Engagement français au Sahel : dépasser la seule approche militaire

Le nombre de victimes, civiles et militaires, continue de croître chaque jour du fait de la violence au Sahel. Face à un engagement qui s’enlise depuis l’intervention française de 2013, la seule réponse militaire aux problèmes que vit le Sahel est vouée à l’échec. La crise sécuritaire au Mali, au Niger, au Burkina Faso ou encore au Tchad prend racine dans un catalogue d’inégalités profondes et un fort sentiment d’injustice au sein des populations. Pour stabiliser la région et protéger durablement les populations sahéliennes, la France doit œuvrer bien davantage sur le terrain de la justice sociale.

Ces derniers mois le Sahel s’est transformé en un terrain funeste où les morts se comptent par dizaines et centaines. Aux 13 soldats français morts dramatiquement fin novembre au Mali s’ajoutent un peu plus tôt ce mois-ci celle de 24 soldats maliens tombés dans l’Est du pays. Surtout, les populations civiles sont particulièrement impactées par cette violence. Au Burkina Faso par exemple, 1,5 million de personnes ont besoin d’assistance humanitaire et plus de 486 000 personnes ont été forcées de quitter leurs foyers, soit six fois plus depuis le début de l’année.

La crise sécuritaire au Sahel est complexe. Elle est l’œuvre de groupes armés, d’extrémistes fondamentalistes ou encore de trafiquants de toute sorte qui pullulent sur un territoire immense et qui ont profité de l’effondrement libyen de 2011 et des nombreuses armes qui se sont dès lors déversées vers le Sahel. A cela s’ajoute une multiplication d’affrontements communautaires, souvent entre agriculteurs et éleveurs, dans un contexte de rareté des ressources dû notamment à l’effet des changements climatiques.

S’attaquer aux racines du mal pour mettre fin durablement aux violences

Des inégalités qui minent le vivre-ensemble

Qu’est-ce qui explique ces violences ? Les armées déployées à travers le Sahel sont pour certaines communautés la rare représentation de l’Etat dans les territoires les plus reculés. L’insécurité est en partie le résultat de l’échec des Etats sahéliens à assumer leur rôle par rapport à une grande partie de la population. Les sociétés sahéliennes souffrent de profondes inégalités économiques et sociales qui causent un profondément sentiment d’injustice pour nombre de ses habitants, comme l’a détaillé Oxfam cet été dans un rapport analysant l’enjeu des inégalités au Sahel.

Au Mali à peine 3 à 4% des enfants de pasteurs nomades sont scolarisés. Au Sénégal, le taux de mortalité des enfants de moins de 5 ans est 2,5 fois plus important chez les 20% les plus pauvres que chez les 20% les plus riches. Au Burkina Faso la vie scolaire d’un enfant urbain est en moyenne de 11 ans contre moins de 4 ans pour un enfant d’une zone rurale. Si vous étiez parent d’un enfant malien, sénégalais, burkinabè destiné à cet avenir ne seriez-vous pas vous-même révolté ?

Des politiques publiques qui brisent le contrat social

Bien que d’importants progrès de développement aient été atteints ces dernières décennies, les Etats de la région privilégient trop souvent des politiques qui aggravent dangereusement les inégalités. C’est le cas de la fiscalité, souvent injuste et qui bénéficie aux plus riches, et en particulier les multinationales étrangères à travers la multiplication d’exonérations fiscales. Ainsi au Mali l’ensemble de ces exonérations s’élevait en 2015 à plus de 310 millions d’euros, soit 3,5 fois le budget de l’éducation du pays.

Alors que ces dernières années nombre de mouvements citoyens se sont multipliés, comme le Balai Citoyen au Burkina Faso ou Y’en a marre au Sénégal, les gouvernants ont peu prêté l’oreille aux revendications légitimes d’une jeunesse sahélienne fortement mobilisée. Au Niger, les autorités ont même préféré réprimer un mouvement social qui s’est mobilisé contre une réforme fiscale injuste. Et dans la plupart des pays les législations et normes sociales continuent de discriminer massivement les femmes. Ces injustices sont devenues le terreau fertile de nombres de groupes armés qui sévissent aujourd’hui dans la région.

