La voix des femmes burkinabè en zone de conflit

« Le jour où nous danserons »

La musique a cessé au « pays des hommes intègres », emportant avec elle l’allégresse des jours meilleurs. La peur s’installe et pétrifie tout le monde sur deux fronts : d’abord dans les régions Nord, Sahel, Centre Nord, Est et Boucle du Mouhoun, où les groupes armés ont dévasté des villages, faisant fuir plus de 840 000 personnes au cours de la dernière année principalement.  Le second – et plus récent – danger est la montée du coronavirus, qui a atteint 782 personnes et fait 51 morts, suscitant la peur et l’incertitude parmi la population, selon l’Organisation Mondiale de la Santé.

Et pour la majorité des femmes déplacées, les partenaires de danse ont disparu. Beaucoup des hommes en âge de travailler ont été tués par des groupes armés, ont disparu ou sont partis en quête d’un avenir meilleur dans une autre région du Burkina Faso, ou même à l’étranger. En mars 2020, les femmes et les enfants représentaient 84% des populations déplacées. Les femmes se retrouvent dans des conditions extrêmement précaires à lutter pour leur survie et celle de leur entourage. Plusieurs portent les cicatrices d’un acte de violence, d’un viol.

Nous sommes allés à la rencontre de ces femmes à Kaya, où plusieurs dizaines de milliers de personnes déplacées sont rassemblées et attendent que la musique reprenne dans leur vie.  À défaut de chanter, il leur reste la voix. Pour raconter.

Nous accompagnons leur récit avec les illustrations de l’artiste Sophie Le Hire, qui habite au Sénégal.

Mariam

Je m’appelle Mariam, j’ai 25 ans, je viens de la région Centre-Nord au Burkina, près de Dablo. Mon rêve c’était d’avoir le bac. Je suis devenue mère au lycée mais je me suis accrochée et je suis allée jusqu’en seconde, mais en avril ils ont fermé l’école à cause de l’insécurité et il n’y a plus jamais eu cours.

Je voulais être soit institutrice pour éduquer les enfants et leur transmettre des connaissances, soit être médecin pour sauver des vies acquérir d’autres connaissances. Tout ceci est tombé à l’eau.

Quand les attaques de groupes armés sont devenues de plus en plus fréquentes, j’ai préféré fuir. Je ne voulais pas être une victime de plus.

Je suis arrivée ici, près de Kaya et le quotidien n’est pas facile. Nous n’avons pas assez à manger, je dois rationner le repas du midi si je veux qu’il reste quelque chose à manger le soir. Il n’y a pas de bois de chauffe et j’ai peur en tant que femme quand je dois aller en chercher dans la brousse, je ne me sens pas en sécurité. Pour survivre, j’essaie de faire la lessive en ville chez des familles, ou de piler le mil ou le sorgho pour 500 CFA (soit 0,83 USD). A l’heure où je vous parle, nous avons besoin de tout, d’eau, de nourriture, d’abris.

Avec la rumeur de la maladie, notre vie a changé : on a fermé les marchés, et partout où l’on peut trouver du travail. Notre quotidien a changé à cause des gestes barrières. Nous ne pouvons plus circuler au hasard. Pour protéger ma famille, on se lave régulièrement les mains avant toute chose : cuisiner, manger, aller aux toilettes.

La maladie a changé notre vie de manière plus difficile surtout en matière d’accès à l’eau. Pour ne pas croiser beaucoup de monde, il faut aller à l’aube chercher l’eau à la fontaine. Quand il y a beaucoup de monde, on laisse les bidons à la fontaine et on retourne à la maison.

Nous avons urgemment besoin d’eau et de plats, de bouilloires et de savons. Si nous recevons cette aide, cela va améliorer notre quotidien.

Ce n’est pas simple car nous sommes entre deux feux : derrière c’est les fusillades, devant c’est la maladie. On va faire comment ? Si cette maladie finit, ce sera la joie.

Victorine

Je m’appelle Victorine, je viens du Centre-Nord du Burkina, du village de Dablo. Je fabriquais la bière de mil traditionnelle et brassée artisanalement, et cela me permettait de faire vivre toute ma famille. Je suis cheffe de ménage depuis le décès de mon mari et à la tête d’une grande famille.

