La Taxe sur les transactions financières : en France, en Europe, où en est-on ?

Alors qu’Oxfam s’est de nouveau mobilisée lors du dernier projet de loi de Finances pour tenter (en vain) de renforcer la Taxe sur les Transactions Financières (TTF) en place au niveau national, ce dossier est réapparu récemment dans le débat au niveau européen, où la France joue un trouble jeu. Point sur le dossier.

La Taxe sur les transactions financières (TTF) en France : peut mieux faire !

La taxe sur les transactions financières ou TTF, kézako ?

En France, la taxe sur les transactions financières existe depuis 2012. C’est un impôt particulier puisqu’il est destiné à réguler les échanges d’actions sur les marchés financiers. Jusqu’alors, ces échanges échappaient au contrôle de l’administration fiscale. Avec la crise financière de 2008, du fait de l’explosion d’une bulle spéculative non-régulée, il est devenu clair qu’il n’était plus possible de laisser les transactions financières se faire sans les réguler. Depuis 2012, la France a donc commencé à les taxer. C’est un impôt à 0,2 %, puis à 0,3 % à partir de 2016 qui sert donc à réguler la finance mais également à financer des projets internationaux.

Ces revenus sont en effet attribués (« fléchés ») vers le fonds de solidarité pour le développement (FSD, à hauteur de 528M€), et le budget général. En 2019, la TTF a rapporté 1,4 milliard d’euros en 2019 (dont 37 % vers le FSD). En 2020, ce sont 1,785 milliards qui ont été récoltés en France grâce à cette taxe (dont 30 % pour le FSD). La TTF est ainsi un impôt qui rapporte à l’État et à la solidarité internationale tout en étant indolore.

Rendre la TTF plus ambitieuse

En rentrant dans le détail, Oxfam distingue trois leviers d’action sur lesquels les parlementaires peuvent agir.

  • Le plus évident est le taux. A titre d’exemple, en passant de 0,3 % à 0,4%, les recettes produites par la TTF pourraient augmenter jusqu’à près de 25 % ! L’argument principal est souvent la compétitivité des entreprises françaises face à la City de Londres… où il existe pourtant déjà une taxe à 0,5 %.
  • Ensuite, il est possible d’agir sur « l’assiette », c’est-à-dire ce qui est taxé. Oxfam France cherche aujourd’hui à faire en sorte que les transactions intrajournalières (Intraday transactions) soient taxées, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. La précédente législature avait pourtant voté en faveur d’une telle mesure fin 2016, mais Emmanuel Macron et Bruno Le Maire ont fait marche arrière sur ce point dès leur arrivée au pouvoir en 2017. Ce sont entre 2 et 4 milliards d’euros de recettes annuelles qui ont ainsi été laissés de côté. Aujourd’hui, une personne achetant des actions le matin et les revendant avant la fermeture de la bourse n’est ainsi pas taxée, alors même qu’elle reçoit des profits de ces achats/reventes. C’est également en s’attaquant à cette assiette que la TTF peut prévenir les pratiques spéculatives les plus dangereuses pour l’économie. Rappelons ici que les transactions financières sont à l’origine de nombreuses grandes crises, en 1929 ou en 2008 par exemple. La TTF aide à réguler le marché, et donc à repousser certaines des crises majeures.
  • Enfin, il y a l’affectation, c’est-à-dire où va l’argent récolté grâce à la TTF. Aujourd’hui, un montant de 528M€ est systématiquement attribué au Fonds de Solidarité pour le Développement, soit environ 37 % de ce que la TTF a rapporté en 2019, et 30 % en 2020. Sur ce point, Oxfam France travaille chaque année afin d’augmenter la part allouée à la solidarité internationale et au climat.

En plus d’un apport conséquent à des projets de solidarité internationale ou à des aides climatiques, il est à noter que cette taxe est largement populaire. En 2016, Oxfam montrait qu’en France, 73 % des personnes sondées se montraient favorables à une taxation portant sur les transactions financières. Ce sont 86 % des personnes sondées qui demandaient à ce que le secteur financier partage également les coûts de la crise financière débutée en 2008.

