Paroles du terrain : « À cause du changement climatique, l’eau se fait de plus en plus rare »

Abigail, 27 ans, est coiffeuse à temps-partiel et vit à Hatcliffe, au Zimbabwe, avec son mari, Luckmore, et son fils de 2 ans. Ils partagent une maison de 5 pièces avec 4 autres familles.

L’accès à l’eau est si problématique qu’Abigail dort la lumière allumée et se réveille à 4h chaque matin. Si la lumière est éteinte quand elle se réveille, elle sait qu’il n’y a pas d’électricité et elle devra quitter immédiatement la maison pour aller chercher de l’eau au puits, à l’aide d’une pompe manuelle, sans garanties d’avoir de l’eau. Si la lumière est toujours allumée, elle peut attendre jusqu’à 7h du matin avant d’avoir de l’eau de la pompe électrique.

Abigail est une « Championne Care », et grâce à la formation We Care, mise en place par Oxfam, elle a gagné en assurance pour parler à son mari de la nécessité de partager les tâches domestiques, dont celle d’aller chercher de l’eau.

« L’été, il n’y a pas grand-chose à faire, mon mari fait de la maintenance. Ce sera difficile quand il n’y aura plus du tout de travail. Je tresse des cheveux ici et là, mais je n’ai pas encore beaucoup de clients car nous avons récemment déménagé dans un autre quartier. J’aimerais avoir un vrai travail, c’est ce que je souhaite le plus : avoir l’opportunité d’avoir un vrai travail.

J’ai fait une fausse couche. Avant cela, j’étais analyste financière. Quand j’ai fait cette fausse couche, mon mari m’a conseillé d’arrêté de travailler. Je suis ensuite tombée enceinte de Junior. Depuis, je n’ai jamais retrouvé de travail. Ce n’est pas faute d’avoir essayé mais ce n’est pas si simple d’être embauchée.

 

Dans cette communauté, la majorité des hommes vont travailler tous les jours et toutes les femmes sont mères au foyer.

 

En tant que femme, je ne pense pas qu’on ait les mêmes opportunités que les hommes car, comme vous pouvez le voir, nous ne travaillons pas. Dans cette communauté, la majorité des hommes vont travailler tous les jours et toutes les femmes sont mères au foyer. D’après moi, et après toutes les conversations que j’ai eues avec d’autres femmes en allant chercher de l’eau au puits, beaucoup n’ont pas un niveau d’études élevé car elles se sont mariées très jeunes. Et certains maris n’autorisent pas leurs femmes à travailler. D’autres sont dans la même situation que moi et ont du mal à trouver un emploi.

 

À cause du changement climatique, l’eau se fait de plus en plus rare et nos puits ont trop peu d’eau. C’est devenu un problème.

 

Et à cause du changement climatique, l’eau se fait de plus en plus rare et nos puits ont trop peu d’eau. C’est devenu un problème. Hier, j’ai ressenti des douleurs à force d’avoir pompé autant à la main. C’est ça la réalité du changement climatique. Si les précipitations étaient plus abondantes, les puits auraient plus d’eau. On pourrait aller au puits et avoir de l’eau facilement. Car ça n’a pas toujours été un problème de puiser de l’eau. C’est à partir de mai que c’est devenu problématique et on a eu du mal à avoir de l’eau en juin, juillet, jusqu’au mois de septembre, avant qu’il ne pleuve en octobre. Durant ces mois, on avait seulement un demi sceau pour se laver.

Avant qu’Oxfam ne prenne contact avec moi, mon mari me battait. Il allait travailler pendant que je faisais la queue pour avoir de l’eau. Il ne comprenait pas quand je lui disais que je n’avais pas pu avoir de l’eau du puits. Il pensait que je passais mon temps à dormir alors que je passais la journée entière à faire la queue dans l’espoir d’avoir de l’eau. Il y a même eu un moment où j’ai eu de la diarrhée car on utilisait de l’eau qui n’était pas propre. Avec du recul, je me dis que c’est peut-être le puits qui a causé ma fausse couche. Pomper l’eau manuellement était très difficile et j’avais toujours des douleurs en revenant du puits.

