Changer le système agro-alimentaire pour stopper la crise climatique

Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) a publié un nouveau rapport sur les liens entre l’utilisation des terres et les changements climatiques. Les scientifiques se sont penchés sur les effets sur l’agriculture et la sécurité alimentaire de la désertification et de la dégradation des sols, induites par la crise climatique. Ils soulignent aussi la contribution de l’agriculture au réchauffement de la planète.

Le travail du GIEC reflète le consensus scientifique sur le climat et a pour vocation de guider les décisions politiques des États pour faire face à cette crise sans précédent.

Pour s’attaquer au chaos climatique, il faut reconnaître le lien entre faim et climat, et revoir ce qui constitue la base de nos sociétés et de la vie humaine : l’agriculture et l’alimentation.

La crise climatique a des impacts différenciés selon les zones et les populations touchées

Les changements climatiques dégradent les sols à causes des pluies et des événements météorologiques extrêmes, accélèrent la désertification et intensifient la sécheresse. Le GIEC prouve que, par conséquent, les terres sont moins fertiles, les rendements et la qualité nutritionnelle baissent et prévoit même une future augmentation du prix des aliments.

Les effets de la crise climatique touchent tous les agriculteur.ice.s, mais pas de la même manière. Les impacts se concentrent sur les plus pauvres, en particulier les femmes. Comme l’a souligné la FAO (Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture) mi-juillet, il est probable que de plus en plus de personnes souffriront de la faim. Près de 20% de la population d’Afrique subsaharienne n’a pas accès à la nourriture en quantité et qualité suffisante, et verra cet accès se réduire avec la diminution des rendements agricoles et la hausse des prix induits par les bouleversements climatiques.

Alors que les populations les plus pauvres, largement rurales, subissent le plus violemment la crise climatique, elles sont celles qui produisent le moins de gaz à effet de serre. Oxfam a souligné cette injustice en montrant que la moitié la plus pauvre de la population mondiale est responsable de seulement 10 % des émissions de CO2. Les 10 % les plus riches, eux, émettent environ 50 % des gaz à effet de serre.

L’agriculture a un impact sur la sécurité alimentaire, mais aussi sur le climat

La crise climatique a un fort impact sur l’agriculture. Mais ce secteur d’activité est aussi responsable d’une très large part des émissions globales de gaz à effet de serre. De la fourche à la fourchette, un tiers des émissions de CO2 sont imputables au système agro-alimentaire, c’est-à-dire en prenant en compte la production (et la déforestation qui y est liée), le stockage, le transport, ou encore le gaspillage de nourriture (un tiers de la production mondiale est gaspillé, selon la FAO). C’est le modèle agricole et alimentaire industriel qui est en cause, et non pas l’agriculture de subsistance ou tournée vers le marché local, pratiquée par la plupart des paysan.ne.s dans les pays en développement.

Lorsqu’on les laisse à l’état naturel ou qu’elles sont cultivées en agroécologie, les terres et les forêts sont des puits net de carbone plutôt qu’une source d’émission de gaz à effet de serre. L’agriculture industrielle, via la déforestation qu’elle induit, et le CO2 qu’elle rejette dans l’atmosphère avec le labour, empêche ces puits de carbone de fonctionner. Elle alimente la crise climatique tout en rendant les systèmes agricoles plus vulnérables à ses effets : les sols laissés à nu une partie de l’année ne sont pas protégés et la monoculture est risquée si elle n’est pas résiliente face à la sécheresse par exemple.

En continuant sur la trajectoire actuelle, les émissions du système agricole et alimentaire pourraient augmenter de 30 à 40% d’ici à 2050, notamment à cause de l’évolution des régimes alimentaires vers une plus grande consommation de viande et de produits animaux. Non seulement le bétail rejette du méthane qui réchauffe l’atmosphère, mais de plus en plus de terres, notamment des forêts primaires, véritables stock de carbone, sont utilisées pour des cultures qui servent à nourrir les animaux[1].

La Terre dispose de ressources limitées. Chaque année, le jour du dépassement, qui marque le point où l’humanité a consommé toutes les ressources que la planète peut offrir en un an, arrive un peu plus tôt. On ne peut pas se passer de nourriture, ni d’eau. Il est donc urgent de modifier notre façon de produire et de consommer.

Séquestration de carbone, compensations…de fausses solutions à la crise climatique et alimentaire

Plutôt que de remettre en cause notre manière de produire et de consommer la nourriture, des options figurant dans le rapport du GIEC avancent de nouvelles solutions technologiques, telles que la capture puis la séquestration de carbone dans le sol. A grande échelle, il s’agirait de planter des arbres ou des cultures qui seraient ensuite brûlées pour produire de l’énergie. Le carbone issu de leur combustion serait capturé et réinjecté dans le sol. Mais ces « solutions » technologiques posent une menace inacceptable sur la sécurité alimentaire, puisque l’utilisation des terres se fera aux dépens de la production agricole, dépossédant un peu plus des paysan.ne.s de leurs terres, là où la faim fait déjà rage.

Le rapport du GIEC confirme que des alternatives agroécologiques sont viables et ne créeront pas une concurrence néfaste entre séquestration de carbone et sécurité alimentaire. En se détournant de la production de viande, du gaspillage alimentaire, et avec une transition vers l’agroécologie, il est possible d’avoir un système agro-alimentaire compatible avec le climat.

Nous avons le choix entre continuer d’utiliser les terres pour produire mal (aux dépens de la biodiversité et de la santé des personnes) en réchauffant la planète, ou de mettre en place des systèmes agro-alimentaires durables, non émetteurs et favorables la sécurité alimentaire de toutes et tous. Qu’attendons-nous ?

L’agroécologie, le respect des droits des femmes et des peuples autochtones : l’alternative gagnante à l’agriculture industrielle

Des solutions existent déjà, et ne demandent qu’à être soutenues. La gestion des terres en agroécologie et agroforesterie a des bénéficies multiples, comme la réduction des émissions de gaz à effet de serre en favorisant le couvert végétal à l’année et en évitant le recours aux intrants chimiques (les engrais de synthèse rejettent un puissant gaz à effet de serre). L’agroécologie et l’agroforesterie augmentent aussi la capacité d’adaptation et la résilience des paysannes et paysans, avec des cultures diversifiées et nutritives et des circuits alimentaires locaux. Elles répondent à des objectifs sociaux, sans provoquer de compétition pour la terre.

Associée à des efforts de réduction du gaspillage et de modification des régimes alimentaires, au profit notamment des protéines végétales (lentilles, pois…), qui fertilisent par ailleurs naturellement le sol, l’agroécologie constitue un pari gagnant pour le climat.

Ce modèle agricole est souvent porté par des femmes et la gestion durable des espaces naturels, comme les forêts primaires, est traditionnellement assurée par des peuples autochtones. Reconnaître leurs droits est en soi une avancée pour le climat.

Oxfam appelle à diriger les financements et l’aide publique au développement vers l’agroécologie paysanne, et à miser sur les agricultrices. Les Etats doivent se saisir des conclusions du GIEC et du caractère interdépendant entre climat, agriculture et alimentation pour prendre d’urgence des mesures concrètes pour la justice climatique et sociale.

[1]  Émissions impossibles : Comment les grandes entreprises du secteur de la viande et des produits laitiers réchauffent la planète, GRAIN, juillet 2018