base, et son équipe. Nous sommes impressionnées par la diversité et la dimension des activités menées et par l’expertise de l’équipe.

Mardi 5 juin

Nous partons en Jeep en remontant le long du lac jusqu’à la frontière nigérienne pour atteindre Daboua, la base secondaire d’Oxfam. C’est dans cette zone isolée, où très peu d’organisations humanitaires interviennent, qu’Oxfam mène la plupart de ses activités. Comme le veut l’usage, nous nous arrêtons en route à Liwa pour nous présenter au Préfet. Ce dernier en profite pour remercier Oxfam pour son implication en faveur des populations de la région et souhaite que nous étendions notre assistance à la zone de Kaiga-Kindjiria, où la sécurité s’est améliorée ces derniers mois, permettant désormais l’accès de l’aide humanitaire.

En chemin, nous faisons une première escale à Loudjia, un village de déplacé-e-s où Oxfam intervient depuis 2016. Nous échangeons longuement avec les communautés sur les projets menés, la mise en place d’un comité de protection paritaire, l’amélioration de l’accès à l’eau, l’appui alimentaire. Nous rencontrons aussi le Club Maman. Ces femmes, réunies volontairement, luttent contre la malnutrition infantile en assurant le suivi et l’évaluation des enfants et en constituant une bouillie spécialement enrichie. L’autonomisation des populations est au cœur des projets d’Oxfam et les équipes sur le terrain ont établi des liens profonds de confiance et de respect mutuels avec les personnes déplacées. Nous visitons le projet d’appui au maraîchage qui fonctionne avec un système d’irrigation solaire et constatons que malgré l’apparente sécheresse et aridité, les cultures poussent très vite et vont pouvoir améliorer le quotidien des communautés.

Nous reprenons la route pour rencontrer, à quelques kilomètres de là, la communauté du village de Yarom. Les projets menés ici sont sensiblement les mêmes qu’à Loudjia et remportent également l’adhésion de la population qui souhaite notamment étendre le projet maraîcher. Les femmes du Club Maman jouent désormais un rôle clé dans la communauté et sont à l’origine de plus en plus d’initiatives. La prise en compte des problématiques spécifiques liées au genre et l’égalité hommes-femmes sont au cœur de toutes les activités menées dans la région.
Au fur et à mesure de nos échanges avec chaque village, une question revient d’ailleurs très fréquemment : le besoin de moulin pour moudre les arachides, le maïs et les haricots, nécessaires à la préparation de la bouillie, oblige les femmes à parcourir des kilomètres à pied, 22km en moyenne aller-retour, une marche difficile où elles sont particulièrement exposées aux violences basée sur le genre.Beaucoup d’enfants sont également traumatisés par les violences vécues, sans appui psychologique à leur portée et sans pouvoir aller à l’école.

Nous rencontrons également Ibrahim, un instituteur à la retraite, qui nous explique les conséquences de l’assèchement du lac pour ces populations : « Il y avait le lac ici il y a quelques dizaines d’années seulement et les hippopotames et crocodiles s’y baignaient, maintenant le lac est à des centaines de kilomètres, nous avons perdu notre grenier ».Plus nous roulons vers le Nord plus le sable se fait gris. Après de longues heures de route, nous arrivons à Daboua, confins du bout du monde, à quelques kilomètres du Niger. Nous saluons le sous-Préfet, très impliqué et engagé envers la population, et arrivons à la base où nous passerons les deux prochaines nuits.

Mercredi 6 juin

Nous quittons la base secondaire de Daboua pour visiter deux sites de déplacé-e-s, situés à proximité, ainsi que les villages de Tataverom et de Kilerom qui accueillent des déplacé.e.s installé.e.s plus récemment, il y a seulement 7 mois. Oxfam y commence seulement son intervention et la différence avec les sites de la veille est impressionnante.
Ces populations vivent dans le dénuement le plus total, quelques huttes de paille, même pas de natte au sol. Les porte-parole s’expriment avec la plus grande dignité et nous expliquent leurs difficultés : « Nous n’avons pas de charrette pour transporter les malades, nous n’avons même pas de linceuls pour enterrer nos morts ».
Oxfam a déjà mis en place 3 forages dans le village, permettant un accès à l’eau, mais il reste beaucoup à faire et nous sommes la seule ONG à intervenir dans cette région isolée et considérée dangereuse.
Comme lors des échanges avec les autres communautés rencontrées, Yaou Chekaraou et Pierre Koivogui leur demandent s’ils comptent un jour retourner vivre sur les îles. La réponse est unanime : « Non, nous voulons rester, ici on peut dormir en sécurité ».
Au-delà de la réponse à l’urgence de la situation, il faut dès à présent envisager et amorcer la reconstruction et le développement pour que ces populations puissent s’installer, vivre durablement sur ces terres qu’elles considèrent appartenir à leur ancêtres, là où « les vieux » vivaient et péchaient, jusqu’à ce que le lac ne se retire.
Nous terminons cette journée par un débriefing avec l’équipe de Daboua, leur exprimant notre immense respect pour le travail qu’ils accomplissent au quotidien au plus près des populations et leur témoignant notre reconnaissance de nous avoir fait découvrir cette réalité avec autant d’humanité.