De l’urgence pour la France de rééquilibrer sa stratégie au Sahel

Le tout militaire inexorablement voué à l’échec

Il y a consensus, tant en Europe qu’au Sahel, que les militaires seuls ne résoudront pas la crise que vit le Sahel. C’est la raison qui a poussé la France et l’Allemagne à créer en 2017 l’Alliance Sahel, avec pour ambition de coordonner les interventions des bailleurs internationaux dans la région. Mais l’investissement politique est resté trop faible et la mobilisation a d’abord été centrée sur l’engagement militaire, à l’image du partenariat franco-allemand pour la sécurité au Sahel annoncé cet été lors du G7.

Une pression insoutenable sur les budgets sociaux

Pire, le déséquilibre mis sur le sécuritaire a aussi pour effet pervers de mettre dangereusement sous pression les budgets sociaux des États sahéliens à un moment où ils ont particulièrement besoin de politiques sociales ambitieuses pour reconstruire le lien social. Ainsi, entre 2013 et 2018 les dépenses militaires du Mali ont quadruplés, celles du Niger ont été multipliées par 2,5 et celles du Burkina Faso ont doublé.

Les dirigeants sahéliens alertent pourtant régulièrement sur cette spirale infernale qui menace leur capacité de mener des politiques sociales ambitieuses : ce fut le cas du président Burkinabè lors du récent sommet Russie-Afrique ou plus récemment du président malien de passage à Paris lors du Forum pour la Paix. Même la chancelière Merkel a tiré la sonnette d’alarme lors d’une visite au Burkina Faso au printemps dernier. Mais la France reste bien sourde face à ces avertissements.

Réorienter notre action au Sahel contre les inégalités

Il est nécessaire de rééquilibrer notre stratégie au Sahel. C’est une urgence d’abord pour la sécurité durable des populations locales.

Il faut déjà répondre au défi humanitaire que provoque la situation sur place alors que plus de 750 000 personnes sont déplacées depuis le début de l’année dans le centre du Sahel. Les plans de réponses humanitaires des pays touchés par les crises humanitaires ne sont financés qu’à environ 45% en moyenne. Au total, plus de 6 millions de femmes, d’enfants et d’hommes ont des besoins urgents en assistance alimentaire, en eau, hygiène et assainissement, en santé et en protection.

Ensuite il faut refonder le contrat social en ouvrant quatre axes de réforme :

  • la mise en place de politiques fiscales progressives et justes qui réduisent les inégalités de revenu ;
  • l’investissement massif dans des politiques d’éducation, de santé et de protection sociale à travers des services gratuits, universels, publics ;
  • l’installation de cadres réglementaires, juridiques, politiques et des institutions sociales qui luttent contre les inégalités que subissent les femmes sahéliennes ;
  • et le rétablissement d’une gouvernance plus juste et inclusive, la protection et le renforcement de l’espace civique pour permettre à toutes et tous d’être représentes et de participer activement à la vie publique et politique.

Mobiliser tous nos partenaires

La France ne peut pas agir seule. Mais la France peut et doit mobiliser largement la communauté internationale pour répondre à ces défis. Il n’est pas question de faire à la place des pays de la région, mais de les accompagner dans toutes les dimensions des réponses politiques à apporter, et pas seulement sur le front militaire. Il y a urgence pour que cesse la longue litanie des morts au Sahel.

Malgré tous ses défis, le Sahel est aussi une terre d’espoir où la jeunesse se mobilise pour construire un avenir meilleur. Découvrez les Justiciers du Sahel, des super-héros aux pouvoirs bien réels et partagez leurs histoires.

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