Malgré un sursaut de l’aide au développement, comment faire face à la multiplication des défis

Par Louis-Nicolas JANDEAUX, Chargé de plaidoyer Financement du développement pour Oxfam France (@JandeauxL).

Alors que l’OCDE, publie les chiffres de l’aide consacrée au pays en développement par les pays riches en 2021, Oxfam France a souhaité analyser les actions prises sur ces 5 dernières années dans notre pays mais aussi les défis auxquels il sera nécessaire de faire face dans les semaines, mois et années à venir.

5 ans de repriorisation de l’aide au développement

En 2021, comme depuis désormais 4 ans, l’aide de la France à destination des pays en développement est en hausse de 4,6% et atteint un niveau sans précédent. Entre choix politiques, pandémie, crise économique et sociale ; l’aide au développement est redevenue une priorité de la politique internationale de la France. Elle dispose désormais de son propre cadre légal et d’une programmation afin de s’assurer qu’en 2025, 0,7% de notre richesse nationale soit consacrée au soutien des populations les plus vulnérables de la planète ; une promesse vieille de 50 ans.

Le Président de la république, suite à l’adoption successive par l’Assemblée Nationale puis le Sénat, a en effet promulgué en août dernier une loi d’orientation et de programmation sur le développement solidaire et la lutte contre les inégalités mondiales. Cette loi devait répondre en partie aux propositions du rapport « Sur la modernisation de la politique de partenariat et de la solidarité internationale » du député Hervé Berville, première étape vers la création d’un tel cadre. C’est la première fois que la France se dote d’un tel outil législatif avec une feuille de route afin de s’assurer que notre aide au développement va augmenter de manière pluriannuelle, répondant ainsi à une préoccupation depuis des années des ONG mais aussi des pays bénéficiaires. Une fois les 0,7% atteint il sera temps de pérenniser cette cible.

En 2021 ce sont donc plus de 13 milliards d’euros qui ont contribué à notre aide au développement. Après 6 ans de baisse voire de stagnation entre 2010 et 2015, la croissance de l’aide à partir de 2016 qui s’est poursuivie et largement accrue entre 2017 et 2021 a permis à la France de conforter sa place de 5e principal pays donateur d’aide dans le monde. Ces progrès globaux sont également à souligner lorsque l’on parle des opérateurs de l’aide française. Ainsi, l’Agence Française de Développement n’a pas seulement augmenté son activité, elle a surtout développé une attention de plus en plus importante sur la lutte contre les inégalités, en adoptant entre autre début 2021 une « stratégie 100% lien social » qui implique que chaque projet est désormais analysé sous ce prisme.

Au-delà des dimensions purement budgétaires, la France est parvenue ces dernières années à se doter de cibles plus claires et plus contraignantes. Pour la première fois, le gouvernement a annoncé l’adoption d’une « diplomatie féministe », même si pour l’instant, les financements ne sont pas à la hauteur de l’ambition affichée. La France restant 26ème/30 au classement des pays donateurs intégrant l’égalité dans leur aide.

On peut aussi souligner, même si les effets tardent à se faire ressentir, la volonté de réorienter l’action de la France à l’internationale vers la lutte contre les inégalités et les populations les plus vulnérable. Par exemple, bien que trop limitée, l’objectif de renforcer l’aide vers une liste de pays parmi les plus pauvres de la planète est primordiale. Il faudrait désormais s’assurer que la majorité de notre aide au développement est bien à destination des pays les moins avancés (PMA) de la planète (aujourd’hui à peine un cinquième).

Des pistes d’améliorations majeures

Dans la même optique que ces financements encore trop insuffisants à destination des PMA, maintenant que le chantier de la programmation budgétaire et la cible des 0,7 sont en bonnes voies, de nombreuses limites de notre aide au développement devront faire l’objet d’une attention particulière du futur gouvernement.

La pandémie du coronavirus a, par exemple, démontré la fragilité d’un monde où plus de la moitié de la population mondiale n’a ni accès aux services de santé les plus essentiels, ni à des sources d’eau potable sûres. Quatre milliards de personnes ne bénéficient d’aucune protection sociale formelle et seront les plus durement affectées par la crise économique qui se profile. Un milliard et demi d’écolier-e-s et d’étudiant-e-s dans le monde ont été affecté-e-s par la fermeture des établissements.

Face à cette aggravation de la situation mondiale, l’aide au développement doit, plus que jamais, prioriser les secteurs ayant un plus fort impact sur la réduction des inégalités et la lutte contre la pauvreté (la santé, l’éducation, la protection sociale, l’eau et l’assainissement). La France dédie une part trop faible de son aide vers ces secteurs : en 2019, moins de 20%. Même si la loi d’août 2021 a réaffirmé des priorités sectorielles telles que la santé et l’éducation, il n’y a cette fois-ci pas de trajectoire financière claire et au niveau des besoins actuels. Oxfam demande aux futur gouvernement de veiller à ce qu’au moins 50% de son aide aille vers ces secteurs à fort impact pour la réduction des inégalités.

Le second aspect particulièrement problématique est la comptabilisation en APD d’un certain nombre de dépenses allant à rebours des principes même de l’efficacité de l’aide et que les ONG ne considèrent pas comme de l’APD. Ainsi la France comptabilise par exemple en aide au développement des allègements de dettes dans des pays faisant face à de terribles crises de la dette, les bourses pour les étudiants étrangers y compris lorsqu’ils sont issus de pays intermédiaires supérieur comme la Chine, les doses de vaccin contre le COVID qu’elle avait en surplus et ce indépendamment des dates d’expiration trop avancées, ou encore les frais d’accueil des demandeurs d’asile sur son propre sol… Tout cela participe à gonfler artificiellement les niveaux d’aide au développement, ainsi le premier pays bénéficiaire de l’aide française est la France elle-même.