Jeudi 7 juin

Il est temps de reprendre la route pour faire le chemin inverse, des kilomètres de pistes pour rejoindre Baga-Sola pour la nuit et poursuivre notre longue route le lendemain jusqu’à Bol où nous attendra le vol des Nations-Unies. Nous manquons de croiser les éléphants, passés juste avant et regardons, à travers le hublot, s’éloigner le lac et ce désert que nous ne sommes pas prêtes d’oublier.

Vendredi 8 juin

De retour à N’Djamena, nous rencontrons avec Elkana Mooh, le directeur pays d’Oxfam au Tchad, les équipes d’OCHA, le bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations-Unies, qui assure la coordination de tous les acteurs humanitaires au niveau pays mais également au niveau de la région du Lac. L’occasion de mieux appréhender le contexte et le caractère multidimensionnel de cette crise qui croise des inégalités préexistantes, une catastrophe climatique et un conflit armé. Le plan de réponse humanitaire global reste largement sous-financé (33 % en 2017, 12 % fin mars 2018) et l’implication des bailleurs internationaux est plus que jamais nécessaire.Nous rencontrons M. Philippe Lacoste, Ambassadeur de la France au Tchad, Mme Radhia Oudjani, la Conseillère de Coopération et d’Action Culturelle ainsi que M. François Tirot, le directeur de l’Agence Française de Développement (AFD). Nous leur faisons un rapport de notre voyage et évoquons avec eux les opportunités de partenariat et de financement des activités d’Oxfam dans la région du Lac mais aussi à l’échelle nationale.

Cette dernière journée au Tchad est aussi l’occasion d’échanger avec l’équipe du bureau pays d’Oxfam et d’en savoir plus sur les autres programmes menés dans les 4 autres zones, à Bahr-el-Ghazal, à Guera, à N´Djamena même et au Sud du pays, confronté à un afflux massif de réfugié.e.s venus du Soudan et de la Centrafrique. Les activités de plaidoyer et de campagne menées au niveau local et régional font également d’Oxfam un acteur majeur de changement et un appui incontestable pour la société civile tchadienne.

Samedi 9 juin

Nous quittons le Tchad à l’aube pour repartir en France. Nous laissons derrière nous le fleuve Chari, le désert, le lac, des centaines de visages et autant de mots qui marquent.

Nous repartons avec à cœur l’objectif de remplir ce rôle que nous a attribué l’équipe pays : être les témoins, les relais, les porte-parole en France de cette crise trop souvent oubliée pour que les populations rencontrées, qui font preuve au quotidien d’un courage et d’une dignité incroyables, ne soient jamais abandonnées à leur sort.

Découvrez l’album photo de la mission

Chiffres clés

Au niveau régional
  • 17 millions de personnes affectées par la crise humanitaire du bassin du Lac Tchad (Nigeria, Niger, Tchad et Cameroun)
  • 10 millions de personnes ont besoin d’une aide humanitaire urgente dans la région
  • 2,3 millions de personnes ont dû fuir leur foyer
Au Tchad
Depuis 2016, grâce à Oxfam au Lac :
  • 162 points d´eau potable construits et/ou réhabilités
  • 1 239 latrines construites et 24 780 personnes sensibilisées aux bonnes pratiques d´hygiène
  • 11 816 ménages appuyés (transferts d’argents, appui aux activités génératrices de revenus, petits ruminants…)
  • 8 sites maraîchers aménagés avec un système d’irrigation solaire
  • 15 Comités de Protection formés aux risques de violence, y compris basée sur le genre, à leur mitigation
  • 445 leaders formés aux risques de protection et à l´équité de justice et de genre, dont les autorités locales

Pour en savoir plus : les activités d’Oxfam au Tchad