Reste donc encore de nombreuses possibilités, en France, pour pouvoir avancer vers une TTF qui puisse lever davantage de fonds pour le développement international et pour permettre de prévenir les crises financières en régulant un secteur trop peu prévenant sur les risques quotidiens de la bourse qui peuvent toucher chacun et chacune d’entre nous.

La Taxe sur les transactions financières en Europe : divergences d’ambitions

TTF : quelle position des autres pays européens ?

Si la France s’est dotée dès 2012 d’une taxe sur les transactions financières, comme d’autres pays l’ont fait, la situation est différente sur le plan européen.

Depuis 2013, 10 pays membres de l’Union européenne travaillent dans un processus de  coopération renforcée afin d’introduire une taxe européenne sur les transactions financières. Sur le principe, tout le monde est d’accord : il faut taxer les transactions financières improductives. Ce qui bloque, c’est le comment.

Aujourd’hui, les négociations sont arrêtées en raison d’intérêts divergents. La France et l’Allemagne sont favorables à une TTF très en deçà des ambitions des huit autres membres du groupe de travail (l’Autriche, la Belgique, la Grèce, l’Italie, le Portugal, la Slovaquie, la Slovénie et l’Espagne). Ces huit pays ont la conviction qu’une taxe plus importante pourrait être mise en place en Europe pour financer la sortie de crise économique sur le budget pluriannuel de l’UE. La présidence portugaise du Conseil de l’UE arrivée en janvier 2021 a fait en sorte de relancer les négociations. En s’appuyant sur les expériences italiennes et françaises de la TTF, elle a présenté aux 27 pays membres de l’UE une base d’harmonisation commune qui par la suite serait développée en fonction des volontés nationales. Là non-plus, il n’est pas question d’un fléchage explicite de cette TTF en dehors du budget long-terme de l’UE (le MFF). Il faudra pourtant s’assurer que cette TTF européenne serve bien à financer la réduction des inégalités mondiales et la lutte contre le changement climatique, en cohérence avec sa conception initiale.

Alors que la présidence portugaise permet aujourd’hui de réelles avancées pour une taxe européenne sur les transactions financières, la France continue de bloquer, et sa position est incompatible avec les arguments des autres pays européens. Instaurer une TTF « à la française », cela signifierait que 99 % des transactions (les intradays) ne seraient pas taxées, une position impossible à défendre pour certains pays du groupe de travail de coopération renforcée. Grand défenseur de l’Europe dans ses discours engagés, Emmanuel Macron se met en réalité l’UE à dos, refusant simplement toute avancée sur la TTF mise en place par ses prédécesseurs. Entre l’Europe et la spéculation financière des banques, Emmanuel Macron a fait son choix.

Quelles avancées dans les prochains mois ?

De nombreux parlementaires européens continuent de se mobiliser régulièrement sur ce dossier. Par exemple, Pierre Larrouturou qui rappelait en octobre dernier que la TTF européenne pourrait rapporter 50 milliards d’euros par an en plus. Ce dernier, pour faire entendre son message, a été jusqu’à faire une grève de la faim pendant 18 jours à l’automne 2020. Au-delà de l’écho médiatique de son action, certaines personnalités politiques se sont jointes à lui dans son combat. En mars 2021, le Pape François a échangé avec l’eurodéputé et certains de ses soutiens. Une avancée symbolique de plus dans le combat pour la taxation des transactions financières.

Avec les élections fédérales allemandes en septembre 2021, (l’équivalent des élections de 2022 en France), les choses pourraient bien changer dans les prochains mois. Le ministre socialiste des finances de la coalition gouvernementale s’est dit par le passé favorable à une TTF européenne ambitieuse. Selon les résultats électoraux, il est donc possible que la France se retrouve bien isolée dans le camp des opposants à la justice fiscale et à l’harmonisation fiscale européenne.

Affaire à suivre.