« Tu es une fille, tu ne peux pas le faire »

Hindou Oumarou Ibrahim est une militante tchadienne, mobilisée pour la protection de l’environnement et la promotion des droits humains ainsi que des droits des peuples autochtones. Pour elles, ces causes sont intimement liées.

Pourriez-vous nous raconter votre parcours et votre histoire en quelques mots? Quelle a été la genèse de votre engagement?

Je suis une femme peule autochtone, issue d’une communauté nomade du Tchad qui sont des éleveurs. J’ai grandi entre ma communauté et en ville où j’ai eu la chance d’aller à l’école. Ma mère était en avance sur sa génération, elle savait que l’éducation était importante pas seulement pour ses garçons mais aussi pour ses filles. En m’instruisant, j’ai compris que je ne pouvais pas me battre pour les droits des femmes sans me battre pour les droits de la communauté. Et je ne peux pas non plus me battre pour les droits de la communauté, sans me battre pour les droits de l’environnement dont on dépend tous les jours. Alors c’est ça qui a déterminé les objectifs de l’organisation que j’ai créée quand j’étais au collège.

Comment les inégalités de genre se manifestent-t-elles dans votre domaine et dans votre quotidien ?

Alors qu’enfant je créais juste une association pour les droits humains et pour la justice, je voyais déjà les limites. Je voyais déjà le “t’es une fille, tu ne peux pas le faire”. Le fait de combiner le monde moderne occidental et le monde traditionnel de chez moi m’ont permis de me faire une place au sein des communautés patriarcales, mais ce n’est pas le cas de tout le monde. Au niveau national c’était un peu pareil. Quand on parlait de mon association, les gens disaient : c’est juste une femme, laissez-là, elle ne va rien faire”. Et bien d’accord, laissez-moi, moi j’avance. Au niveau international c’est très difficile. Étant une jeune femme africaine venant d’une communauté autochtone je coche tous les cases pour ne pas être écoutée. Ou à l’inverse, si on m’écoute c’est juste pour cocher ces cases. Dans les négociations internationales, on voit des vieux hommes blancs en costume, et je suis la seule jeune femme noire de communauté autochtone. Être une femme leader, c’est se battre tous les jours, donner des preuves tous les jours et c’est fatiguant.

Comment arrivez-vous à les surmonter ?

Je n’ai jamais fait de pause dans ma lutte. Je dois gérer beaucoup d’émotions. Les gens me disent, si tu pleures c’est que tu es faible. Mais non, ce sont eux qui sont faibles. Si tu n’as pas de cœur, tu ne peux pas avancer. J’essaye de mettre mes émotions pour les toucher d’une manière ou d’une autre.
Moi, mon travail, ma vie personnelle, tout est lié. Je ne peux pas lutter contre le mariage précoce et me marier à ce même âge, je ne peux pas vous dire d’envoyer vos filles à l’école et ne pas y aller moi-même. Je mets la pression pour leur montrer l’exemple et leur montrer que c’est possible de le faire. C’est un engagement constant du quotidien, on ne s’arrête jamais. Il faut toujours montrer des preuves et redoubler d’efforts pour faire zéro faute. Les femmes aussi sont des êtres humains et peuvent faire des erreurs, il n’y a pas à juger la personne sur son sexe ou son genre.

Quels messages souhaitez-vous transmettre aux femmes qui, comme vous, veulent faire bouger les lignes?

Je leur dis que c’est possible. Tu peux le faire. Il ne faut pas se limiter parce que je suis jeune ou plus âgée, ou parce que je viens d’une famille comme ceci ou d’une communauté comme cela. Il ne faut jamais se mettre de barrière. Toutes ses barrières sont fictives, elles ne sont jamais réelles. Il faut juste définir son objectif et foncer. Ne vous laissez jamais impressionner par quelqu’un. Votre objectif c’est de faire passer vos messages au plus grand nombre, faites-les passer, faites-les avancer. Le moment où je me suis dit ça, ça m’a encouragée.

Pensez-vous que la justice de genre est indissociable de la justice climatique?

La cause environnementale est la cause de notre vie quotidienne, de notre présent et de notre futur. On ne peut pas la dissocier de la santé, de l’éducation, de la vie sociale…On est tou·te·s dépendant·e·s de manger, boire, respirer de l’air pur. Dans les communautés, les droits à la terre ne sont pas donnés aux femmes, ils sont reconnus seulement pour les hommes. Or, avec l’impact du réchauffement climatique et les dégâts sur la biodiversité, les hommes ont quitté les communautés pour immigrer dans des villes. Les femmes qui sont laissées là n’ont pas accès à une terre équitable fertile pour qu’elles puissent cultiver et nourrir leurs enfants, donc elles sont plus vulnérables. S’il n’y a pas assez de ressources, c’est elles qui marchent des kilomètres et des kilomètres pour trouver de l’eau et du bois de chauffe. Dans les pays dirigés par des femmes, ils ont les meilleures politiques environnementales. Elles écoutent les femmes et protègent toute la nation derrière.

Selon vous, en quoi un plan de relance féministe, qui demande aux pays d’augmenter les financements pour l’égalité femmes-hommes, notamment dans la solidarité internationale, est indispensable ?

(NB: Oxfam demande une aide internationale féministe, qui augmente les financements des mouvements féministes au Sud).

C’est indispensable. Il faut un plan de relance féministe en ce moment parce qu’on a vu que la crise a creusé les inégalités entre les hommes et les femmes. La relance de ce programme doit se focaliser sur comment on va redessiner les politiques publiques privées sociales qui vont respecter et intégrer les femmes. Et par ça je n’entends pas de faire du baby-sitting, il ne faut pas donner à des personnes pour qu’elles redonnent derrière aux femmes, non. J’entends un investissement direct. Les femmes sont plus résilientes, porteuses de solution dans tous les sens et sur tous les plans : la santé, l’environnement et l’économie.