Transparence sur toute la ligne : une exigence pour le secteur pétrolier

Fruits de plusieurs mois de recherche sur le terrain, Oxfam, la FIDH et leurs organisations partenaires viennent de publier deux nouvelles études d’impact sur les risques majeurs du projet mené par TOTAL en Ouganda et en Tanzanie. Ce projet pourrait provoquer l’expropriation de 12 000 familles et menacerait des écosystèmes aussi fragiles qu’essentiels.

 

Lire le communiqué de presse d’Oxfam et de la FIDH

Lire le rapport : « Pétrole en Afrique de l’Est, les communautés en danger »

 

Le mirage du pétrole ?

Après près de deux décennies d’exploration pétrolière, le mégaprojet de TOTAL et de son partenaire China National Offshore Corporation (CNOOC) semble sur le point de voir le jour – la décision finale d’investissement devant être prise avant la fin de cette année. Les réserves de pétrole découvertes en 2006 autour du Lac Albert sont immenses : 6,5 milliards de barils dont 1,4 exploitables commercialement – le 4e gisement le plus important en Afrique sub-saharienne. Leur exploitation nécessitera la construction d’un oléoduc de 1440 km, traversant la Tanzanie.

Immenses ont été également les promesses faites aux populations locales : le pétrole comme un pari pour le développement futur de l’Ouganda et de la Tanzanie. Pourtant, ces promesses peinent à se matérialiser alors que les impacts sur les droits humains et l’environnement, eux, sont déjà bien réels : les rapports mettent en évidence des risques d’atteintes sérieuses à des droits humains fondamentaux tels que le droit à la terre et le droit à un niveau de vie suffisant à une alimentation. Et ces promesses paraissent déjà bien vaines au regard des enjeux du changement climatique.

Transparence – un peu, mais pas trop

Le manque de transparence et de communication auprès des populations locales pose également problème.
Si le secteur extractif est particulièrement propice à l’opacité – ce projet ne fait pas exception. Les informations à la disposition des populations concernées mais également du grand public, restent lacunaires. Les rapports pointent également que si les compagnies et les gouvernements ont régulièrement communiqué sur les bénéfices attendus du projet – les risques ont été passés sous silence. Ils démontrent également de sérieuses défaillances dans la consultation et l’information donnée aux populations affectées, et notamment en ce qui concerne les processus d’évaluation et d compensation des terres expropriées et de relocalisation.

Certains documents – essentiels à la société civile pour pouvoir analyser l’ensemble des impacts du projet – sont en effet toujours tenus secrets : c’est le cas des accords de partage de production avec le gouvernement ougandais qui fixe notamment les clauses fiscales du projet, mais également les études d’impact sur les droits humains conduites par TOTAL.

Contraindre TOTAL par le droit européen

Dans le cadre de son Green Deal, la Commission Européenne a initié un processus de revue de sa directive sur la publication d’informations non-financières (Non Financial Reporting Directive ou NFRD) [1], directive transposée en France par la Déclaration de Performance Extra Financière [2] . Quelles sont ces informations qui semblent avoir moins d’importance que les informations financières ? Il s’agit pourtant un vrai enjeu, celui de la publication des impacts des grandes entreprises sur l’environnement, les droits humains, les droits sociaux et des employés, et la corruption [3].

De l’aveu même de la Commission [4], cette directive est aujourd’hui largement inopérante car elle est trop peu contraignante vis-à-vis des entreprises : elle ne permet aucune comparabilité, ni aucune standardisation et elle ne répond pas aux attentes des différentes parties prenantes. Pour 70% des utilisateurs de ces informations, les informations publiées ne correspondent pas à leurs attentes.

Oxfam France – ainsi que la coalition Publiez Ce Que Vous Payez [5] – estiment que la révision de la directive doit être ambitieuse. Les relations de pouvoirs entre la société civile, les populations locales et les grandes entreprises ne peuvent plus résulter en un échange unilatéral d’informations à la discrétion de ces dernières. Et l’enjeu ne se limite pas à produire un rapport de plus : cette révision doit se faire en parallèle de l’élaboration d’une directive européenne sur la gouvernance d’entreprise durable début 2021 [6], qui devra étendre la loi française sur le Devoir de Vigilance des grandes entreprises au niveau européen.

L’importance des impacts des grandes entreprises doit tout d’abord se définir en consultation avec les personnes affectées : l’exemple de ce projet montre à quel point un dialogue éclairé est primordial.

La publication des contrats, des études d’impact et de l’empreinte climatique doivent devenir la norme pour le secteur pétrolier

Une approche par secteur est par ailleurs essentielle – et particulièrement pour les entreprises extractives au vu des risques inhérents au secteur. Ainsi, la publication des contrats doit devenir la norme pour les secteurs pétrolier & gazier. Si Total a d’ores et déjà pris position publiquement en faveur de la publication de ses contrats – ce n’est pas encore la norme du secteur.

La norme de l’Initiative pour la Transparence dans les Industries Extractives (ITIE) – la référence mondiale pour la transparence du secteur – le prévoit pourtant depuis sa révision en 2019 [7]. C’est également la position du FMI [8]. Les rapports internes d’impact sur les droits humains et l’environnement doivent être divulgués. Les politiques des entreprises – sur la question du consentement libre, préalable et éclairé des populations affectées par les projets [9]– doivent être publiques. Autant d’éléments cruciaux qui font cruellement défaut dans le cas du projet mené par TOTAL en Ouganda et en Tanzanie.

C’est également la pertinence d’un tel projet au regard des enjeux du changement climatique qu’il faut évaluer : la révision de la NFRD doit inclure une publication des émissions (Scopes 1 à 3) par toutes les entreprises, ainsi qu’une trajectoire de réduction de son empreinte. Aujourd’hui, et malgré leur poids majeur dans l’ensemble des émissions de la planète, seules 23,5% des entreprises du secteur de l’énergie et de l’extraction des ressources naturelles publient un objectif aligné avec l’Accord de Paris.

La transparence du secteur extractif n’est pas une fin en soi. C’est un moyen et un outil pour donner aux populations directement concernées mais également à tous les citoyens les armes pour pouvoir s’informer, réfléchir et agir. Ils n’ont pas besoin de promesses vaines.

Notes :

[1] Directive 2014/95/UE modifiant la directive 2013/34/UE.
[2] Article 225-102-1 du Code du Commerce.
[3] Les quatre domaines actuellement mentionnés dans la directive sur le reporting non financier.
[4] Voir l’Analyse d’impact initiale de la Commission Européenne
[5] Oxfam est membre de Publiez ce Que Vous Payez et Oxfam France représente la coalition en France
[6] Le Commissaire Européen à la Justice, Didier Reynders, s’est engagé le 29 avril 2020 à une réglementation sur le devoir de vigilance au niveau européen et a récemment réaffirmé cet engagement lors d’une réunion le 2 septembre avec le comité JURI du Parlement Européen
[7] Guidance on contracts and contract transparency
[8] Pilier IV du Code de Transparence Fiscale (2019)
[9] : Free Prior Informed Consent, ou CLIP en français. Voir document Oxfam en anglais.