Mon mari n’a jamais compris mes douleurs parce qu’il n’était presque jamais à la maison. Il passait la journée au travail et partait parfois à 7h du matin et revenait le soir. Parfois, j’étais toujours en train de faire la queue au puits et je n’avais pas eu le temps de préparer à manger. Il me demandait ce que j’avais bien pu faire de ma journée. J’essayais de lui expliquer que j’avais passé la journée entière au puits mais il ne m’écoutait pas et se demandait pourquoi il m’avait épousé. Il attendait de moi que je l’aide sur les tâches ménagères : faire à manger, faire la lessive. Parfois, il partait au travail avec des vêtements sales car je n’avais pas pu récupérer de l’eau. Et il me disait « tu devrais retourner chez ta mère. Ce n’est pas la peine de rester ici si tu ne sais pas faire la lessive ou rentres tard à la maison ». Ce n’était pas normal, ça ne devait pas se passer comme ça et il abusait de moi. Je n’aimais pas ça.

A la formation We Care, on nous a enseigné l’empouvoirement économique des femmes, qui est l’émancipation économique des femmes. On nous a expliqué comment les tâches domestiques devaient être mieux réparties entre les hommes et les femmes. Et la responsabilité de ces tâches doit être partagée. Aux débuts de la formation, je rentrais chez moi et je racontais ma formation à mon mari mais il ne m’écoutait pas.

C’est quand on a commencé à faire du porte-à-porte, pour parler du programme We Care, qu’il a commencé à écouter. Il entendait ses collègues en discuter au bar. On regardait aussi un film africain, interprété par des nigériens et dans le film, l’homme faisait à manger, aidait sa femme à la maison. C’est là que j’ai dit « C’est ce qu’Oxfam nous a enseigné à la salle communale ». Il m’a demandé « Comme quoi ? ». Et c’est là que j’ai commencé à lui expliquer qu’il n’y avait pas de travail spécifique pour les hommes ou pour les femmes. Au début, il était en désaccord, il pensait que j’essayais de lui donner une « potion d’amour ». Il me disait « je ne ferai jamais çà, c’est seulement dans les films que ça existe, personne ne fait çà dans la vraie vie ». Et j’ai eu peur de sa réaction. Parce qu’on était marié.e.s depuis 2 ans. Et j’étais effrayée par la manière dont il m’a traitée depuis notre mariage. J’avais peur mais je n’ai pas renoncé.

Quand on a été formée, on nous a dit qu’il y avait plusieurs niveaux, et qu’au premier niveau, les gens vous insulteraient ou vous ignoreraient. On nous avait prévenues qu’il y aurait beaucoup de défis à relever. Alors je n’ai pas abandonné parce qu’on m’avait prévenue que ça allait être difficile.

 

Je lui ai dit que j’allais finir le repas et il m’a dit de m’asseoir et de me reposer pendant qu’il faisait à manger. C’est là que j’ai vu que le message avait fonctionné.

 

Je me souviens encore du premier jour où je l’ai vu revenir tôt du travail. J’étais au puits et quand je suis revenue, il était en train de faire la cuisine, ce qu’il n’avait jamais fait avant. Je lui ai dit que j’allais finir le repas et il m’a dit de m’asseoir et de me reposer pendant qu’il faisait à manger. C’est là que j’ai vu que le message avait fonctionné. Et il adore cuisiner. Qu’est-ce que je peux dire de plus ? Comment le décrire ? Je suis heureuse de voir que ma vie a changé parce que si elle avait dû rester comme elle était avant, si Oxfam n’était pas intervenu, je n’aurais pas pu continuer à vivre avec mon mari. Et depuis, il fait la cuisine, il va chercher de l’eau. Quand il ne travaille pas, il m’aide à aller chercher de l’eau. A faire la vaisselle. Il n’ose pas encore faire la vaisselle dehors. Il passe le balai s’il voit que le sol est sale.

Le programme Oxfam nous aide, c’est un travail progressif, qui nous aide avec le problème de collecte de l’eau, à comprendre le changement climatique. »

Abaigail et sa famille