Pour sauver la planète et réduire les inégalités, il est urgent de réguler les entreprises

Depuis de nombreuses années, Oxfam s’est donné pour objectif de lutter contre les causes structurelles de la pauvreté et des inégalités. La publication de rapports issus de plusieurs années de recherche en France et dans le monde ont permis de montrer que les entreprises étaient en partie responsables du creusement des inégalités. Oxfam se positionne en faveur d’une régulation des entreprises qui seule permettra d’agir pour plus de justice fiscale et sociale et lutter contre le réchauffement climatique.

Mettre fin à une logique court-termiste dans la gouvernance des entreprises

Quel est le rôle d’une entreprise ? A qui rend-elle des comptes ? Pendant plusieurs décennies, la théorie économique s’est accrochée à une vision restrictive de l’entreprise qui serait uniquement au service de ses actionnaires. Pour changer de paradigme et de modèle d’entreprise, il est fondamental d’agir sur la gouvernance des entreprises. 

Le constat est sans appel, depuis dix ans, la richesse générée par les entreprises du CAC40 n’a pas été équitablement répartie entre leurs parties prenantes (PDG, salariés, actionnaires, etc) et n’a pas été suffisamment investie dans la transition écologique.

En France, le cadre juridique a récemment évolué en  2018 avec la loi PACTE qui a visé à repenser l’objet social de l’entreprise afin que l’entreprise « prenne en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité ». Sans effets juridiques et donc pas contraignante pour les entreprises, cette réforme n’a rien fait changer et reste purement cosmétique. 

En 2022, l’Union européenne a sorti une proposition de loi relative à la gouvernance et à la vigilance des entreprises mais malheureusement peu ambitieuse. 

Régulation des entreprises : les leviers impératifs à mettre en place

1. Prioriser la planète et la société aux actionnaires

Le partage inéquitable des richesses au sein des entreprises et dans leurs chaînes d’approvisionnement est le résultat de choix stratégiques. Ces choix sont effectués par des dirigeants rendant essentiellement des comptes à leurs actionnaires. Le poids d’investisseurs privilégiant la rentabilité à court-terme n’ayant cessé d’augmenter, il est primordial de s’attaquer à la pression des actionnaires sur les arbitrages stratégiques des entreprises pour que ces dernières prennent en compte l’impact social et environnemental de leur activité et rendent des comptes à la société dans son ensemble.

Entre 2009 et 2018, les versements aux actionnaires du CAC 40 ont augmenté de 70%, la rémunération des PDG du CAC 40 de 60%, alors que le salaire moyen au sein de ces entreprises n’a augmenté que de 20% et le SMIC de 12% sur la même période.

La primauté de la satisfaction des actionnaires s’observe dans la gouvernance des entreprises : les représentant.e.s élu.e.s par les actionnaires y occupent une place disproportionnée dans les instances de contrôle de l’entreprise par rapport aux salarié.e.s, acteurs sans lesquels la création de richesse ne serait pas possible.

Le modèle économique des entreprises du CAC 40 est centré sur la satisfaction des attentes du marché boursier. Les mouvements des cours boursiers montrent une déconnexion régulière avec l’évolution de l’économie réelle et une capacité trop marginale à prendre en compte les enjeux sociaux et environnementaux, notamment sur le temps long. La course au résultat de court terme a grevé la capacité des entreprises à investir à la hauteur des besoins dans la transformation de leur modèle économique vers un modèle plus résilient, plus durable. Dix ans après la dernière crise financière, la crise du coronavirus a malheureusement mis en lumière la fragilité de ce modèle économique. Le constat est sans appel : sans transformation profonde, les grandes entreprises françaises nous emmènent vers un monde à 3.5° d’ici 2100, bien loin des objectifs de l’Accord de Paris. Elles ont pourtant la responsabilité d’agir. 

Notre rapport « CAC40 : des profits sans lendemain ? » montre que si la part des bénéfices versés aux actionnaires en 2018 avait été encadrée à 30%, cela aurait permis de couvrir 98% des besoins en investissement dans la transition écologique des entreprises du CAC 40.