Enfin, la principale piste d’amélioration de notre aide est de diminuer notre recourt au prêt bien trop important. Aujourd’hui la France est le 3e pays recourant le plus aux prêts dans son aide au développement juste derrière le Japon et la Corée du Sud, alors que dans le même temps des pays comme l’Australie ou le Royaume Uni par exemple ont une aide au développement constituée uniquement de dons. Malheureusement en 2021, la France a continué d’augmenter son activité en prêts (+23%). Cette pratique incite la France à favoriser dans son APD des pays dit économiquement « intermédiaires » au détriment des pays les plus pauvres car ils ont plus de chance de rembourser le prêt en question.

Dans la même optique, les opérateurs de l’aide française vont plutôt cibler des secteurs productifs plutôt que des secteurs sociaux là encore dans une logique de s’assurer un « retour sur investissement ».  Enfin bien évidement une telle pratique nourrit l’endettement des pays en développement alors que la plupart font déjà face à des niveaux surendettement dramatique. Cette dépendance trop grande de l’aide française envers les prêts se transforme en obstacle majeur pour faire des pays les plus pauvres la priorité de l’aide française.

Afin de s’assurer que notre effort de solidarité internationale profite bien aux populations les plus vulnérable de la planète, la France doit lors des cinq années à venir :

  • Prioriser les secteurs qui réduisent le plus les inégalités, et notamment les services publics de santé, d’éducation et la protection sociale en fixant l’objectif d’au moins 50% de l’aide allouée aux services sociaux de base ; ainsi que l’objectif fixé par l’OMS de 0,1% du RNB alloué à la santé ;
  • Accroître fortement la part de dons dans son aide au développement afin de rejoindre la moyenne des pays donateurs d’aide
  • Cesser de comptabiliser des financements restant sur le sol français ou n’ayant aucun impact sur les populations les plus vulnérable en APD.
  • S’assurer que la majorité de notre aide au développement est bien à destination des pays les moins avancés (PMA) de la planète
  • Développer une approche féministe de l’aide en s’assurant qu’au moins 85% des projets d’APD soutenu par la France ont un effet positif sur l’égalité femmes-hommes dans les pays les plus pauvres

Un contexte international qui nécessite une ambition encore plus grande pour les 5 ans à venir

Dans un récent Rapport, Oxfam estimait que 260 millions de personnes en plus allaient sombrer dans l’extrême pauvreté d’ici la fin de l’année 2022. Un constat d’autant plus problématique que l’extrême pauvreté avait augmenté en 2020 pour la première fois depuis plus de 20 ans avec l’émergence du coronavirus. Malgré des appels répétés depuis le début 2020 de la société civile ou même des Nations Unies, l’aide au développement au niveau mondial n’a été globalement que très peu renforcée.

En effet au-delà des multiples conséquences de la crise du coronavirus, la crise en Ukraine multiplie à nouveau les besoins financiers nécessaires à travers le monde et participe à cette inflation de la pauvreté. Des millions d’ukrainiens et d’ukrainiennes ont été contraints de quitter leur domicile trouvant pour la plupart refuge dans des pays frontaliers voire dans d’autres pays européens. Mais ces défis se situent également bien au-delà des frontières européennes.

La crise ukrainienne est entre-autre à l’origine d’une inflation massive dans le système alimentaire mondial, et ce sont les personnes souffrant de la faim dans d’autres régions du monde qui en pâtiront le plus. Au Mali, par exemple, le triple impact de l’insécurité croissante, des sécheresses et du Covid-19 a plongé un nombre record de 1,2 million de personnes dans une crise alimentaire en 2021. Malheureusement, le conflit en Ukraine risque fort d’avoir un impact négatif sur le déploiement des fonds nécessaires au soutien à la région du Sahel. Certains pays riches ont déjà indiqué qu’ils procéderaient à une réduction massive de leurs financements en Afrique de l’Ouest afin de soutenir les opérations en Ukraine.

C’est pourquoi le futur gouvernement ne doit en aucun remettre en question notre devoir de solidarité auprès des femmes, des hommes et des enfants du monde entier qui sont confrontés aux défis les plus divers, de la guerre à la pauvreté, de la crise climatique aux inégalités structurelles. Dans ce contexte tout financement qui viserait à répondre à l’impact de la crise Ukrainienne devra évidemment s’additionner aux budgets déjà prévu pour la solidarité internationale. Les crises se multiplient, les budgets doivent l’être aussi.

De même la future administration ne devra pas utiliser ses budgets de coopération au développement pour répondre à la crise ukrainienne à l’intérieur même de notre pays et ainsi tenir des engagements sans pour autant faire plus pour le développement des pays les plus pauvres. La France le fait déjà largement avec des frais d’accueil pour les réfugiés qu’elle présente comme de l’aide internationale (près de 10% de son aide totale). Alors que l’accueil des réfugiés Ukrainiens pourrait représenter près d’un tiers du budget français prévu pour la solidarité internationale en 2022, le futur gouvernement devra s’assurer de fournir l’aide humanitaire en Ukraine et le soutien aux réfugiés et aux demandeurs d’asile avec des ressources supplémentaires, et non en détournant des ressources des budgets de développement déjà convenus.

Face aux conséquences qui perdurent du coronavirus, le défi Ukrainien, l’explosion des crises alimentaires à travers le monde… Cette re-priorisation de l’aide au développement dans notre politique internationale par le précédent gouvernement est un élément positif mais qui devra nécessairement être poursuivi et accompagné d’efforts supplémentaires dans la conception même de notre aide afin de réellement lutter contre la pauvreté et les inégalités à travers le monde.