Famine à Madagascar : un terrible rappel de la réalité des impacts des changements climatiques sur l’agriculture

Les terribles images montrant des populations du Grand Sud de Madagascar au bord de la famine, diffusées dans le reportage de 27 minutes d’Envoyé Spécial du 25 novembre 2021 sur France 2, nous rappellent que les changements climatiques ont des conséquences absolument dramatiques. Et déjà bien réelles pour un trop grand nombre de personnes qui souffrent aujourd’hui de la faim. L’ONU alerte sur la situation depuis plusieurs mois, alors que près de 30 000 personnes vivent dans des conditions proches de la famine, sans accès à l’alimentation. Le directeur du Programme alimentaire mondial a appelé à une réaction de la communauté internationale, pour financer l’aide alimentaire d’urgence, nécessaire à la survie de dizaines de milliers de personnes.

Madagascar : une famine climatique ?

Les images de Madagascar sont insoutenables mais montre la réalité des populations qui, traditionnellement, vivent de l’agriculture. Pas une goutte d’eau depuis 3 ans : la sécheresse a mis en péril tous leurs moyens d’existence. Les stratégies d’adaptation, de survie même, mises en place sont extrêmes et permettent tout juste de survivre : consommer des aliments destinés à l’alimentation du bétail, vendre ses biens, et notamment ses terres et son bétail, réduire drastiquement la quantité et la qualité des aliments consommés, tout quitter pour se réfugier dans des bidonvilles, autour des grandes villes de la région. Telle est la réalité des populations vivant aujourd’hui au sud de l’île de Madagascar.

Des conséquences durables pour les populations proches de la famine à Madasgascar et ailleurs

Les conséquences d’une crise alimentaire d’une telle ampleur pourront avoir des répercussions sur le long terme : sur la santé mentale et physique des personnes (et surtout des enfants) touchées par la malnutrition aigüe, sur les moyens d’existence des populations dont la seule source de revenu était dans les terres qu’ils cultivaient.

En 2021, à travers le monde, 155 millions de personnes ont souffert de la faim à un niveau extrême. Les changements climatiques sont en grande partie responsables de cette situation de crise, même si le cas de Madagascar représenterait officiellement, selon l’ONU « le premier pays confronté à une détresse alimentaire liée au réchauffement climatique ».

Une étude récente du World Weather Attribution (WWA), composé de scientifiques analysant les impacts des changements climatiques sur la fréquence et l’intensité des événements climatiques extrêmes contredit cette affirmation de l’ONU. L’étude présente la situation à Madagascar comme le résultat de la combinaison entre une situation de grande pauvreté structurelle et une variabilité climatique naturelle, potentiellement exacerbée. Il n’en reste pas moins que les changements climatiques pourront aggraver ces phénomènes climatiques extrêmes, dans de nombreuses régions du monde déjà en situation de grande vulnérabilité. Cette combinaison entre pauvreté et variabilité climatique extrême risque risque bien d’être un moteur d’accroissement de la faim à travers le monde.

Malheureusement Madagascar n’est pas un cas isolé. La corne de l’Afrique et notamment certaines zones du Kenya sont aussi touchées par une sécheresse, qualifiée de « catastrophe nationale » par les autorités du pays. Elle provoque aujourd’hui une insécurité alimentaire grave pour des millions de personnes.

A Madagascar et ailleurs, les agriculteurs et les agricultrices en première ligne des impacts des changements climatiques

Alors que nous produisons assez de nourriture pour alimenter 1,5 fois l’humanité, les causes de la faim dans le monde sont multiples : les conflits, le covid et les changements climatiques. Nous l’ignorons parfois, l’oublions souvent, mais les changements climatiques sont à l’origine, aussi, de l’accroissement du nombre de personnes souffrant de la faim.

>>> Pour aller plus loin : La faim dans un monde d’abondance : des causes évitables, des solutions durables

L’injustice climatique

Derrière ce constat, une injustice profonde se dessine. Celles et ceux qui en sont le moins responsables en pâtissent le plus. En effet, les 10% les plus riches de la population mondiale (environ 630 millions de personnes) émettent 52% des gaz à effet de serre. A l’opposée, les 50% les plus pauvres du monde ne sont responsables que de 7% des émissions de CO2 cumulées. Pourtant, ce sont bien ces populations les plus pauvres qui se voient les plus dramatiquement touchées par les conséquences des changements climatiques. Privées de moyens suffisants pour s’adapter à ces conséquences, elles les subissent de plein fouet.

Quand la famine touche celles et ceux qui nous nourrissent

Dans de nombreux endroits dans le monde, les périodes entre l’épuisement des produits d’une récolte et l’arrivée d’une nouvelle récolte sont de plus en plus longues et difficiles, et la faute peut être imputée aux changements climatiques.

L’agriculture et la production alimentaire sont des secteurs qui concentrent 63 % de l’impact de ces chocs climatiques. Ce sont les pays les plus vulnérables et les communautés les plus pauvres qui paient le plus lourd tribut. En effet, si 2,5 milliards de personnes vivent de l’agriculture dans le monde, dans le même temps il faut savoir que les deux tiers des personnes vivant sous le seuil de pauvreté dans le monde vivent de l’agriculture.