Nos propositions pour encadrer les dividendes et réduire l’impact des actionnaires :

  • Encadrer la part des bénéfices distribués aux actionnaires. Les fonds non distribués doivent abonder une réserve d’entreprise finançant la transition écologique et sociale.
  • Empêcher les entreprises de verser des dividendes jusqu’à ce qu’elles versent un salaire de subsistance à tous leurs employés et à ce qu’une stratégie soit mise en place, associée à des objectifs mesurables et limités dans le temps, pour garantir que les travailleurs des chaînes d’approvisionnement reçoivent un salaire/revenu de subsistance.
  • Rendre obligatoire l’adoption d’objectifs climatiques à court, moyen et long-terme, alignés avec l’Accord de Paris, accompagnés de plans de transition et d’investissement.

2. Donner aux dirigeants l’envie d’agir en revoyant leurs rémunérations 

Oxfam France a révèlé dans une note comment la rémunération des PDG du CAC40 incite au court-terme, au détriment de la transition écologique. En 2019, un PDG du CAC 40 gagnait en moyenne 5,5 millions d’euros. Plus de 67 % de cette rémunération était basée sur l’atteinte d’objectifs financiers à court-terme. A contrario, seulement 9 % de cette rémunération était lié à un objectif non financier de long-terme. Par ailleurs, la plupart de ces objectifs non financiers restent vagues, ainsi, à peine 5 % de la rémunération des PDG du CAC40 est liée à des objectifs de long-terme mesurables

Seules 13 entreprises du CAC40 indexent une partie de la rémunération de leur PDG à un objectif climatique dédié (comme la réduction des émissions de CO2) : pour ces entreprises, ces objectifs représentent en moyenne à peine plus de 3,5 % de leur rémunération.

Les deux-tiers de la rémunération des PDG du CAC40 sont par ailleurs indexés sur des critères financiers de court-terme. Les critères sociaux, environnementaux et climatiques sont quant à eux quasi inexistants ou s’apparentant simplement à de la communication.

Ce poids démesuré du financier conduit à un désalignement des intérêts des PDG avec la responsabilité qui leur est confiée : il leur est demandé de conduire une stratégie à long terme, mais ils sont essentiellement rémunérés sur la base d’indicateurs de court terme, privilégiant les rendements actionnariaux.

Par ailleurs, les écarts de rémunérations se sont creusés de façon vertigineuse. En 1989, les ouvriers du groupe Peugeot se mettaient en grève à la suite de la divulgation de la rémunération de Jacques Calvet, le PDG de l’époque. L’écart de rémunération entre les ouvriers des chaînes de production et lui était alors de 1/30. En 2018, la rémunération de Carlos Tavares était 222 fois plus élevée que le salaire moyen du groupe PSA. De même une énorme disparité dans la rémunération des femmes est observée et rien n’est fait pour y remédier. Il faudrait plus de 150 ans de travail à une infirmière française pour gagner ce que gagne en un an en moyenne un milliardaire français.

Nos propositions pour réglementer les rémunérations : 

  • Limiter la part de rémunération des PDG et des cadres dirigeants indexée sur des critères financiers, pour qu’elle ne représente pas plus que la moitié de la rémunération totale.
  • Réduire la part variable des rémunérations, pour réduire les écarts de salaires, y compris en imposant un écart de salaire maximum de 1 à 20 entre la rémunération du PDG et le salaire médian au sein de l’entreprise.
  • Revaloriser et améliorer les conditions de travail dans les métiers à prédominance féminine.
  • Revaloriser dès cette année le salaire minimum dans toutes les branches de métiers, à commencer par les métiers du secteur du soin (social et santé), majoritairement occupés par des femmes, qui ont été en 1ère ligne durant la crise sanitaire. 

3. Une gouvernance des entreprise qui doit prendre en considération l’égalité de genre et les enjeux climatiques

L’égalité de genre au sein des conseils d’administration est un sujet sur lequel il y a eu des avancées significatives notamment avec la loi Copé Zimmerman en 2011 mais les entreprises dont le siège n’est pas en France échappent à la loi. Il faut donc être plus contraignant sur le sujet. 

Fin 2019, les femmes ne représentaient en moyenne que 20% des équipes dirigeantes du CAC40.

Par ailleurs, Oxfam a également analysé les critères de parité femmes-hommes influençant la part variable des PDG du CAC40 : seules 5 entreprises possèdent un critère mesurable en la matière au sein de leurs instances managériales.

Nos propositions pour une gouvernance des entreprises plus vertueuse :

  • Renforcer la représentation et les pouvoirs des salariés dans les conseils d’administration : l’objectif doit être d’atteindre 50% de salariés dans les plus grandes entreprises.
  •  Diversifier les compétences et profils au sein des Conseils afin de prendre en compte les enjeux sociaux, environnementaux et climatiques