La première fois que des hommes armés ont fait irruption dans mon village, j’ai perdu 2 de mes frères et mon neveu. Les attaques se répétant, j’ai dû fuir comme les autres, je suis partie sans rien pouvoir emporter et aujourd’hui je n’ai plus rien.

Nous sommes hébergés comme tant d’autres chez une famille hôte. On ne connaissait pas notre hôte, c’est notre bienfaiteur, sans lui je ne sais pas ce que nous aurions fait. La nourriture manque terriblement, je ne peux pas manger tous les jours, sans aide, je ne pourrai pas y arriver.

On nous a parlé de la maladie de coronavirus. Cela a doublé notre peur. Vous savez que nous avons fui à cause des fusillades. Maintenant on a plus de problèmes. Quand nous sommes arrivés sur ce site, ça commençait à aller car nous avions commencé à sortir pour trouver à manger. Maintenant la COVID-19 s’ajoute ? C’est une double peur. Ce n’est pas la mort qui nous attend maintenant ?

Tout a changé. On ne peut plus se regrouper pour la distribution des vivres. C’est devenu par appel téléphonique et les appels sont très lents. Je me suis reconvertie en ramasseuse de gravier. Je revends les tas pour pouvoir nourrir ma famille car les enfants comptent sur moi.

Nous avons urgemment besoin d’eau car c’est le plus difficile. Lorsque je remplis même dix bidons d’eau ça ne peut pas faire la journée ; il fait chaud, on doit se laver, et boire et pratiquer l’hygiène. L’eau est notre urgence numéro 1.

Le jour où je vais entendre que cette maladie est finie, nous danserons. Les fusillades, nous avons pu fuir. Mais une maladie que le vent peut emmener, c’est très dur.

Si la maladie finit et si le terrorisme finit, c’est la paix. Depuis notre enfance, nos parents nous ont dit que s’il y a une entente entre l’homme et sa femme, ils font des enfants bénis. En tant que femme, je conseille mes belles-filles, mes enfants, mes petits-enfants, pour qu’ils cultivent la paix et la cohésion sociale.

J’aurais aimé être une agente de sensibilisation. J’irais faire le tour pour sensibiliser les jeunes, les femmes, sur l’importance de la paix.

Dans un futur proche ou lointain, je me vois entourée de mes enfants qui ont réussis à l’école, qui m’amènent en voyage visiter d’autres pays, et moi respirant l’air de la paix. Mes enfants sont mon espoir car ils sont la source de ma vie. Et là je serai heureuse. On dit qu’un bon enfant est l’enfant de tout le monde, donc tout commence par l’éducation.

Je demande aux autorités de trouver un remède à la maladie, car nous portons déjà le poids de notre vieille maladie, l’insécurité.

 

La réponse d’Oxfam

Au Burkina Faso, Oxfam et ses partenaires accordent la priorité à l’assistance aux personnes déplacées à l’intérieur du pays en raison d’un conflit ainsi qu’aux communautés qui les hébergent. Le programme vise à améliorer les connaissances de la communauté sur le COVID-19 et les mesures de prévention, et à favoriser l’engagement communautaire face à cette pandémie. Les activités en cours incluent désormais la collaboration avec des partenaires locaux sur les mesures de prévention du COVID-19 et l’amélioration de l’accès à l’eau et à l’assainissement, la promotion d’une bonne hygiène et le soutien aux services de santé locaux en étroite collaboration avec les autorités sanitaires locales. Oxfam a l’intention de construire ou de réhabiliter 107 points d’eau et de fournir à 287 000 personnes des mesures d’hygiène.

Il n’y a actuellement aucun cas de COVID-19 sur les sites qui accueillent des personnes déplacées internes à Kaya, ni parmi la population des personnes déplacées qui ne vivent pas sur les sites. Cependant, Oxfam et ses partenaires ont intensifié leurs interventions sur les sites, et au sein des populations déplacées et hôtes, depuis mars 2020 pour contribuer à la prévention du COVID-19 à travers des activités de sensibilisation, l’installation de stands de lavage des mains, la distribution de kits d’hygiène et de savon à 2 000 ménages et à 4 centres de santé. Avec ses partenaires, Oxfam mène également des actions de partage d’informations et de mobilisation pour une meilleure réponse à la crise.

Donnez maintenant et aidez-nous à sauver des vies.

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