La sécheresse, fléau de l’agriculture…

On pense souvent à la sécheresse quand on pense aux impacts des changements climatiques sur l’agriculture, et à raison : il s’agit de l’événement climatique extrême qui a le plus d’impact sur celle-ci. La sécheresse est responsable pour 34% des pertes de cultures et de bétails dues aux changements climatiques.

La faim est un problème beaucoup plus présent dans les pays dont le système agricole est très sensible à la variabilité des précipitations et de la température et aux graves sécheresses. L’impact de la faim est également plus important lorsqu’une grande partie de la population vit de l’agriculture, se retrouvant en effet avec une exposition forte aux extrêmes climatiques

>>> L’accès à l’eau, un enjeu fondamental

… mais aussi les inondations, accrues par les changements climatiques

D’autres événements climatiques extrêmes ont aussi de lourds impacts sur l’agriculture : les inondations peuvent avoir des conséquences désastreuses sur les récoltes (coulées de boues, érosion des sols), mais aussi sur les installations agricoles (les systèmes d’irrigation, stockage des denrées et notamment des semences),ou encore sur le bétail.

La région du Sahel (Sénégal, Mauritanie, Burkina Faso, Mali, Niger, Tchad) a notamment été très touchée : en 2020, l’ampleur des inondations était exceptionnelle, dans presque tous les pays sahéliens. Selon le bureau des affaires humanitaires de l’ONU , les inondations ont touché quelque 1,7 million de personnes dans 14 pays et ont détruit 162 000 habitations.

Le point commun de ces agriculteurs et agricultrices est qu’ils/elles n’ont aucune responsabilité dans la crise climatique causant ces événements, qu’ils subissent de plein fouet, et qu’ils ne bénéficient de presque aucuns moyens pour s’adapter.

Derrière la faim, des inégalités structurelles et une grande pauvreté

Comme le rappellent certains auteurs de l’étude du World Weather Attribution, contredisant l’impact des changements climatiquse sur la faim extrême touchant le sud de Madagascar, il ne faut en aucun cas occulter les facteurs socio-économiques derrière le seul prisme des changements climatiques. L’accès aux infrastructures et services publics, et principalement à une protection sociale universelle, à des systèmes pérenne d’accès à l’eau et d’irrigation, et des filets de protection sociale adéquats en cas de crise sont plus que nécessaires pour assurer la résilience des populations face à ces variations qui seront toujours de plus en plus importantes.

Construire et assurer la résilience des populations est indispensable. Cela nécessite d’accroître le combat contre la pauvreté et contre les inégalités.

Une responsabilité majeure des pays riches, mais un soutien très limité malgré l’urgence de la situation

Au-delà des impacts sur les rendements agricoles, il s’agit d’un coût, qui est de plus en plus considérable et qui pèse sur les producteurs et productrices de notre alimentation, qui pour la plupart ont déjà des difficultés à vivre de leur activité.

L’année dernière, le monde a enregistré des dégâts record imputables aux catastrophes climatiques extrêmes exacerbées par les changements climatiques, avec 50 milliards de dollars de dégâts estimés dans le secteur agricole.

Un financement international insuffisant pour l’adaptation aux changements climatiques

Derrière ces chiffres alarmants, ce sont des populations entières qui doivent faire face aux impacts des changements climatiques, notamment dans leurs pratiques agricoles. Or les pays les plus responsables de la crise climatique ne participent pas suffisamment au financement de l’adaptation aux changements climatiques.

En 2009, les pays riches – les plus responsables historiquement du réchauffement climatique – s’étaient engagés à lever 100 milliards de dollars par an à partir de 2020. Ces financements climats servent d’une part à compenser les dommages irréparables déjà causés par les changements climatiques dont les pays les plus vulnérables sont victimes, d’autre part à s’adapter, notamment en décarbonnant leur économie.

Près de 2 ans après l’échéance de cette promesse, les 100 milliards de dollars n’ont toujours pas été levés.

Aucune solution durable apportée lors de la COP26

Pire, lors de la COP26, les pays en développement – qui représentent plus de 6 milliards de personnes – ont proposé un mécanisme financier pour compenser ces dommages irréversibles. Les pays riches, Union Européenne et Etats-Unis en tête, ont fait la sourde oreille et la déclaration finale de la COP26 ne contient qu’une invitation à poursuivre le dialogue autour de cette question. Une formulation beaucoup trop faible face à l’urgence de la situation de certains pays qui subissent d’ores et déjà des famines climatiques.

>>> Pour aller plus loin : Quel bilan de la COP26 ?

Si l’ensemble du financement public de l’adaptation actuellement versé était réparti entre les 1,5 milliard d’agriculteurs paysans et familiaux des pays en développement, ces hommes et ces femmes recevraient environ 2,8 euros chacun par an pour se protéger des inondations, des fortes sécheresses et autres phénomènes extrêmes – le prix d’un café dans de nombreux pays riches.

Cet enjeux du financement climat est donc cruciale pour permettre aux populations les plus vulnérables de s’adapter aux changements climatiques et faire face aux dommages déjà causés. Les pays riches doivent faire face à leur responsabilité d’émetteurs historiques de gaz à effet de serre et agir profondément et durablement sur les causes de la famine climatique.