“Je pense que la crise a mis en évidence qu’on avait un problème de prise en charge des enfants en général.”

Marie Duru-Bellat est sociologue, chercheuse et enseignante, professeure émérite à Sciences Po-Paris. Elle a notamment travaillé sur les questions de justice et les inégalités sociales dans le système scolaire, et ne veut pas voir reculer les progrès réalisés en matière d’égalité femmes-hommes dans le monde !

Pouvez-vous vous présenter ? Votre parcours et surtout votre relation aux inégalités de genre qui a fondé en partie votre travail universitaire.

J’étais très impressionnée, mais défavorablement, par rapport à ma mère qui était mère au foyer et qui, tous les matins, se posait la question « qu’est ce que je vais leur faire à manger ? ». Cette question m’a complètement traumatisée et les gens qui me connaissent savent que je ne fais rien à manger et que je me suis détournée de cela. J’ai eu un profond déclic personnel féministe lorsque j’ai eu mon premier enfant. Dès lors, j’ai découvert ce qui pesait sur les femmes et dont on ne parlait jamais. J’avais l’impression d’avoir un fil à la patte et de risquer de ne plus avoir de vie autonome. C’est ce qui m’a plongée dans le féminisme, bien qu’à l’époque, comme jeune mère, j’étais un peu en décalage avec les revendications, puisque dans les années 1970 le thème dominant était la lutte pour les droits à la contraception et l’avortement. Finalement, la maternité on n’en parlait pas.

Nous avons rapidement constaté l’impact catastrophique de la crise sanitaire sur la condition des femmes : quelle est votre lecture de la situation que nous vivons actuellement ? Quelle est votre vision quant à l’avenir de la lutte pour les droits des femmes dans ce contexte ?

Dans nos pays, je pense que la crise a mis en évidence que la société avait un problème de prise en charge des enfants. Qui va prendre en charge les enfants ? Quand l’école les accueille, pas de problème, mais autrement, à qui cela revient-il ? Est-ce, pour les femmes, compatible avec un travail ou toute autre activité personnelle? Comment fait-on pour s’investir dans quoi que ce soit quand on a des enfants qui vous sollicitent à chaque instant ? Tous ces problèmes que connaissaient déjà beaucoup de femmes, les hommes les ont découverts aussi. De ce point de vue-là, même si à court-terme les inégalités se sont creusées, peut-être que ça va permettre une responsabilisation plus forte et plus rapide des hommes sur la question de la prise en charge des enfants. Il y a une préoccupation qui s’est disséminée et qui peut être porteuse de certaines évolutions positives. Ma vision face à l’avenir est positive pour cet aspect-là. Être féministe, ça veut dire qu’on pense que les femmes subissent toutes un certain nombre de contraintes. Il faut qu’on soit solidaires et qu’on prenne en compte toutes les facettes des inégalités.

Parfois, on peut ressentir comme un sentiment d’impuissance face aux inégalités de genre : comment préconisez-vous de poursuivre le combat féministe ?

Il y a plusieurs pistes. Déjà l’éducation. On devrait parler beaucoup plus de ces questions dans le milieu scolaire. Ce qui me frappe chez les jeunes, et notamment les jeunes filles, c’est tout ce qui est rapport au corps et sexualité. Je trouve qu’on est resté dans une vision extrêmement patriarcale et inégalitaire, une perspective très asymétrique avec une représentation de la virilité où l’homme a des besoins à satisfaire et si la femme ne s’y plie pas, elle ne sera pas aimée, restera seule etc. Dans ma génération on a parlé de libération de la sexualité, et c’est vrai qu’il y a eu une libération comme l’accès à la contraception, ce qui est capital. Mais la libération dans un contexte où les hommes et les femmes sont inégaux, où toute une idéologie de la masculinité domine, ça donne des catastrophes (chez les jeunes filles, de la soumission aux stéréotypes de genre, une obsession de son apparence, une mise à l’écart de ses propres désirs…). Pour moi, on doit se mobiliser pour une forme d’égalité plus intime, moins facile à mettre en avant.

Selon vous, en quoi un plan de relance féministe est indispensable ?

L’idée de plan de relance féministe vaut avant tout pour l’aspect international où il y a un véritable décrochage, en matière d’éducation et de niveau de vie notamment. Il faut faire attention aux politiques qui peuvent parfois négliger complètement la dimension internationale, concrètement, la situation des pays les plus pauvres. Interpeller les politiques, c’est bien, mais il faut être bien être conscients et conscientes des rapports de force qui se jouent à l’échelle internationale. Et puis, attention à la notion globale de relance, vu les contraintes écologiques : ce qu’on propose doit être ciblé !

Qu’attendez-vous d’un sommet tel que le Forum Génération Égalité, dont l’objectif principal est de lancer un ensemble d’actions concrètes afin de réaliser des objectifs en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes ?

Ces Forums ne sont pas inutiles, on l’a vu avec Pékin. Dès lors qu’un grand nombre de pays mettent tous à l’agenda une question, il peut y avoir des progrès. Et cela permet de mettre en lumière l’existence de nombreuses discriminations entre les femmes et les hommes, afin de s’y attaquer.

Pour un plan de relance féministe

Pour que les femmes et les générations futures ne voient pas leur situation se dégrader mais bien progresser, nous demandons à la France, à l’occasion du Forum Génération Égalité et dans les mois qui suivent, d’adopter un plan de relance féministe.

Je signe !